𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚟𝚒𝚗𝚐𝚝-𝚚𝚞𝚊𝚝𝚛𝚎

Bonne lecture !

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Quand Spencer se lève de son lit, après quelques minutes d'effort pour atteindre la canne posée sur le fauteuil à côté de la fenêtre, il n'a qu'une envie et c'est celle de prendre une douche. Son t-shirt trempé de sueur lui apprend qu'il a passé la nuit à cauchemarder, même s'il ne s'en souvient pas vraiment. Son réveil, sur sa table de nuit recouverte de livres, indique à peine 8H11 du matin.

On est samedi. Il s'est couché trois heures plus tôt.

Un soupir passe ses lèvres alors qu'il parcourt sa chambre des yeux. Il déteste voir toutes ces affaires éparpillées ainsi, mais il peut à peine se baisser pour mettre ses chaussettes ou encore attraper la poubelle pour la descendre en bas de l'immeuble. Il voudrait simplement passer ses journées au bureau, à remplir de la paperasse ou bien monter dans un avion avec l'équipe et enfin penser à autre chose.

Spencer aimerait juste un peu de silence. Son cerveau est en ébullition, et les voix dans son salon lui donnent envie de hurler. Il n'y voit jamais personne, pourtant ce qu'il entend est très clair : des hommes, des femmes, et même des bébés qui pleurent.

Nouveau soupir, et Spencer sort de sa chambre en boitant.

Sa jambe est plus raide et douloureuse le matin. S'allonger lui fait autant de bien que de mal. Il arrive à s'endormir grâce à des cachets aux plantes que l'apothicaire un peu étrange au coin de la rue lui vend, mais une fois ses yeux fermés il ne contrôle pas ce que son corps fait. C'est ainsi qu'il se réveille recroquevillé sur lui-même, enroulé dans ses couvertures, et non droit sur le dos comme s'il s'est couché. Pour Spencer, c'est assez embêtant de plier sa jambe sous lui malgré la douleur, simplement pour ressentir un peu de chaleur au contact de sa propre peau.

Son esprit de profileur lui hurle des choses qu'il n'a pas envie d'admettre. Il s'est fait tirer dans le genou, et en apprenant son mensonge sur l'autorisation donnée apparemment par son docteur pour prendre l'avion, Hotch l'a tout bêtement puni.

Hotch, qui s'est fait poignarder à multiples reprises, qui est plus ou moins mort quelques secondes : lui est sur le terrain, il donne des ordres, il fait comme si de rien n'était tout en étant visiblement fou de rage d'être séparé de son fils (et de son ex-femme, Spencer n'a pas besoin d'essayer de faire comme si Hotch n'est pas encore amoureux d'elle c'est ridicule). Aaron Hotchner a repris du service, et Spencer se traîne en clopinant pathétiquement.

Il serre les lèvres en arrivant dans son salon. Le bruit le fait soupirer, et il marche lentement jusqu'à sa cuisine pour mettre en marche la machine à café. Il veut juste se réveiller un peu : les cauchemars l'épuisent plus que le sommeil ne le repose. Il n'a pas besoin de dormir autant, de toute façon. Le corps humain peut fonctionner avec quelques heures de sommeil.

Son regard se perd dans le vide tandis que son doigt presse le bouton de sa cafetière.

— Tu devrais manger quelque chose, au lieu de boire du café toute la journée.

Dans un sursaut étranglé, Spencer manque de faire tomber sa canne. Elle rebondit contre le meuble le plus proche et il la rattrape au vol.

Une main sur le cœur, il se retourne lentement.

— Putain de merde, lâche-t-il malgré lui.

Son langage force Gideon à hausser un sourcil. Il l'ignore et grogne :

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Je venais juste voir comment tu allais.

Son ancien mentor est tranquillement assis dans son fauteuil à côté de la fenêtre. Il a pris un livre de sa bibliothèque et a de toute évidence dérangé la partie d'échec que Spencer avait commencé la veille contre lui-même. Les pièces ne sont plus au même endroit.

— Tu venais voir comment j'allais un samedi matin avant 9H ?

— Je passais dans le coin, pour récupérer un colis. Tu ne réponds pas à mes messages.

— C'est peut-être pour une raison.

En vérité, Spencer ne répond plus à grand monde. Utiliser son téléphone portable est de plus en plus insupportable, et le voir vibrer et faire du bruit continuellement le rend fou. Il l'oublie jusque dans les draps de son lit et se réveille en sursaut chaque fois que quelqu'un a la bonne idée de vouloir lui envoyer « Hi, ça fait longtemps, on devrait prendre un café ».

