𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚝𝚛𝚎𝚒𝚣𝚎

Bonne lecture !

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Spencer est arrivé dans le bâtiment à 10h30 précisément, spécialement pour l'heure à laquelle sa mère aime prendre son thé.

Il est arrivé avec le pull qu'elle a complimenté pendant sa dernière visite, a salué le personnel avec un sourire poli (et heureux, il l'est toujours en rentrant à Vegas) puis a attendu que la femme de l'accueil accepte de le laisser passer. Le reste du chemin, il le connaît par cœur.

À présent, sa mère caresse distraitement le livre posé sur ses genoux, celui qu'elle a refermé à son arrivée. Assise dans le grand fauteuil près de la fenêtre, celui dans lequel elle s'installe toujours lors des bons jours, elle écoute son fils parler avec un doux sourire. Spencer a tiré une chaise pour se mettre à côté, juste après qu'elle l'a serré dans ses bras et observé sous toutes les coutures.

— Et maintenant, j'ai le droit de porter une arme. Je pensais sincèrement ne jamais obtenir ma certification mais finalement je.... je pense qu'il fallait juste que je trouve la bonne concentration.

Hotch a essayé de lui faire prendre des jours de repos après la dernière affaire : un tir en plein dans la tête, et Spencer a pour la première vu un homme s'écrouler mort à cause de lui. Il y a pensé, ces derniers jours, mais pas assez pour vouloir prendre un congé ou encore pour rater son examen.

Les deux jours de week-end suffiront largement, et c'est pour cette raison que Spencer a pris le premier avion pour Vegas sans réellement y penser. Ça fait un moment qu'il n'a pas eu cette envie, celle de simplement retrouver sa maman et de la sentir le serrer fort. C'est de ça que Spencer a besoin parfois, pas d'une tape sur l'épaule ou encore une poignée de main, mais un câlin puissant qui réactive la sérotonine de son corps afin de calmer son cœur agité et ses mains tremblantes.

Sa mère le fait. Elle le fait tout le temps. Elle le fait très bien.

— Et avec tes collègues ? Tout se passe bien ? Tu disais dans tes lettres....

— Oui. Je.... je trouve mes marques.

Il sourit avec gêne, car il sait très bien ce qu'elle s'apprêtait à dire. Spencer ne sait pas faire la part des choses : soit il n'arrive pas à s'attacher, soit il considère des personnes comme étant des membres de sa famille. Il n'y a pas d'entre-deux, pas de demi-mesure, il en est tout simplement incapable.

— Ce ne sont pas tout à fait des collègues. On se voit plus de quatre-vingt heures par semaine parfois, alors ce sont plus des.... des...

Il déglutit.

— Des amis ?

— Des amis ? Oh, Spencer, tu ne vois toujours personne en dehors d'eux ?

Sa mère lui retourne un regard significatif. Sa bouche se tord légèrement.

— Je.... parle avec les habitués du petit théâtre de mon quartier mais je crois qu'ils ne m'aiment pas beaucoup. Et j'ai essayé de discuter avec le facteur qui m'apporte les revues auxquelles je suis abonné, mais il finit toujours par partir au milieu d'une de mes phrases. Et il y avait aussi ce groupe à la dernière journée Doctor Who, mais je les ai sûrement vexés à un moment ou à un autre, même si je ne vois pas bien quand. Mais... un vieil homme m'a posé des questions sur l'utilisation des armoiries familiales au moyen-âge en Europe occidentale, à la bibliothèque, peut-être qu'il sera là à nouveau la semaine prochaine. Peut-être que si on discute régulièrement ça sera comme s'il était mon ami.

Sa mère tend la main pour la poser sur la sienne. Il ne se retire pas, car au vu de leur état, elle doit passer sa journée à les nettoyer intensément.

— J'ai aussi parlé avec ma voisine il y a deux semaines. Elle m'a demandé du sel. C'est un début ?

