𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚝𝚛𝚎𝚗𝚝𝚎-𝚎𝚝-𝚞𝚗
Bonne lecture !
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C'est le bruit d'une porte qui claque au loin qui le force à ouvrir les yeux.
Spencer ne sait même pas quand est-ce qu'il a bien pu s'endormir : il regarde le mur en face de lui, frissonne violemment face à la fraîcheur de la pièce et à son corps sans chaleur, puis déglutit difficilement. Sa gorge est si sèche qu'il a l'impression d'avaler du papier, mais la sensation passe et repart.
C'est au moment où la tentation de simplement se rendormir se fait plus forte que le reste qu'une voix s'impose au milieu de toutes les autres. Une voix qui, étrangement, ne semble pas résonner directement à l'intérieur de sa tête.
— Reid ? Reid, t'es là ?
Il met sûrement quelques instants de trop à la reconnaître. Ainsi, quand Aaron Hotchner ouvre la porte de sa salle de bain en grand, Spencer est sincèrement étonné de le voir là. Ça n'a pas grand sens.
La lumière du couloir lui fait mal au yeux lorsqu'elle illumine la pièce sombre. Mais ça n'est rien en comparaison de la douleur qui déchire son crâne quand Hotch allume celle du plafond de la pièce.
Spencer gémit bruyamment en fermant rapidement les paupières. Il n'arrive même pas à lever la main pour la placer devant ses yeux.
— Spencer ? Mais qu'est-ce que tu...
La voix d'Aaron meurt dans sa gorge. La bouche entrouverte, les yeux écarquillés : son regard se pose sur le corps recroquevillé de Spencer et tout à coup il ne sait sûrement plus quoi dire. Il porte encore une fois un costume bien repassé, une cravate bien serrée, et des chaussures brillantes.
Spencer le remarque en écartant suffisamment ses doigts pour apercevoir le bout de ses Richelieu bien cirées.
— Nom de Dieu de.....
Hotch déglutit bruyamment.
— Merde.
Spencer n'entend que des bruits : des vêtements qui se froissent, des pas vers lui (lents, hésitants). Soudain, des doigts brûlants sont sur sa peau et il se tord en serrant les dents. Il met quelques secondes à se rendre compte qu'Aaron Hotchner vérifie le creux de ses bras.
Il n'y trouve aucune trace d'aiguille, évidemment.
— Spencer ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi est-ce que tu es....
Il parvient à ouvrir les yeux à peu près correctement. Les sourcils d'Aaron sont froncés, ses lèvres sont presque blanches tellement il les serre fort, et il est soudain à sa hauteur. Si proche.
— Tu es tellement maigre, soupire-t-il en écartant une mèche du front plein de sueur de Spencer. J'avais vu que tu avais perdu du poids, mais pas à.... pas comme ça. Qu'est-ce qui se passe ?
Il demande sincèrement. Agenouillé à côté de lui, il essaye vaguement de le redresser en attrapant ses épaules. La première chose que Spencer arrive à dire entre ses lèvres craquelées, c'est :
— Je pensais que les costumes le week-end, c'était un mythe....
Il tente un sourire, mais son visage engourdi refuse de bouger. Celui d'Aaron se froisse un peu plus, si possible.
— On est lundi. On a essayé de t'appeler toute la journée. J'ai dit aux autres que je passerai chez toi en partant, puisque tu m'avais donné ta clé, au cas où....
Spencer tousse. Il se sait pas d'où ça vient, mais en se redressant une toux sèche s'échappe de sa gorge et il s'étouffe presque avec le peu de salive qu'il lui reste.
— Tu as de la fièvre, remarque Hotch en poussant le dos de sa main sur son front. Pourquoi est-ce que t'es à moitié nu sur le sol de ta salle de bain ? Si tu es malade, il fallait rester dans ton...
Il se tait. Même lui n'arrive même pas à faire semblant, apparemment.
— Ton appartement est un vrai foutoir. J'ai cru que quelqu'un t'avait attaqué, en entrant.
Il hésite à demander, Spencer le voit. Il finit tout de même par entendre :
— C'est toi qui as fait ça ?
Hochement de tête.
— Pourquoi ?
