Après_Chapitre 1
Tous mes membres me faisaient souffrir le martyr, et j'avais vachement froid. Ces deux constatations me remplirent de désarroi car je n'avais jamais ressenti ces sensations.
Je ne pouvais pas ressentir tout ça puisque c'était des trucs d'humains.
Or, j'étais la Mort.
Donc, définitivement pas humaine.
Quelque chose cloche. Quelque chose cloche vraiment sérieusement.
Avec circonspection, j'ouvris doucement les paupières et me redressai de ma position allongée. Puis je me mis à paniquer totalement.
Je me trouvais dans une ruelle sombre de ce qui devait être une grosse ville. Une grosse ville typiquement humaine. J'étais déjà venue dans le monde des humains de nombreuses fois sous ma forme spirituelle, donc ce point ne m'angoissait pas particulièrement.
Sauf que j'étais ici physiquement. Et complètement nue.
Oulala. Ououlalalala.
Un grognement me fit sursauter en glapissant de terreur, ce qui donna un sacré coup de mou à mon ego. Mais la vision de Than gisant à poil et gémissant me fit bien vite oublier la blessure de mon orgueil.
Faut dire qu'il était sacrément bien foutu. Mais ça, je le savais déjà. Après des millénaires de vie commune, notre relation était passé par tous les stades possibles. Frère, ami, amant... Il ne manquait rien à notre palmarès.
Sa peau pâle semblait briller doucement dans la pénombre, ses longs cheveux argentés désormais détachés sublimaient son corps mince et musclé et ses traits purs possédaient toujours cette beauté divine, mais...plus rien de divin ne s'échappait de lui. En temps normal, une aura l'habitait et le rendait incomparable, puissant. Mais là, plus rien, zéro, nada, niet.
Et je compris enfin.
Thanatos avait perdu son statut de Dieu de la Mort.
Il était devenu un simple humain.
Et moi aussi.
AAAAAAAAAAAAAH !
La petite voix dans ma tête hurlait de façon hystérique tandis que je regardai Than se relever, observer autour de lui, et poser sur moi un regard incrédule.
- Euuuh, Azhiel ? Il y a un truc qui tourne pas rond, non ? Je crois que j'ai... mal ? -souffla t-il, éberlué.
- Nous sommes des humains, Than. -annonçai-je d'une voix vide.
- Pardon ?!
Je me tus un moment, laissant ses pensées suivre le même cheminement que les miennes, et au bout de quelques minutes, il planta un regard horrifié dans le mien. Il se leva d'un bond an grimaçant, fichus courbatures, et désigna le mur crasseux qui nous faisait face, et qui dissimulait le fameux Portail.
- Refais-nous traverser immédiatement ! C'est hyper désagréable d'être humain, purée !
Visiblement, son cerveau atrophié n'était pas allé jusqu'au bout du raisonnement.
- Je ne peux pas. -dis-je tout bas.
- Quoi ? Mais bien sûr que si tu peux, tu viens de le faire à l'instant !
- Pour activer le Portail, Thanatos, il faut que je sois en pleine possession de mes moyens. Mais il se trouve que je suis une foutue humaine !! -hurlai-je de toutes mes forces pulmoniques.
Son visage blêmit et il passa une main un peu tremblante dans sa chevelure.
- OhmonDieu. OhmonDieu monDieu.
Je me relevai avec précaution, dégoûtée par la saleté du sol et je décollai, avec horreur, un chewing-gum à l'arrière de ma cuisse. J'étais frigorifiée, perdue, apeurée, envahie par des émotions et des sensations inconnues... Alors je fis la chose dont je me moquais en regardant les films humains romantiques : j'éclatai en sanglots en espérant qu'une âme charitable me réconforte.
Than répondit à mon appel silencieux et m'enserra dans le cocon de ses bras. Il se contenta de caresser longuement mes boucles noires et de m'embrasser doucement la tempe, et ces simples gestes d'affection suffirent à me calmer.
En essuyant les vestiges de mes dernières larmes, je m'écartai de lui et expirai profondément.
- Bien, récapitulons. Suite à un défi foireux lancé par un abruti, j'ai activé un Portail qui, non content de nous téléporter dans le monde des humains, possède aussi la capacité de nous métamorphoser en humain. Je me retrouve donc dans l'incapacité de l'ouvrir, de retrouver ma forme originelle et d'utiliser mes pouvoirs. N'oublions pas que je suis désormais une mortelle vulnérable qui se trouve nue dans une ruelle sombre et malfamé. J'ai oublié quelque chose ?