Spencer n'a pas envie de prendre un café.

Spencer n'a pas envie de grand chose, en vérité.

— J'ai regardé dans tes placards. Ils sont presque vides.

— Génial.

Il se demande honnêtement à quel moment tout a changé. À quel moment la présente de Gideon lui est devenue aussi étrange : chaque mot l'énerve, et le voir poser ses yeux sur l'intérieur de son appartement le rend profondément mal à l'aise. Il n'invite presque personne ici. Quand Hotch vient (venait, ça fait des mois qu'il lui parle à peine, trop pris par sa propre culpabilité) il n'est que rarement invité.

Spencer n'aime pas les surprises, et il aime encore moins voir des choses qui ne lui appartiennent pas dans son espace personnel. Une chaussette inconnue au mauvais endroit et il envie de se rouler en boule sous une tonne de couvertures pour avoir l'impression de se faire écraser. Ça le calme, et la vie continue.

Avant, il aurait dormi sur le canapé de Gideon pendant des mois simplement pour obtenir une seule partie d'échec en plus avec lui. À présent, l'homme est là à lui proposer de toute évidence de s'asseoir avec lui et Spencer a envie de claquer la porte.

Soudain, la cafetière lui indique que son café est prêt et chaud alors il se retourne et inspire profondément.

— Tu devrais vraiment manger quelque chose.

— Tu viens de m'apprendre que mes placards étaient vides.

Spencer.

Ce n'est plus jamais Reid. Gideon vient de temps en temps, depuis la première fois où il est apparu sur son palier, et ce n'est jamais Reid. C'est toujours Spencer-ci, Spencer-ça.

Il essaye vraiment de ne pas trop analyser la situation, mais Gideon le traite plus comme un fils maintenant qu'il ne l'a jamais fait avant : parfois, il a juste envie d'exploser et de lui demander pourquoi il ne va pas retrouver son propre fils, son véritable enfant Stephen qui a presque toujours vécu sans père.

Peut-être qu'il a vieilli, tout simplement. Peut-être que c'est trop tard pour avoir envie d'une figure paternelle, à présent.

— Tu venais voir comment j'allais, non ? Je vais bien.

Il porte son café à ses lèvres, et c'est si chaud qu'il se brûle un peu.

Dans le coin de la pièce, il sent Riley apparaître et ne peut s'empêcher de lui lancer un coup d'œil. Il est presque toujours là le samedi : quand ils ne sont pas brusquement appelés sur une enquête, Spencer passe des heures à lui lire différents livres. Parfois il sort aux aurores rien que pour aller en emprunter un bon nombre et pouvoir tout rapporter avant la fermeture du dimanche midi.

Riley sourit.

— Spencer, viens manger quelque chose. Je t'invite. On pourrait aller au restaurant pas loin, en bas de ta rue. Il me semble qu'ils font des...

— Je ne veux pas sortir. J'ai aucune envie d'aller au restaurant.

Les muscles de sa jambe lui font tellement mal qu'il a déjà envie de s'allonger. Mais avec Gideon dans son salon, qui a encore utilisé la clé que Spencer lui avait donné des années plus tôt comme si c'était la chose la plus naturelle au monde, et bien il ne peut pas le faire.

Il ne peut pas s'étaler dans son canapé pour lire. Il ne peut pas allumer la TV pour regarder quelques épisodes de Doctor Who. Il ne peut pas discuter avec Riley.

— Je ne rigole pas, il faut vraiment que t'avale un truc.

— Je commanderai à manger ce soir.

— Spencer !

Pas maintenant !

Sa nausée remonte et il est obligé d'inspirer profondément. Ses mains se crispent autour de sa tasse fumante et brûlante. L'odeur de café a rempli la pièce : Gideon se lève et marche lentement jusqu'au bar de la cuisine pour se rapprocher de lui.

Il lui suffirait de faire le tour pour pouvoir poser une main sur son épaule. Spencer a l'impression que si on le touche, il pourrait se mettre à hurler.

— Spencer, je m'inquiète juste. Peut-être que personne ne te l'a dit, mais tu es...

Du coin de l'œil, il voit le regard de Gideon s'attarder sur ses clavicules apparentes au-dessus de son t-shirt de pyjama. Il sait ce qu'il s'apprête à dire, et serre la mâchoire car bien évidemment que personne ne lui a dit, et bien évidemment qu'il l'a remarqué.