— Oui, chéri. C'est un début.

Spencer a envie de lui parler encore davantage, de lui dire qu'il y a Riley, qu'il y a l'adolescent trop bavard dans les escaliers de son immeuble, qu'il y a le chanteur au coin de la rue, et le SDF qui lui raconte toujours un anecdote sur l'armée. Il a envie de lui parler de la femme dans l'épicerie d'en face qui lui indique toujours quand les légumes sont frais ou à éviter, et le musicien qui joue des heures devant chez lui le matin. Il a envie de lui parler du couple de personnes âgées qui se disputent dans la laverie, et qui finissent toujours par lui demander de trancher.

Il a envie, mais ça ne sera pas juste. Les fantômes, c'est différent : ça l'a toujours été.

— Et toi ? Comment ça va ?

— Honnêtement, ça pourrait aller mieux. Il y a Delphine, juste en face, qui vient tout juste de changer ses médicaments et ça la rend insupportable : elle commence même à développer des tendances kleptomanes alors je suis obligée de cacher mes livres au risque qu'elle me les vole.

Elle claque sa langue avec une expression irritée, et Spencer sourit tendrement. Sa mère reprend sa main, qu'elle avait posée sur la sienne, et fait un signe dans l'air avec désinvolture.

— Enfin, ce n'est rien à côté de mes nouveaux médicaments qui m'assèchent la peau mon chéri, tu n'imagines même pas à quel point. Enfin, ils ont l'air de bien fonctionner pour l'instant mais je ne veux pas devenir un reptilien pour autant. Oh, j'ai bien reçu ton colis, d'ailleurs. Mon chéri, il ne fallait pas : tous ces livres ont dû te coûter une fortune.

Elle hausse un sourcil avec un sourire en coin et Spencer rit doucement.

— Je gagne bien ma vie, maman. Je suis payé pour mes conférences et mes interventions, et en plus de ça je crois que je n'ai pas besoin de te rappeler que je travaille pour le....

— Dis-le, et je vais devoir te mettre dehors mon chéri. Tu veux froisser ta mère ?

Elle plaisante, son ton est doux et presque joyeux, mais Spencer n'a pas oublié la crise qui a suivi le moment où il est venu lui annoncer qu'il avait accepté un poste pour le gouvernement. Le gouvernement qui est, depuis toujours, le récepteur de la schizophrénie paranoïde de sa mère : elle a mis des jours à se persuader que son propre fils n'était pas venu placer des micros dans sa chambre.

— J'ai vu ces livres et j'ai pensé à toi. J'en ai encore à te donner mais comme c'est bientôt ton anniversaire, je me suis dit que je pouvais les garder jusque là.

L'expression de Diana se froisse légèrement. Ça ne dure qu'un instant, une seconde à peine, mais son sourire se fige et le regard qu'elle porte sur lui se voile. Elle souffle, expire, puis murmure :

— Oh, mon chéri...

Son autre main se resserre autour de la couverture du livre sur ses genoux.

— Je suis contente de te voir aujourd'hui. J'ai rêvé de toi cette nuit il me semble, même si j'ai oublié depuis.

Sa main se lève entre eux, hésite légèrement, puis se pose sur sa joue. Spencer flanche, car il sait très bien que de ce côté, un bleu énorme commence lentement à disparaître : il a beau avoir dit à Hotch qu'il frappait comme une fillette, la marque met du temps à disparaître. Un coup de pied dans la mâchoire, ça ne loupe pas.

Ces coups les ont sauvés tous les deux. Et Spencer a mis une balle dans la tête de celui qui a obligé son patron à le battre à mains nues.

— Maman, est-ce tu pourrais...

Son regard se lève doucement, mais Spencer remarque que Diana ne le regarde pas : elle fixe un point, derrière son épaule. Il s'apprête à se retourne quand il le sent : il les sent toujours arriver, ça a toujours été comme ça.

