𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚜𝚎𝚒𝚣𝚎

Bonne lecture !

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Spencer ne parle pas à Gideon pendant deux semaines.

Il ne sait pas trop pourquoi : sa peau est trop petite, trop étroite. Les regards l'irritent, les questions de Prentiss l'énervent, et il se sent tout le temps sur ses gardes. « Je suis un drogué » est inscrit en énorme sur son front, et Spencer veut juste qu'on arrête de s'intéresser à lui.

Il veut arrêter de parler, il veut dormir, il veut que ça s'arrête.

Alors il ne parle pas à Gideon pendant deux semaines. Puis se pointe un soir sur son perron.

— Spencer.

Il n'a pas l'air particulièrement étonné, ni particulièrement heureux. En ce moment c'est un peu comme ça : Gideon ne rit plus, ne sourit plus, ne le touche plus. Il ne l'interroge plus par surprise, ne lui offre plus de regard fier lorsque Spencer répond correctement, et ne plaisante plus avec une expression sérieuse.

Gideon l'observe. Spencer plisse les yeux car la lumière qui s'est automatiquement allumée au-dessus de la porte lui fait mal.

— Je... je peux entrer ?

Il n'a même pas pensé au fait que la réponse pourrait être non. À l'époque de l'académie, Gideon ne lui aurait jamais dit non : Spencer passait ses journées avec lui, avec ses livres, avec ses dossiers classés, résolus ou non.

Mais Gideon s'écarte du passage et le laisse entrer. Il disparaît à l'intérieur de sa maison, en enfonçant ses mains dans ses poches tandis que la porte se referme dans le dos de Spencer. Chez lui, tout est toujours un peu en bazar. Les meubles sont trop chargés, trop gros, trop nombreux. La lumière ne rentre pas bien, les couloirs sont étroits et les pièces assez petites.

Gideon marche jusqu'au salon où la TV est allumée mais silencieuse. Il ne lui adresse pas un regard de plus, et Spencer peut voir du coin de l'œil que leurs cernes se valent presque. Gideon a l'air épuisé, Spencer est à deux doigts de se rompre.

— Je... je venais rapporter ça.

Il sort de sa sacoche deux gros ouvrages, puis les pose sur le dessus de la table basse. Il y a des papiers, un bol vide, une bouteille d'eau à moitié bue. Ses yeux parcourent les mots qu'il peut apercevoir et ce ne sont que des vieilles enquêtes.

Encore et toujours des vieilles enquêtes.

— Merci, Spencer.

La voix de Gideon n'est pas très puissante, mais elle est douce et presque comme avant. Quand leurs regards se croisent, Spencer voit un sourire léger. Des épaules basses et une expression fatiguée, mais un sourire tout de même. Pour lui.

Il se redresse et jette un coup d'œil à la montre attachée par-dessus son pull.

— Je... je ne vais pas m'attarder. En fait, je pensais que peut-être on pourrait juste... ?

Il déglutit et fait quelques grands pas vers la seule fenêtre de la pièce. Les deux chaises posées là sont poussiéreuses, signe que Gideon ne s'y est pas assis depuis un moment.

Aujourd'hui Spencer a pris une douche et rangé son appartement. Il a passé l'aspirateur. Fait les poussières. Son nez coule en permanence depuis, et ses mains le brûlent ; il a vidé la moitié d'un tube de désinfectant sur ses doigts. Il s'est senti mieux, en fin d'après-midi. Il a mangé, puis vomi, puis a vu ces deux gros ouvrages sur sa propre table à côté de la fenêtre.

Spencer a conduit une voiture pour la première fois depuis des mois. Les jambes engourdies, il a sans doute été trop généreux avec l'embrayage.

— Spencer...

Gideon a l'air vraiment fatigué. Il passe une main sur son visage. Spencer est sans doute insensible, car il pose sa sacoche au sol et s'assoit sur la chaise sale en inspirant très fort. L'envie commence à revenir : les voix chez Gideon ne sont pas forcément insupportables, mais il y a toujours cette femme qui pleure et gémit dans le coin de la salle de bain. La première fois que Spencer est venu, elle lui a carrément foutu les jetons.

— Pas longtemps, promet-il. Juste... juste un peu.

