𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚜𝚎𝚙𝚝
Bonne lecture !
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Spencer entend du bruit dans le salon.
Il ouvre les yeux et le monde est flou jusqu'à ce qu'il tende le bras vers sa table de nuit. Se redresser lentement, bâiller, mettre ses lunettes sur son nez, puis constater qu'aucun rayon de soleil ne passe à travers le store fermé de sa fenêtre.
Il tourne la tête. Son réveil lui annonce qu'il est 6H15. Il s'est endormi deux heures plus tôt à peine.
Un niveau bruit attire son attention et Spencer se tourne vers la porte. Assis dans son lit, les couvertures remontées jusqu'à son bassin, il voit Riley apparaître sur le côté mais ne le regarde pas : à la place il se lève lentement et marche. Si son père le voit debout à cette heure un dimanche matin, il va sûrement se faire gronder.
Ça pourrait être rien du tout. Ou ça pourrait être sa mère pendant un de ses mauvais jours, qui est persuadée que des mouchards sont cachés dans les murs. La semaine passée, elle a cassé la TV d'un geste rageur et s'est coupée le pied avec les morceaux au sol. Apparemment l'objet lui a parlé, et l'a menacé de prendre son fils. Elle a dormi avec Spencer cette nuit-là.
Il inspire profondément, et pose la main sur la clenche. Dans son dos, il sent Riley disparaître.
Aucune lumière n'est allumée dans la maison, ce qui pourrait être bon ou mauvais signe. Ça ne veut rien dire. Parfois la lumière donne des migraines à sa mère, et parfois l'obscurité l'effraie. La routine pourrait l'aider, mais la routine ne veut tout simplement pas venir : Spencer inspire et marche lentement vers le salon.
Il entend la porte s'ouvrir et se fermer. Il s'arrête, les yeux grands ouverts dans le noir.
Spencer attend.
La porte s'ouvre et se ferme à nouveau, alors il se remet en marche.
Dans le salon, il y a des valises. Des sacs. En tendant l'oreille, il distingue le moteur de la voiture qui tourne à l'extérieur ainsi que des pas sur le perron de leur maison : il fait nuit, c'est l'hiver, et les phares ne sont pas mis en marche.
Spencer reste planté à côté du canapé, fixe toutes ces affaires si dérangées en se souvenant de leur exact emplacement dans la maison. Des gouttes tombent du robinet dans la cuisine juste à côté, un chien aboie dans le quartier, l'odeur du matin et de la fraîcheur règne dans la pièce.
Finalement, la porte s'ouvre à nouveau et une silhouette se fige dans l'embrasure. Son regard croise celui de son père.
Pendant une seconde, il ne se passe rien. William Reid l'observe avec surprise, les yeux écarquillés ; Spencer attend, la bouche entrouverte. Il sent sa main trembler légèrement sans trop savoir pourquoi, et la place vide du meuble TV le hante un peu. Il a envie de se retourner vers Riley qui vient d'apparaître dans son dos, perché sur un meuble en bois.
Mais il ne bouge pas, jusqu'à ce que les traits de son père changent peu à peu en une expression différente. Il l'étudie attentivement, dans le contre-jour de la lumière du réverbère. Celle-là, il la connaît : sa mère arbore la même lorsque ses doigts tremblants laissent échapper une assiette, un verre, un livre. Lorsqu'elle attrape son fils un peu trop fort et que ça lui laisse des bleus. Quand elle hausse la voix soudainement.
Spencer lit toujours les effets secondaires des médicaments que prend sa maman : il les lit, puis va chercher leurs significations et leurs compositions dans des livres de médecine. Ce n'est jamais beau à voir. Ça lui donne envie de vomir.
Ce qu'il lit sur le visage de son père, c'est de la culpabilité. Il entend à peine sa voix quand ses lèvres s'ouvrent :
— Papa... ?
Le visage de William se froisse complètement. Riley fait un bruit étrange derrière lui, au même moment où des voix arrivent : des voix qui comptent et qui parlent et qui se rapprochent et tout à coup l'émotion menace de tordre Spencer en deux. Il entend un vieux couple se disputer, un bébé pleurer, une femme faire « shhh » tendrement, un coach crier, un policier lui ordonner de ne plus bouger.