Spencer n'a pas de réponse à lui donner. Hotch essaye de le tirer, de le remettre sur ses pieds, mais son corps n'est qu'un poids lourd (enfin, sûrement pas si lourd que ça) moue comme de la gelée. Il finit par abandonner, n'ayant pas assez de place pour le soulever sans lui faire mal.
— Depuis combien de temps t'es là, Spencer ?
— ... sol ?
— Oui.
— Lundi, hm ? Depuis....samedi, sûrement.
Il avale la moitié des syllabes, et crache presque le reste. Jamais les mots n'ont été aussi difficiles à sortir.
— Depuis deux jours ?
Soudain, une véritable inquiétude s'étale sur son visage. L'étonnement et le remord disparaissent, la simple curiosité aussi : il ne reste qu'une peur honnête que Spencer ressent très bien car Aaron serre ses mains autour de ses poignets.
Pendant une seconde, il a peur de les sentir se briser comme deux pauvres tiges de verre.
— Tu as mangé ?
Spencer secoue la tête.
— Bu quelque chose ?
Même chose.
— Tu es allé aux toilettes ?
Cette question le surprend assez, mais tout à coup Spencer laisse sa main droite tomber le long de son corps. Ses doigts tâtent le sol sous lui : il est sec.
Il secoue lentement la tête, et déglutit. Sa fièvre lui paraît bien plus réelle.
— Merde.
Un ultrason lui vrille soudain le crâne : Spencer inspire brutalement et se tord sur le côté. Il se rend compte, au même moment, de la douleur sur le côté de son ventre et soudain c'est un peu trop. Alors, même s'il ne peut sans doute pas se permettre de perdre le peu d'eau qu'il lui reste dans le corps, il se met doucement à sangloter.
— Spencer ? Ça va aller, d'accord ? J'appelle 911, ils seront là bientôt.
Spencer fixe le téléphone d'où vient ce bruit atroce, et continue d'inspirer petit à petit. Il faut qu'il se calme, qu'il réfléchisse, qu'il se décide à — rien ne vient, son cerveau n'est qu'un brouillard si épais qu'il ne voit même pas le bout de ses doigts.
Sa main attrape la manche d'Aaron au moment même où il compose le numéro.
— Ils ne....pourront sûrement rien faire pour moi.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
Il y a longtemps, Aaron Hotchner l'a entendu parler tout seul. Ou presque : enfermé dans la salle de bain, Spencer a discuté quelques secondes de trop avec Riley. En sortant, une serviette autour de la taille, il a trouvé Hotch assis sur le coin du lit avec une mine très peu ravie.
« Qui est Riley ? »
Spencer se souvient d'une petite dispute, ou en tout cas de quelque chose qui y ressemble : il n'avait pas fait le lien, sur le moment. Il pensait que Hotch avait compris. En vérité, l'homme pensait juste qu'il venait d'appeler quelqu'un dans sa salle de bain, alors même qu'ils s'apprêtaient à passer la nuit ensemble (ou une bonne partie).
À présent, Spencer se demande s'il n'avait pas été jaloux. L'idée lui paraît incongrue.
— Tu m'avais demandé qui était Riley.
— Quoi ?
— Il y a trois ans, trois mois et douze jours, tu m'as demandé qui était Riley.
Il ne sait pas d'où ça lui vient : d'où cette force, cette salive, ce regain d'énergie lui proviennent.
— Spencer, c'est sûrement pas le moment de....
— Je t'ai répondu que c'était quelqu'un des réunions. Que c'était.... comme un parrain.
Hotch ne dit rien. Il s'en souvient, Spencer le voit.
— J'ai menti.
Il ignore l'air blessé qui passe sur son visage. Il ignore la manière dont la mâchoire d'Aaron se crispe. Il ignore ses petites rides au coin des yeux, et son expression inquiète.
— Écoute, j'ai bien compris qu'on était pas sur la même longueur d'onde. Je suis désolé d'être parti, j'avais juste besoin de temps pour réfléchir, mais si quand on était... ensemble ou peu importe, tu as vu d'autres gens c'est pas le moment de....
— Riley, coupe Spencer dans un souffle. Riley est le petit garçon mort dans la cave. Celui dont on a résolu l'affaire, il y a.... longtemps.
Les dates se brouillent. Les mains de Hotch se resserrent sur ses bras.
— Spencer....