L'ancien Dieu de la Mort se frotta les bras en claquant des dents.
- Que nous sommes en hiver et qu'on se gèle les miches, peut-être ?
Je décochai un brusque coup de poing dans le Portail en jurant, pour immédiatement piailler de douleur en sautillant. La souffrance qui irradiait de mes phalanges meurtries jusque dans mon coude était nouvelle, et cette afflux d'informations amena de nouvelles larmes à perler sur mes cils. Je reniflai fort peu gracieusement dans l'espoir de les contenir.
Un éclat de rire soudain me déstabilisa et je me contentais de regarder Than avec des yeux ronds.
Ajoutons à la liste que Than est en train de devenir dingue.
- Bon sang, on est ridicule ! Le Dieu de la Mort et la Mort elle-même, à poil et impuissants. Le scoop de malade !
Je finis par être gagnée par son hilarité, par l'incongruité de notre situation, et ce rire me purifia de mes sombres pensées et boosta mon moral.
- Bon, que fait-on ? -lui demandai-je.
- En premier lieu, il faut trouver un endroit sûr où nous reposer. Ensuite, on devra se mêler aux surnaturels dans l'espoir de trouver quelqu'un qui puisse nous aider.
Je lui lançai un regard dubitatif. Son plan était carrément bancal. Personne ne croirait à notre histoire ! Et comment trouver une créature assez puissante pour activer le Portail ?
- Az, ne sois pas si pessimiste. On va trouver un endroit où crécher et après, on réfléchira à tout ça.
- Oui, et on fait comment, Monsieur le Génie ? On a pas d'argent et on a pas de vêtements ! C'est sûr que les humains vont nous ouvrir grand leur porte !
- Les humains, c'est vrai qu'il y a très peu de chances...
Je m'adossai sur le mur en le regardant dubitativement.
- Aurais-tu l'amabilité de développer ton idée ?
- Tu es venue dans ce monde que sous ta forme spirituelle, mais moi non. Pas facile de passer du bon temps avec une personne quand on est un esprit.
Je croisai les bras en secouant la tête, un petit sourire au lèvres. Je le reconnaissais bien là !
- Donc tu as des « connaissances » par ici ?
- Si par connaissances tu entends anciennes conquêtes, oui. Je pense particulièrement à une sorcière qui pratique la haute magie. -il poussa un soupir rêveur et m'adressa un sourire égrillard- Elle avait un de ces corps magnifique...
Je claquai des doigts dans sa direction, peu désireuse d'entendre parler de ses prouesses sexuelles. J'étais plutôt prude pour une entité de plusieurs millénaires.
- Bref, elle habite dans cette ville, ce sera plus pratique. Il faut juste que je la contacte avant.
- Et on fait ça comment ?
Than me jeta un regard navré qui me donna envie de lui coller des baffes.
- Voyons, Az... On vole un passant, bien sûr !
Je levai les yeux au ciel face à sa visible excitation. Dans ma longue vie, j'avais fait des choses plus palpitantes que de dérober un portable, mais je supposais qu'il y avait un début à tout. J'espérais que que le reste des événements n'allait pas être aussi ennuyeux.
Soudain, Than recouvrit ma bouche de sa main et me fit signe de ne pas faire de bruit. Je tendis l'oreille pour comprendre ce qui l'avait alerté, et je captais des fragments épars de conversation. Apparemment, nous étions bénis, une proie arrivait droit dans nos filets sans que nous partions en chasse.
Je me dégageai et adressai un sourire de connivence à mon meilleur ami. Sans nous être adressés la moindre parole, nous savions le déroulement de nos actions futures. C'est ce que j'appelle un duo de choc, ça ! Nous nous dissimulâmes dans un recoin sombre de la ruelle, chacun à un endroit différent, et nous attendîmes.
La voix se fit plus nette, et indéniablement masculine. Il conversait sans aucun doute possible au téléphone, nous prouvant au moins qu'il en possédait un. Quelques secondes plus tard, nous pûmes observer tout à loisir notre cible qui avançait à grands pas vers nous. La pauvre homme était de haute taille et et bien bâtit, ce qui était une chance car je comptais bien le soulager de quelques couches de vêtements. Than et moi étions grands, et comme il était hors de question que je me trimballe les fesses à l'air dans toute la ville, ce géant était une bénédiction.