Spencer ne sait pas trop ce qui se passe. Il ne sait pas trop pourquoi d'un coup il entend toutes ces voix, tous ces fantômes qui doivent se trouver aux alentours et qui décident de lui hurler dans les oreilles sans se montrer.
Son champ de vision se rétrécit. Il ne reste plus que deux valises dans le salon, et Spencer sait ce que ça veut dire car même s'il ne comprend pas tout, il n'est pas non plus stupide. Il comprend les maths, mais pas le sarcasme. Il comprend la théologie, mais pas les expressions. Il comprend pourquoi le corps sécrète des larmes avec l'émotion appelée « tristesse », mais il ne sait pas la lire dans un regard.
Il se demande si son regard parle, là tout de suite.
Si son père, lorsqu'il avance vers lui en deux grands pas paniqués, voit quelque chose à l'intérieur de ses pupilles écarquillées. Les voix continuent : un chasseur vient de faire feu sur une pauvre biche qui n'existe pas et Spencer va sûrement se briser si on le touche.
Son père pose ses mains sur ses épaules, si fermement que ça le fait trembler sur ses jambes.
Il ne se brise pas.
— Spencer, dit-il d'une voix qui couvre à peine le vacarme.
Il l'entend bien, pourtant. Comme si Spencer avait un casque sur les oreilles qui lui transmettait directement les mots de son père. Son prénom résonne un instant.
— Papa, tu....
Sa voix à lui est humide et fragile et toute petite parce qu'il comprend.
— Spencer, écoute-moi mon grand.
Son père est pile poil à sa hauteur.
— Il faut que tu fasses quelque chose pour moi, d'accord ? C'est très important.
Spencer met quelques secondes de trop à acquiescer lentement.
— Il faut que tu t'occupes de ta mère. Que tu la surveilles. Il faut que tu fasses ça pour moi.
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?
— Il faut que tu gardes un œil sur elle, mon grand. Rien n'est de sa faute, mais fais attention. Je l'aime énormément.
Les lèvres de Spencer s'ouvrent pour demander égoïstement et moi ? Elles s'ouvrent mais il les ferme immédiatement car une grosse voix hurle « Billy baisse cette putain d'arme on est pas à la foire ! » et une seconde après un chien aboie.
— Je vous aime tellement.
Son père l'entraîne contre lui, contre son torse et dans son cou qui sent le parfum et l'eau de Cologne, qui sent la lessive de la maison et l'odeur humide du matin. Spencer ne peut pas pleurer. Il n'est même pas certain de comprendre, finalement.
Soudain son père le lâche et se redresse. La chaleur le quitte, Spencer tremble fort et renifle. Les voix lui cassent les oreilles et il a à la fois envie de se recroqueviller en posant ses mains sur ses oreilles, et à la fois envie de hurler à son tour pour leur demander de se taire.
Il ne fait rien, et reste les bras ballants lorsque William Reid passe à côté de lui pour attraper les deux valises et les tirer derrière lui. Il n'offre même pas un dernier regard à Spencer qui ne le quitte pas des yeux.
Il ne se retourne pas en disant presque en chuchotant :
— N'oublie pas.... ses médicaments. Travaille bien à l'école. Ne te couche plus aussi tard.
Spencer voit ses lèvres se pincer, puis en deux pas de plus son père est sur le palier. La porte se referme.
Le claquement appelle le silence, et c'est si brutal que Spencer porte sa main à son cœur dans un souffle douloureux. Son corps bat trop fort et il reste ainsi jusqu'à ce que ça passe. L'obscurité et le silence : les phares qui s'allument, la voiture qui recule dans l'allée, puis plus rien.
Plus rien du tout.
Les voix se taisent. Il n'y a plus personne.
Dans son dos, Riley demande :
— Alors... il ne reviendra pas ?
Et cette fois, pour la première fois depuis que Spencer est capable d'entendre des questions, il répond honnêtement :
— Je... je n'en sais rien, Riley. Rien du tout.
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Des bisous !
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