Avant
Cela faisait une bonne trentaine de minutes que Than déblatérait à n'en plus finir, mettant ma patience à rude épreuve. Je l'adorais, mais franchement, je pouvais me passer aisément de ses fichus monologues interminables.
- Non, mais sérieux. -poursuivit-il, me faisant lever les yeux au ciel- C'est super vexant pour toi, non ? Comment tu fais pour le supporter ?
Ces deux questions m'interpellèrent, étant donné que j'avais fait la sourde oreille dès le début de son discours enflammé. Je n'avais donc strictement aucune foutue idée de quoi il parlait, et il osait solliciter ma participation à cette conversation à sens unique.
- Gné? Comment je fais pour supporter quoi ?
- T'as rien écouté à ce que je viens de te dire, n'est-ce pas ? -s'exaspéra t-il.
J'haussai les épaules en me vautrant un peu plus sur le canapé de cuir noir, et posai mes pieds sur les cuisses de Than tout en enfournant une poignée de pop-corn. L'écran plat en face de nous diffusait en sourdine un film d'horreur plutôt sanglant, et j'étais étrangement fascinée par ces humains qui se faisaient déchiqueter en hurlant silencieusement, ce qui donnait une ambiance assez burlesque.
Il n'y a pas à dire, regarder un film sans le son, c'est vachement marrant.
Than tira sur mes orteils pour reconquérir mon attention. Je soupirai profondément avant de poser mes yeux sur lui, lui faisant signe de s'expliquer.
- Je te parlais des expressions qu'utilisent les humains, et notamment de celles qui te concernent. La plupart sont plutôt vexantes pour toi !
Stoïque, je portai de nouveaux pop-corn à ma bouche et les mâchonnai avec application. Après plusieurs millénaires passés en sa compagnie, les régulières illuminations de Than ne me surprenaient plus.
- Genre ?
- Bah, par exemple « ça pue la mort » !
J'éclatai de rire en postillonnant dans toutes les directions ce que j'étais en train de manger, alors qu'il poursuivait, imperturbable :
- Je trouve ça vraiment injuste et infondé ! Tu ne pues pas, bon sang ! Au contraire !
Un sourire illumina mon visage.
- Au contraire ? -demandai-je malicieusement.
- Oui, tu sens la pomme sauvage couplée à un soupçon de vanille.
Je me redressai pour le voir nettement.
- Parce que la pomme sauvage, ça a une odeur particulière ? Une pomme, c'est une pomme, non ?
- Bien sûr que non ! -s'offusqua t-il- Il y a des centaines de variétés de pommes différentes ! Et la pomme sauvage à un goût plus acidulé que les autres.
Than, ou l'art de débattre sur des sujets futiles. Mais je n'avais pas le droit de me plaindre puisque c'était moi qui avait, en toute connaissance de cause, lancé cette conversation.
- Et la vanille ? C'est une senteur qui prouve qu'elle vient de Madagascar ? -repris-je.
Il me dévisagea avec suspicion.
- T'es en train de te moquer de moi depuis tout à l'heure, non ?
Je gloussai, en me disant qu'il était sacrément long à la détente, alors qu'il me balançait un coussin et que le saladier plein de sucreries alla s'échouer sur le tapis luxueux. Je constatais les dégâts d'un œil morne.
Lulu va péter un fusible
La porte du salon s'ouvrit avec fracas, laissant entrer un homme qui semblait avoir une trentaine d'années et qui possédait une beauté lumineuse, en rien gâché par la colère qui habitait ses traits. Quand on parlait du loup, on voyait le bout de sa queue !
- Mais qu'est-ce que vous foutez ?! -rugit-il- Ça fait des plombes que je vous attends !
- Bonjour à toi aussi, Lucifer. -ironisa Than.
- Pas de sarcasmes avec moi, Thanatos ! Nous étions censés avoir une réunion, bon sang !