Il sort de la douche, fixe quelques secondes le miroir embué, puis se détourne. Il n'a aucune envie de voir plus longtemps son corps qui fond petit à petit, ses côtes saillantes et ses hanches pointues. Heureusement que Hotch ne l'a pas touché depuis des mois, qu'aurait-il dit ?

Spencer n'a aucune envie non plus de voir un quelconque dégoût chez cet homme qui de toute façon semble d'être lassé.

— J'ai toujours été comme ça.

— Ne me prends pas pour un imbécile, tu veux ?

— J'ai toujours été comme ça, insiste-t-il. Je perds facilement, et alors ? J'ai juste pas très faim en ce moment. Ça va revenir.

Il avale quelques gorgées de plus, avant de soudainement se rendre compte qu'il a oublié de rajouter du sucre. Tout a un goût de papier.

— Spencer, viens avec moi manger à l'extérieur. Même juste des gâteaux, si tu veux.

— Je ne suis pas un gamin.

— Non, effectivement.

La voix de Gideon est mesurée. Il semble marcher sur des œufs, et peut-être que c'est le cas.

— Je veux juste t'aider.

Spencer rit jaune.

— C'est ça.

— Spencer...

— Arrête ! Arrête de dire ça ! Arrête de te pointer chez moi un samedi matin pour m'emmener manger des gâteaux !

D'un coup sec, il vide sa tasse de café dans l'évier et lance un coup d'œil à Riley, dans le coin de la pièce. Ce dernier fait la moue, comme pour lui dire de se calmer.

Gideon suit son regard, et fronce les sourcils.

— Arrête de faire comme si t'en avais vraiment quelque chose à faire. Je vais... je me suis habitué, d'accord ? J'ai plus besoin que quelqu'un s'occupe de moi, ou essaye de se rapprocher ou... ou peu importe ce que tu essayes de faire ! J'ai eu besoin de toi, à une époque : j'avais besoin de n'importe qui, juste d'une seule personne qui m'aide à arrêter de me foutre une aiguille dans le bras à la première occasion !

Il serre la mâchoire, car la nausée revient et ses yeux s'humidifient. Il se hait de tout dire comme ça. S'ouvrir, éclater, être honnête, ça lui donne l'impression d'être un gamin colérique.

— J'ai essayé, et tu m'as dit qu'on avait tous nos problèmes. Alors voilà : j'ai des problèmes. Je me suis fait tirer dessus, mon boss s'est fait poignarder, j'ai jamais eu autant envie de retourner voir mon dealer pour le supplier de me fournir rapidement, et ma mère refuse de répondre au téléphone depuis plus de trois semaines car ses nouveaux médicaments la rendent complètement parano de la moindre technologie ! Voilà, tu vois, on a tous nos problèmes !

Sa gorge lui fait mal. Il n'est pas habitué à hausser le ton, à crier. Sa jambe se crispe et Spencer se penche en gémissant de douleur. De l'autre côté, Gideon s'est figé avec ce qui ressemble à une expression pleine de culpabilité.

— Tu vieillis, souffle Spencer. Tu vieillis, et tu essayes de mettre en ordre tes affaires pour moins avoir l'impression d'avoir loupé des choses dans ta vie. Tu as créé le BAU, sauvé des gens, mais ton fils ne te parle plus.

— Spencer...

— Tu n'es pas mon père, Gideon !

Il regarde à nouveau Riley, qui se rapproche doucement de lui, et Spencer voit que Gideon a envie de lui poser la question, de lui dire « pourquoi tu regardes dans le coin, il n'y a rien ». Il serre les dents.

— Pars de chez moi, laisse-moi tranquille. J'avais... envie de voir personne aujourd'hui.

Il relève la tête, jusqu'à ce que leurs regards se croisent. Il ne lâche rien. Son expression doit être parfaitement claire.

Jason Gideon reste immobile pendant encore quelques secondes avant de soupirer douloureusement. Il lui offre un dernier regard, puis dépose ce qui semble être une brochure pour un restaurant qui livre à domicile sur le comptoir.

Spencer compte ses pas jusqu'à ce que la porte s'ouvre et se referme.

Quand il est enfin seul, sa respiration est haletante et il se laisse doucement glisser le long du frigo jusqu'au sol. La nausée reste, puis disparaît enfin.

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Des bisous !

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