— Riley, c'est le petit garçon que je vois depuis mes sept ans. C'est le garçon qui me suit partout depuis. C'est celui qui était là lors du départ de mon père, lors du départ d'Ethan, lors du départ d'Elle, lors du départ de Gideon.....
Il renifle bruyamment. Son sanglot lui fait mal.
Aaron ne semble toujours pas comprendre.
— Riley est le fantôme que je vois partout depuis des années. C'est le fantôme à qui je parle depuis des années.
C'est douloureux. Car il sait, au fond, que s'il ne le dit pas maintenant, que s'il ne se force pas à tout expliquer, alors il n'en aura plus jamais la force. S'il se réveille à l'hôpital, hydraté et nourri par sonde, avec une vessie encore en bon état, alors il va sourire et personne ne se doutera de rien.
— Ce n'est pas le premier. D'abord il y a eu la femme sur l'aire de jeu, quand je suis rentré après avoir passé la soirée attaché au poteau de but. Et la femme du quai du métro. Et les musiciens, dans la rue. Et...et tellement d'autres.
— De quoi tu parles, Spencer ? Je... je suis pas sûr de comprendre.
Le tremblement dans sa voix lui indique qu'au contraire, il commence à très bien comprendre.
— Peut-être qu'au début, c'était simplement parce que j'étais un enfant et que je me sentais seul. J'ai toujours cru que j'avais un don. J'ai toujours cru que... que ça n'avait rien à voir. Je l'ai jamais soupçonné. Mais c'est une caractéristique, non ? On le sait jamais. On le voit pas venir.
La main d'Aaron se pose sur sa bouche, sûrement pour cacher la grimace peinée qui s'installe sur ses traits.
— Ça fait presque deux ans que je vois Gideon. Normalement, je sais toujours. Je sais toujours quand ce sont des fantômes. Mais lui.... lui je l'ai enlacé. Il m'a préparé à manger. Il a joué avec moi aux échecs. Il m'a apporté du café.
Il renifle.
— Quand tu es venu.... quand tu es venu, il était là. Et je me suis retourné. Et il n'y avait plus que toi.
La douleur lui scie le crâne en deux : la lumière du plafond va le rendre fou, c'est certain. Cette pensée lui arrache un éclat de rire malvenu.
— J'ai toujours cru que j'avais un don. J'entends des voix et je vois des fantômes depuis des années, et je croyais avoir un don.
La suite le prend par surprise. La seconde d'avant Spencer fixe le mur en face de lui avec les joues humides, puis tout à coup des bras l'entourent, le serrent, et le ramènent contre une chemise et un torse qui sent bon l'eau de cologne.
Les voix se taisent un peu. Pas complètement, mais suffisamment pour que Spencer se relaxe et ferme les paupières.
— Je suis désolé, souffle Hotch.
— De quoi ?
— De n'avoir rien remarqué.
— Tu l'as dit toi même : je suis un peu bizarre, c'est comme ça. Personne n'aurait pu le remarquer.
— Je n'ai pas dit ça pour....
— Je sais pourquoi tu l'as dit. Tu n'es pas le premier. Enfin... à le dire comme une bonne chose, si peut-être.
Aaron le serre un peu plus fort. Spencer a l'impression de fondre. Il ne pense même pas à sa peau sale et moite, à son odeur sûrement douteuse, à la douleur de son ventre. Il ne pense pas à grand-chose.
— Je suis désolé, souffle Spencer.
— De quoi ?
Il pense répondre. Il pense répondre quelque chose comme « pour tout », « pour le reste », « pour t'avoir laissé m'aimer », « pour ne pas avoir compris », « pour avoir fait en sorte de pas comprendre, pour ne pas avoir pris de risque ». Il en a réellement l'impression. Un sourire vague, une inspiration plus hachée. Il ajoute :
— C'était... plus qu'égoïste.
Il n'y a personne pour lui crier, intérieurement, que personne ne l'apprécie assez pour ça. Ne l'apprécie assez pour dire « Je suis amoureux de toi, Spencer ». Aaron ne l'a pas dit, pas vraiment : ce qu'il pensait n'était pas si clair. Tout à coup il n'y a que le silence.
— Spencer je —
Et il ne sait pas trop ce qui se passe ensuite. S'il s'endort simplement, ou s'il s'évanouit enfin.
En tout cas, il a finalement ce qu'il veut. Le calme n'a jamais été aussi cher payé.
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Des bisous !
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