Je me levai du sofa calmement, je ne connaissais que trop ses fureurs dévastatrices, et une fois plantée devant lui, je lui offris mon plus beau sourire. Ses prunelles d'un bleu glacial se réchauffèrent et s'adoucirent lorsqu'elles se posèrent sur moi.
- Désolée. Pour ma défense, j'avais complètement oublié.
Ma contrition sembla l'apaiser un peu, et il passa une main dans ses courts cheveux dorés.
- Franchement, vous êtes de vrais gamins quand vous vous y mettez. Vous ne pouvez pas vous permettre de glander toute la journée ! Vous avez du boulot !
Than se leva avec grâce, en rejetant sa longue natte argentée par dessus son épaule, et s'approcha de nous avec colère. Il toisa Lulu de ses quatre centimètres de plus, ses beaux yeux noirs plein de mépris.
- Je t'interdis de critiquer notre travail, on abat bien plus de boulot que toi !
Je ricanai face à son jeu de mots involontaire. On abat...oui, c'est le bon terme d'un certain côté !
- Alors pourquoi vous n'étiez pas là aujourd'hui ?! Alors que vous saviez précisément que j'allais vous donner des instructions en plus ?
J'ouvris la bouche, dans une vaine tentative de défense, mais il leva la main pour me couper.
- Ne dis rien, Azhiel, s'il te plaît ! Je sais bien que tu mens en disant que tu as « oublié » la réunion. Le seul fait qui m'empêche de te briser les membres, c'est parce que je suis incapable de te porter préjudice.
Je mordis ma lèvre inférieure. Oups, démasquée ! Je lui adressai un regard penaud et le pris soudainement dans mes bras. C'était de la triche, j'en étais consciente, tout comme je savais qu'il était incapable de résister face à mes attaques affectueuses. J'en profitais éhontément.
Le visage enfoui dans son large torse, je marmonnai :
- Tout est sous-contrôle, tu sais. On a délégué notre travail à des sous-fifres, histoire de souffler un peu.
Alors que Lulu s'était détendu dans mon étreinte, tous ses muscles se raidirent suite à ma déclaration, et je jurais silencieusement. Encore raté ! T'as perdu la main, ma vieille ! Il tenta de me repousser mais je m'accrochais à lui telle une huître sur son rocher.
- Mais c'est là le problème ! Vous ne pouvez pas vous permettre de bâcler votre boulot !
- Vas-y doucement, Lucifer ! -s'exclama Than- Rien ne nous interdis de partager nos tâches avec des subalternes compétents. Je sais ce que je fais, je suis le Dieu de la Mort, zut à la fin !
Les deux hommes irradiaient, signe que leurs puissances respectives étaient à fleur de peau. Alors que celle de Lulu paraissait prête à tout carboniser, celle de Than était d'un froid absolu. Le fameux « souffle glacé de la mort », j'imagine. Mon essence profonde reconnaissait son pouvoir comme issu d'elle-même, ce qui était le cas, et je ne pus m'empêcher de frissonner d'euphorie. La puissance de Than était grisante car elle alimentait la mienne.
- Mais si, quelque-chose vous l'interdis ! Moi ! Je ne vous ai jamais permis de prendre ces décisions ! Et de détruire mon tapis !
Une vague de rage intense me balaya. J'aimais beaucoup Lulu, mais j'appréciais beaucoup moins son caractère tyrannique et son égocentrisme. Une mise au point s'imposait.
Je le repoussais sèchement en le foudroyant du regard, laissant à mon tour mon pouvoir lécher ma peau.
- Et voilà ! Tu l'as fâché, maintenant ! -énonça Than en croisant les bras.
Je l'ignorai et pointai un index menaçant sous le nez de Lulu.
- Écoute moi bien, Lulu. Je ne te permets pas d'émettre un quelconque jugement sur mon travail et de me critiquer ! Je ne suis en aucun cas soumise à ton autorité, je te rappelle ! Je suis la Mort ! Rien ni personne ne m'entrave ! Même pas toi, Seigneur des Mondes Souterrains !