Quand il ne fut plus qu'à quelques mètres de moi, et qu'il eut dépassé Than, je me glissais silencieusement dans une flaque de lumière que projetait un réverbère. Sentant sûrement mon regard insistant, il releva la tête dans ma direction. Le moment où il m'aperçut fut plutôt hilarant : un instant il parlait avec animation avec la personne au bout du fil, pour ensuite ouvrir de grands yeux et se mettre à bafouiller en rougissant fortement.
J'étais belle, je le savais. Plus que ça même. A croire qu'il y avait une loi immuable gravée quelque part qui ordonnait que toute créature surnaturelle devait être d'une magnificence sans pareille. Or, je n'étais pas n'importe quelle créature surnaturelle.
J'étais la Mort.
Sans doute l'entité la plus puissante que cet Univers renfermait, sans vouloir me vanter. Donc, niveau joliesse, j'étais un cran au dessus de tout le monde. Et même si désormais je n'étais plus qu'une simple humaine, je conservais mon apparence. C'était mes pouvoir que j'avais perdu, pas mon physique, Dieu merci. Il n'aurait manqué plus que ça !
Donc, l'humain resta de longues secondes à me dévisager, enfin il ne reluquait pas que mon visage ce pervers, et cette distraction donna l'occasion à Than d'opérer en toute tranquillité. Avec cette grâce particulière qui le caractérisait, il arriva derrière l'homme et passa un bras autour de son cou. Le malheureux n'eut même pas le réflexe de se défendre, ses yeux rivés sur moi, et au bout de quelques secondes il tomba évanoui. Au moins, il va faire de beaux rêves. Après tout, il était la troisième personne au monde à avoir vu ma véritable apparence, et dans toute sa nudité ! Le fait qu'il n'ait pas la moindre petite idée de qui j'étais ne changeait rien, c'était un petit veinard.
Than se baissa et récupéra le téléphone tandis que je m'approchai et commençai à retirer l'imperméable de notre proie. L'Ancien Dieu de la Mort composa rapidement un numéro, après avoir raccroché grossièrement au nez de l'interlocuteur du pauvre homme, et je me fis la réflexion que cette fameuse sorcière avait dû sacrément taper dans l'œil de mon ami du temps où il l'avait fréquenté. C'était on ne peut plus étonnant de le voir se remémorer le numéro de portable d'une de ses anciennes amantes. Ou alors, ils étaient restés en contact en tant que bons amis, mais c'était d'autant plus remarquable.
- Allô Hannah ? Thanatos à l'appareil. -un joli sourire se dessina sur ses lèvres alors que la sorcière répondit dans un bruit inintelligible à mes oreilles imparfaites- Moi aussi je suis content de te parler. Écoute, j'ai un service à te demander. Je suis dans le coin, et j'espérais que tu puisses m'héberger avec ma...petite amie.
J'eus un sourire narquois. Eh bien, eh bien... Me voilà propulsée à un statut que je n'avais plus depuis quelques dizaines d'années.
- Oui, surprenant, hein ? Moi, casé ! - poursuivit-il en me donnant un petit coup de pied alors que je ricanai en débarrassant le géant de son pull et de ses chaussures- Plus sérieusement, j'ai vraiment besoin de toi. J'ai un gros problème.
Il y eut un petit silence, puis il se détendit.
- Merci Nana, tu es la meilleure. On sera là dans une trentaine de minutes, je pense. A toute à l'heure.
Il raccrocha puis se tourna vers moi en souriant.
- Bah voilà, la question de notre logement est réglé.
- Je suis ta petite amie, maintenant ?
- Tu es bien plus que ça, et tu le sais. Mais si j'ai dit ça, c'est parce que je sais que tu ne voudras pas révéler ta véritable identité, alors il fallait bien que je justifie la présence d'une humaine à mes côtés.
J'hochai la tête et lui tendis le manteau de l'homme et les chaussures.
- Tu fais bien du 47 en pointure, non ?
Il acquiesça et prit les vêtements que je lui tendais. De mon côté, je revêtis l'épais pull en laine en grelottant. J'avais bien pensé subtiliser aussi le pantalon de l'inconscient pour mon « petit ami », mais il ne possédait pas de ceinture et Than était largement plus fin que lui. J'avais toujours aussi froid aux pieds, mais il était hors de question que j'enfile des chaussettes portées par une autre personne. Il en allait de mon honneur, là !
Je me tournai vers Than pour lui demander de me passer le téléphone quand une chose m'arrêta net. Il était dos à moi, et l'éclairage donné par le lampadaire me permettait de le distinguer clairement... Lui, et l'étrange tatouage qui couvrait l'entièreté de son dos.