Un petit frisson, un sixième sens, ou quoi que ce soit d'autre, dans tous les cas Spencer Reid sait toujours quand un fantôme est dans la pièce. Et il sait, là tout de suite, que quelqu'un vient d'apparaître dans son dos, pile dans la direction où sa mère regarde.

Lentement, très lentement, il se retourne et ses yeux tombent sur une femme en robe blanche. Spencer ne voit que son dos, car elle chante à voix basse un air qui lui est inconnu tout en replaçant correctement les fleurs dans le vase devant elle.

Un vase, placé sur l'une des étagères de la grande bibliothèque de sa mère, où Spencer a mis les fleurs qu'il a ramené en arrivant.

Il se tourne à nouveau vers sa mère, avec l'impression que son sang est gelé dans ses veines. C'est impossible : il a vérifié au moins des centaines de fois dans son enfance, et il est certain que Diana ne peut pas voir les fantômes. Certains sont passés devant son nez tant de fois, Riley a déjà soufflé sur son visage alors qu'elle avait les yeux ouverts, Spencer a entendu des voix hurler sans qu'elle ne remue ne serait-ce qu'un sourcil.

Ça lui a brisé le cœur, car il avait au fond espéré que son don soit héréditaire : que sa mère ne soit pas vraiment malade, simplement incomprise. Qu'elle ait un jour confié son secret à la mauvaise personne et qu'on l'ait diagnostiquée folle, car les fantômes ce n'est pas censé exister.

Elle ne les voit pas. Et elle en regarde un.

— Maman ?

Les sourcils de Diana se froncent un peu plus, et sa main qui était posée sur la joue de son fils retombe entre eux. Quand ses lèvres s'entrouvrent, il s'attend à tout et son cœur bat la chamade.

— Il me manque un livre, décrète-t-elle.

Spencer cligne des yeux.

— Quoi ?

— Il me manque un livre. J'ai pris celui-ci ce matin en me levant et il y en avait un autre juste à côté. C'était une édition limitée de l'anthologie de Thomas Hardy que ton père m'a...

Elle se mord la lèvre.

— Il y avait un livre juste à côté des fleurs.

Il y a deux ans, elle aurait été incapable de se souvenir de son repas du midi : ses médicaments sont de mieux en mieux prescrits et dans un sens Spencer se sent presque fier de l'entendre dire ça. Il se sent aussi déçu, mais refuse de s'y attarder trop longtemps car c'est égoïste et terriblement affreux.

Il ne veut pas être un mauvais fils. Un plus mauvais fils qu'il ne l'est déjà.

— Il n'y avait pas de Thomas Hardy quand j'ai déposé les fleurs.

— Oh, cette sombre bourrique de Delphine. Je vais lui dire que j'ai un fils dans la police, ça va la calmer.

— Je peux aller la voir en partant, si tu veux. Et récupérer ton livre.

Elle l'observe à nouveau, puis un sourire apparaît sur ses lèvres.

— En fait, j'aimerai beaucoup aller faire un tour avec toi. J'ai quelques personnes à qui te présenter, dont une qui refuse de me croire quand je dis que mon fils est un adorable garçon intelligent. Elle dit que ça n'existe pas.

Spencer rit doucement. Il la regarde se lever et poser l'œuvre sur ses genoux juste à côté sur une petite table.

— Je ne suis pas sûr que tu prouves quoi que ce soit comme ça, mais...

— Je vais te fesser si tu ne te tais pas, jeune homme.

Elle lui pince la joue.

— J'ai élevé un beau garçon et un gentleman.

Comme réponse, il lui tend son bras qu'elle attrape immédiatement : ce n'est pas simplement par politesse, car elle s'appuie réellement sur lui comme sur une canne. Ses jambes deviennent de plus en plus tremblantes ces derniers temps, d'après les infirmières.

— En route. On fera un détour pour récupérer mon bien sur le chemin du retour.

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Des bisous !

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