Il recula d'un pas devant mon courroux, et surtout devant les émanations nébuleuses de mon pouvoir qui se manifestait. Je poursuivis ma diatribe enflammée en martelant mes paroles de mon doigt sur son torse.
- Je vis chez toi depuis la Chute parce que je t'apprécie sincèrement, et que tu es une des seules entités de l'Univers à ne pas être terrorisé par ma nature. Je te fais confiance, je t'ai révélé mon vrai visage et mon vrai prénom alors que personne, à part Than, ne les connaît. Je te rends d'immenses services depuis la nuit des temps. J'existe depuis toujours, je suis plus vieille que toi ! Tu me dois respect et reconnaissance ! Et c'est comme ça que tu me remercie ?!
La fin de ma phrase s'était achevée sur un cri. Mes émotions devenaient tumultueuses et sombres, mon essence réclamait du sang et de la violence et mon pouvoir se tenait aux aguets, prêt à fondre sur sa proie.
Mais là était le problème. Lulu n'était pas ma proie, il était mon ami. Un ami qui m'énervait royalement très souvent, mais un être qui m'était cher tout de même.
Alors, pour tenter de me calmer, j'inspirai profondément et tendis une main vers Than. Il enroula ses doigts autour des miens, sa paume embrassa la mienne et suite à ce contact je repris peu à peu mes esprits.
Lulu ne pipait pas un mot, se contentant de me regarder avec prudence. Bonne décision. Je savais que s'il me manquait de respect une fois encore, je ne le louperais pas. Je n'allais pas le tuer, bien que j'en avais la capacité mais c'était très difficile d'annihiler un Déchu ou une divinité, mais j'étais capable de l'affaiblir. Et aux vues des monstres divers et variés qui rôdaient dans les Mondes Souterrains, Lulu ne souhaitait sûrement pas perdre de sa puissance.
- Je vais faire un tour, Lulu. Besoin d'air.
Je tournai les talons toujours en tenant Than, et sortis de la pièce en claquant allégrement la porte.
- Crétin ! -sifflai-je entre mes dents.
Mon ami ricana et, de sa main libre, rabattit sur ma tête ma capuche. Capuche qui avait grandement contribué à créer cette représentation de moi avec une grande cape noire et un capuchon. Pour la faux, je l'avais utilisé une fois, suite à un stupide défi de Than qui m'affirmait que ça produirait « un effet vachement stylé », mais ça avait suffit. Je me coltinais cette illustration de la Mort depuis des siècles. J'étais surtout outrée par le fait que les humains imaginent que sous ma capuche se dissimule juste un squelette, mais bon, on ne pouvait pas trop leur en demander non plus. Et puis, je ne pouvais, d'une certaine manière, que m'en prendre à moi-même puisque je refusais depuis toujours de montrer ma véritable apparence.
- Sinon, où est-ce qu'on va, au fait ? -me demanda Than, brisant le silence qui s'était instauré.
- Quelque part où je pourrais me calmer et apaiser cette terrible envie de refaire le portrait à un stupide Seigneur qui se croit tout permis.
- Je vois. Tu as envie de donner une bonne leçon à Lucifer ?
Je m'arrêtai et me tournai vers lui, intriguée. Son expression pleine de malice, qui n'était pas sans me rappeler celle d'un vilain garnement, m'apprit qu'une idée venait de germer dans son cerveau vicieux.
- C'est-à-dire ?
- Suis-moi.
Il me dépassa et m'entraîna à sa suite sans plus d'explications, ce qui me fit lever les yeux au ciel. Il adorait entretenir un certain mystère autour de sa personne, chose totalement inutile dans mon cas puisque je le connaissais depuis une éternité.
Au bout de plusieurs minutes de marche dans les Souterrains, il me fit signe de rester silencieuse et je trouvais ça plutôt désopilant. Après tout, ne disait-on pas « un silence de mort » ? Mais j'acquiesçai, de plus en plus curieuse et amusée par cette escapade vengeresse.