- Than, tu t'es fait tatouer récemment ?
- Bien sûr que non, tu sais que je déteste les aiguilles en tout genre.
- Alors comment ça se fait que tu en as un de la base de la nuque jusqu'au creux des reins ?
- De quoi ?!
Il se dévissa le cou pour tenter d'apercevoir ce dont je lui parlais. Je m'approchais et fis courir mes doigts sur l'étrange dessin, suivant les lignes courbes et les étranges inscriptions. Un coin de ma mémoire me tiraillait furieusement, et je me concentrai sur les symboles qui couvraient son dos. J'expirai brusquement.
- La vache, Than !
- Quoi ? C'est quoi ?
- Ce sont des runes ! Des runes de la Langue Originelle, celle du Portail !
Abasourdie, je poursuivis mon exploration. Jamais je n'avais entendu parler de mystérieux tatouages écrit dans la langue du pouvoir absolu, c'était dingue ! La chose qui me turlupinait tinta plus fort dans mon cerveau, et je parcourus à toute vitesse mes souvenirs pour tenter de comprendre ce qui m'échappait. Quand l'illumination survint, je me retins de me gifler pour ma propre stupidité.
- Oh, que je suis stupide ! Than, c'est un Sceau ! Tu es le porteur d'un Sceau !
- Hein ?! Comme les Déchus ?
- Oui, mais en plus élaboré car tu es un dieu, mon cher. Bon sang, regarde si j'en ai un !
Je soulevai ma crinière tandis qu'il écartait mon pull et poussait un sifflement impressionné.
- C'est magnifique ! Ton dos est presque noir de gribouillis bizarres, mais c'est magnifique.
Le Sceau de Than devait certainement être moins élaboré que le mien, et ça ne m'étonnait guère. Après tout, ma puissance était bien plus supérieure à la sienne.
Les Déchus, les anges bannis des Cieux, obtenaient tous une de ces marques, car chacune était différente. Les Sceaux étaient comparables à des chaînes symboliques qui entravaient la nature de ceux qui les portaient, notamment en ôtant la possibilité aux parjures de retourner aux Cieux. Les légendes mentaient en affirmant qu'ils perdaient leurs ailes, non, ils les gardaient mais c'était d'autant plus cruel car elles ne leurs servaient qu'à voler dans le ciel du monde humain. Et lorsqu'on avait connu le faste et la beauté des Cieux, plus rien n'était comparable et vive était la blessure. Les Sceaux refoulaient aussi une partie de leur puissance, et les privaient de leur But, celui pour lequel les anges avaient été créés. Venir en aide à chaque créature vivante. Ces empreintes les rabaissaient d'une façon avilissante, et ce traitement me révoltait depuis la nuit des temps.
Et voilà qu'à mon tour je subissais cette pratique qui me révulsait.
Bon, tout n'était pas tout noir, il fallait que je vois le verre à moitié plein. Le Portail ne m'avait donc pas métamorphosé en humaine comme je le craignais, mais m'avait apposé un Sceau. Cela signifiait que tous mes pouvoirs, ma puissance, étaient toujours là, en moi, mais entravé par la Langue Originelle tatouée dans mon dos. La situation était moins désespérée que je ne l'avait cru, en fin de compte. Enfin une bonne nouvelle !
- Bon, on s'occupera de ça une fois au chaud, ok ? Je ne peux pas réfléchir, le froid me gèle les neurones. - s'exclama Than en enfilant l'imperméable et les chaussures.
J'en profitai pour lui subtiliser le portable, et ainsi appeler un taxi. Une chance que le portefeuille du pauvre monsieur ait été bien fourni ! Ensuite, je composai le numéro des secours pour leur signaler une agression et donnai l'emplacement de la rue.
J'étais, malheureusement, du genre à avoir une conscience agaçante. Au moins, le sort de de cet homme ne m'inquiéterait pas pour les prochains jours à venir. Il faut dire aussi qu'il faisait vraiment froid, et qu'il risquait une hypothermie.
Je sais, c'était vraiment un comble pour la Mort, mais c'était ainsi. On ne me changerait plus.
Lorsque le taxi arriva enfin, nous étions sur le point de nous changer en glaçon, et ce fut avec un réel soulagement que je me glissai dans l'habitacle chauffé, sous les yeux ahuris du chauffeur face à notre dégaine. Mais je n'y fis pas attention, préférant fermer les paupières et me blottir contre Than alors que la voiture démarrait.
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