𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚟𝚒𝚗𝚐𝚝-𝚌𝚒𝚗𝚚

Bonne lecture !

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Quelques mois plus tard, Haley Hotchner est assassinée et Spencer voit un homme incroyable s'effondrer petit à petit.

Il a entendu, comme toute l'équipe, la discussion entre Hotch et George Foyet juste avant que ce dernier n'abatte son ex-femme d'une simple balle. Il a entendu les larmes dans la voix d'Aaron, il a entendu sa rage et sa tristesse. Il était là quand le reste de l'équipe l'a retrouvé dans la maison où Haley et Jack se cachaient depuis des mois, sous protection. Il était là quand Morgan l'a récupéré au-dessus d'un corps sans vie qu'il a tué rien qu'avec ses poings.

Spencer était là quand les secours ont emporté les corps. Ils étaient là à l'enterrement. Il était là après.

Et maintenant, presque une semaine après la mise en terre, il est assis au fond d'une rame de métro à fixer la même page depuis presque trois minutes. Ses yeux fatigués essayent d'absorber les mots comme ils le font toujours, mais son esprit refuse de se concentrer et finalement il ne peut que regarder distraitement les arabesques lettrées de son édition.

À ses côtés, Riley chantonne une musique qu'ils ont tous les deux entendue dans un magasin cinq jours et sept heures plus tôt. C'est lui qui a réveillé Spencer aux aurores, pendant son jour de congé, afin qu'il aille au moins s'acheter des plats surgelés au supermarché le plus proche. Qu'il marche, qu'il sorte de son lit, qu'il s'arrête à un coffee shop acceptable pour avaler deux gobelets entiers bien trop sucrés.

— On arrive bientôt, lui apprend-il, et en relevant la tête vers l'écran suspendu au plafond de la rame, Spencer constate qu'effectivement ils s'approchent de son arrêt.

Il a passé la nuit assis là. Il a parcouru la ligne dans un sens, puis dans l'autre, puis encore dans l'autre. Là tout de suite, il n'a même pas envie de regarder sa montre car son petit doigt lui souffle que le soleil est plus près de se lever que de s'être couché. Le métro est désert, les sièges sont en plastique et il a pu les nettoyer avec application (peut-être un peu plus longtemps que d'habitude, mais personne n'a pu le voir faire).

Il s'est assis là et a lu trois livres différents en boucle. Un recueil de poèmes que sa mère adore, une vieille édition du troisième tome d'une série d'espionnage que son père lui avait acheté pour son anniversaire sans se rendre compte que ce n'était pas le début, et une édition intégrale et reliée de l'Iliade et de l'Odyssée.

Le point sur l'écran passe de l'arrêt précédant au sien en un instant, et soudain le train s'arrête.

— Spencer !

Il sursaute, et se retourne vers Riley qui l'observe curieusement. Son manteau, son sac, ses livres : il récupère tout précipitamment et s'extirpe au dernier moment en manquant de se faire refermer la porte sur le pied.

Personne n'est sur le quai pour le dévisager.

Spencer déglutit, et se rhabille tranquillement en se remerciant d'avoir pensé à attraper son écharpe sur le siège d'à côté. Le soudain changement de température le prend par surprise, et il se demande s'il ne va pas tout simplement s'endormir debout, au milieu de la route. En ce moment, tout paraît être plus propice au sommeil que son lit.

Une enfant fantôme a élu domicile dans le placard de sa chambre, et elle pleure toutes les nuits depuis qu'elle est là. Riley essaye encore de la faire partir : ça ne devrait plus être bien long.

— Tu viens de plus en plus souvent, remarque Riley en le suivant alors que Spencer marche vers les escaliers.

Il lui lance un coup d'œil.

— Tu vas te mettre à m'analyser, toi aussi ? Faut que t'arrêtes de me suivre au boulot.

— C'est pas dur à voir. Et en plus, j'ai simplement dit que tu venais plus souvent. J'ai pas dit ce que ça pouvait vouloir dire.

Il soupire en arrivant dans le froid de l'extérieur. Il fait encore bien nuit, les rues sont désertes, et les réverbères éclairent son chemin alors qu'il commence à prendre la direction de son appartement.

— C'est le seul endroit où c'est calme. J'ai juste besoin d'un peu de silence, c'est tout.

Riley lève les yeux au ciel, mais ne dit rien de plus. Il trottine à ses côtés, toujours en chaussettes, et encore une fois Spencer se surprend à simplement se demander pourquoi. Pourquoi Riley n'a jamais de chaussures.

Il déglutit et accélère le pas. Même en sachant parfaitement qu'une fois chez lui il n'aura plus vraiment sommeil, ça ne l'empêche pas de simplement vouloir s'allonger un peu. Sentir ses draps propres qu'il a changé le matin même, et éviter de penser à sa journée de demain.

Retourner au boulot. S'approcher d'Aaron Hotchner sans savoir comment il doit se comporter.

C'est gênant, en tout cas pour lui : parfois il se demande s'il n'a pas tout simplement détruit quelque chose. Pas ce qui se passait entre eux, non, car au final ce n'était que.... que quoi ? Quelques instants, un exutoire, trouver un peu de réconfort, pouvoir serrer quelqu'un très fort sans que ça ne lui paraisse bizarre ?