- On est arrivé. -annonça t-il en se figeant soudainement.
Je m'avançai et poussai un sifflement admiratif. Devant moi se dressait une colossale porte en pierre, gravée d'une multitude de runes. Elle était magnifique, c'était indéniable, mais ce qui me fascinais était cette aura qui se dégageait d'elle. Une aura immense, d'une puissance infinie, et celle-ci léchait sensuellement ma peau. Je fermai les yeux et soupirai d'extase. Cela faisait plusieurs millénaires que je ne m'étais pas retrouvée confronté à un Portail. Le dernier en date m'avait emmené ici, aux Mondes Souterrains, mais j'étais persuadée que celui devant moi en était un autre.
- Je ne savais pas que Lulu avait un Portail d'une telle puissance.
- Moi non plus, je l'ai découvert avant-hier. Notre très cher Seigneur venait d'arracher la tête à un démon qui s'était égaré par ici, et qui tentait de passer le Portail. Apparemment, Lucifer ne veut absolument pas que quelqu'un le franchisse...
Je le regardai, comprenant que trop bien le cheminement de ses pensés.
- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, Than. On ne sait pas où il va nous emmener. On pourrait se retrouver aux Cieux, et tu sais qu'on ne sera pas bien accueillit.
Il m'adressa un sourire charmeur, celui auquel je n'étais malheureusement pas immunisé. Et il le savait, le bougre.
- Alleeeeez Az ! -dit-il, enjôleur- Ça fait longtemps qu'on a pas fait des bêtises, toi et moi. C'est trop calme !
- Rien ne me ferai plus plaisir que d'asticoter un peu Lulu, mais là, c'est dangereux. Même pour moi, Than. Je suis peut être immortelle, mais je peux toujours être emprisonnée indéfiniment. Ce qui nous arrivera sûrement si on se trouve nez à nez avec un Archange.
Il passa un bras autour de mes épaules et planta ses yeux si noirs dans les miens.
- On fait l'aller-retour. Juste histoire d'agacer Lucifer et de lui montrer qu'on est pas ses esclaves, et on revient.
J'hésitais encore, plus soucieuse de la sécurité de Than que de la mienne. Après tout, il était une divinité, il lui était donc possible de mourir, mais c'était très fort peu probable puisque j'étais la Mort et que jamais je ne lui ferai subir mon étreinte. Mais certaines créatures étaient très douées pour me faire des pieds-de-nez, alors la prudence était de mise.
- Je te mets au défi, Azhiel !
Je soupirai. Il avait dit cette phrase qui pour moi s'apparentait à une malédiction, puisque j'étais incapable de résister à un défi qu'il me lançait.
- Et je l'accepte, Than.
Avec un rire victorieux, il reprit ma main et nous nous approchâmes du Portail lentement. Avec une légère appréhension, je posai ma paume sur la pierre qui pulsait de puissance contenue, et prononçai les paroles rituelles qui étaient sculptées dans la roche.
- Urul'vakh saytni pritoldurr.
Cette langue était celle du Pouvoir dans la plus pure de ses formes, et très peu de créatures de l'Univers connaissait son existence, et encore plus rares celles qui la maîtrisait. Un inculte aurait été pulvérisé par la gigantesque décharge d'énergie que provoquèrent mes mots. Je ne le fus pas.
Car j'étais la Mort.
A la place, je fus aspirée dans un tourbillon de lumière aveuglante avant de sombrer dans les ténèbres.
***
Bonjour et bienvenue sur ma première fiction publiée sur Wattpad ! Je suis excitée comme une puce !
Je me lance dans cette aventure un peu à l'aveuglette, mais je croise les doigts pour que mon histoire vous plaise (au moins un petit peu!)
Au plaisir de se revoir sous peu ! Bonne lecture à tous !
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