Sans que son corps se rebiffe à l'idée qu'on lui serre la main ou qu'on lui tapote l'épaule. Ça n'a pas de sens.

Peut-être que Hotch est revenu à la raison. Peut-être qu'en voyant sa femme et son fils partir il s'est rendu à l'évidence que quelqu'un comme Spencer ne lui apporte rien : Spencer a l'habitude. Il n'apporte rien à personne, si ce n'est un flot de paroles agaçant et des remarques innocentes qui ne comprennent ni l'humour ni le sarcasme.

Alors parfois, Spencer se demande s'il n'a pas en un sens éloigné un père de son fils. Il déteste se dire ça. Ça lui donne juste envie de prendre une nouvelle douche et de frotter sa peau jusqu'à se sentir moins sale.

Il inspire profondément en se rendant compte qu'il est déjà au pied de son immeuble. Un coup d'œil en arrière lui apprend qu'il a bien parcouru le chemin, et ses sourcils se froncent légèrement. Il finit par se détourner pour entrer, monter l'escalier, et sortir ses clés pour ouvrir sa porte.

À l'intérieur, il voit la figure de Riley se tendre légèrement et ça, ça le réveille. Le garçon lui lance un coup d'œil, Spencer hausse un sourcil, puis soudain il n'est plus là. Il disparaît avec un semi-sourire.

— Qu'est-ce que..., souffle Spencer avant que ses yeux ne repèrent une ombre assise sur le sol, devant son canapé.

La porte se referme dans son dos. Sur le meuble à côté de l'entrée, des clés sont posées sur le bol. Des clés qu'il n'a pas vu depuis un moment, car il les a prêté sans trop savoir pourquoi à l'homme qui est sûrement assis en silence sur son tapis.

Spencer déglutit. Il verrouille derrière lui, place son propre trousseau avec l'unique clé, puis dépose ses affaires sur le sol avant de retirer ses chaussures et de marcher en direction de son canapé. La silhouette ne fait aucun bruit, aucun mouvement, et quand Spencer fait enfin le tour il remarque qu'un rai de lumière devant de la fenêtre tombe sur les genoux de Hotch.

Aaron Hotchner, qui de toute évidence attend dans son appartement depuis un moment.

Spencer ne sait pas quoi en penser.

Il déglutit, et s'assoit très lentement à côté de l'homme qui cligne quand même des yeux. Il a l'air épuisé, assis là dans le noir, alors Spencer prend soin de faire ça silencieusement. Il déteste les bruits forts dans la nuit, et sait qu'Hotch n'a pas besoin de ça.

Installé à côté de lui, épaule contre épaule, il attend un instant. Finalement, Spencer murmure :

— Jack ?

— Chez Jessica.

La voix de Hotch est embrumée de sommeil. Depuis combien de temps n'a-t-il pas dormi ? Spencer n'a aucune envie de voir un miroir de ses propres cernes sur le visage d'un tel homme : un homme qui a refusé de céder à un tueur en série, et qui a bien failli tout perdre.

— On devait y passer la nuit, mais je...

Il déglutit. Spencer voit sa pomme d'Adam rebondir sur la ligne de son cou.

— Tu étais où ?

Ce n'est pas une accusation. Il l'entend au ton, le voit à son expression. Il choisit l'honnêteté :

— Je lisais dans le métro. Ça berce.

— Tu lisais quoi ?

Spencer n'est pas très fort en sous-entendu social. Si n'importe qui lui avait posé cette question, il aurait donné le titre et l'auteur et peut-être même l'année de publication ainsi que l'histoire autour de cette date. Il aurait abordé les thèmes principaux tout en donnant comme exemple quelques scènes, et en général il n'a pas le temps d'aller plus loin car personne n'a jamais été assez curieux pour entendre la suite.

On le remercie. On le fait taire. On échange des sourires amusés et Spencer, au milieu, ne comprend pas toujours.

Mais Hotch lui a déjà dit ça. Plusieurs fois. Aaron Hotchner, qui s'est toujours endormi avant lui (et en général c'est à ce moment que Spencer part) et qui parfois lui demande de réciter un livre, simplement pour écouter.

Une histoire avant de dormir. C'est toujours étonnant, venant de lui.

Spencer tend à oublier à quel point Hotch est un humain comme un autre, parfois.

Il inspire.

— Mon père m'a offert le troisième tome d'un roman d'espionnage quand j'avais 6 ans. Je ferais sans doute mieux de commencer par le premier.

Il avait été l'emprunter à la bibliothèque du coin, deux jours plus tard. Spencer voit encore parfaitement chaque page : il lui suffit d'ouvrir le bon tiroir, de se replacer correctement contre l'assise du canapé, et d'ouvrir la bouche.

Les mots coulent de ses lèvres.

Au bout de quatre minutes et trente-deux secondes, il sent la main brûlante d'Aaron Hotchner se faufiler jusqu'à la sienne. Et même si Spencer déteste tenir les mains, il ne se dégage pas et continue de réciter en essayant d'y mettre l'intonation.

Car quand sa peau touche la sienne, les voix trop bruyantes des fantômes disparaissent enfin, et le calme manque de le faire s'endormir sur-le-champ.

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Des bisous !

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