Devant lui, sur la table, les pièces aussi ne sont pas très propres. Il tend une main incertaine vers chacune d'entre elles pour les remettre à leur place sur le plateau, puis lance un nouveau coup d'œil en direction de son mentor. Il ne bouge pas pendant quelques secondes, avant de s'avancer vers lui.

Il s'installe face aux blancs. Ses doigts déplacent un pion. Spencer soupire de soulagement et fait de même.

Son cerveau se met doucement en marche. Il y a les stratégies, tangibles : ça il connaît, ça il maîtrise.

— Je voulais juste... savoir comment ça allait.

Il ne sait pas pourquoi il fait ça. Pourquoi il essaye de montrer que quelque chose ne va pas. Qu'espère-t-il ? Que Gideon va d'un coup lui faire « et toi, mon garçon ? Comment ça va ? ». Gideon ne lui a jamais demandé : il lui a simplement dit qu'il était fort, et qu'il pouvait surmonter ça.

Spencer n'a pas eu le droit à un câlin. Il a eu le droit a un visage inquiet sur une vidéo, alors qu'il venait de condamner à mort un couple, alors que Charles Hankel avait une arme pointée sur son front, alors que la drogue terrassait peu à peu sa peur.

— Tu ne vas pas t'y mettre aussi ?

Ce n'est pas ce à quoi il s'attendait, alors il hausse les sourcils. Gideon soupire puis bouge une autre pièce. Au départ il avait trouvé cela amusant : battre un génie comme Spencer à un jeu auquel il excelle. Battre un génie, flatter son ego, prouver qu'il est malin. Spencer le sait, mais ce n'est pas très grave.

Les faits sont là.

— Pardon. Je ne voulais pas...

— Joue, Spencer.

Il ne sait jamais vraiment sur quel pied danser. Parfois c'est « Reid », parfois c'est « Spencer ». Avant, quand il suivait Gideon partout avec un sourire ravi, c'était toujours « Spencer ». Maintenant c'est différent.

Tellement, tellement différent. Il a l'impression d'essayer de rattraper du sable tout en étant plongé sous l'eau. Le tenir fort entre ses doigts puis les ouvrir pour constater qu'il n'y a plus rien.

Il bouge sa reine. Puis sa bouche s'ouvre avant qu'il n'ait pu prendre le temps de vraiment y réfléchir :

— Je crois que.... que j'ai un problème.

Sa voix se brise légèrement, et il écarquille les yeux. Pendant une seconde, il n'arrive pas à croire qu'il l'ait vraiment dit à quelqu'un. Spencer ne sait même pas de quoi il parle : de la drogue ? Des fantômes qui lui donnent mal au crâne à force de crier ? De Riley qui ne veut même plus le voir car « je peux pas regarder ça, Spencer » ?

Sûrement de la drogue. Ça, au moins, ce n'est pas quelque chose d'indéfectible.

Spencer retient son souffle. Il reprend lentement sa main, la serre sur son pantalon. Il pense aux traces de piqûres sur ses cuisses, dans les creux de ses genoux et de ses bras, il pense à son ventre, à ses côtes saillantes, à ses cernes, à ses yeux injectés de sang, à son appartement puant, à son lit mal fait, à sa constante envie de vomir. Il pense à sa maman.

Il pense à tout ça, et se dit que peut-être c'est le moment. Il lâche le sable, et tend une main hors de l'eau. La voix de Gideon résonne dans la pièce et en même temps, d'un geste lassé, il met le roi de Spencer en échec.

— Tout le monde a des problèmes, Reid. C'est ça, devenir adulte.

Le souffle de Spencer se relâche doucement. Il fixe le plateau devant lui, voit que le jeu ne tourne pas en sa faveur, aussi simplement que ça, et attend une seconde avant de bouger sa tour pour se protéger.

Le silence est presque assourdissant : son propre cœur, qui s'était accéléré devant son aveu, ralentit petit à petit. Bien. Il comprend.

La partie ne dure que deux minutes et cinquante-deux secondes de plus. Spencer perd. Gideon n'a pas l'air très enjoué par sa victoire : gagner contre le Dr Reid, ce n'est même plus amusant. Le silence s'étire, jusqu'à ce que Spencer se lève, prenne son sac, et murmure un « merci » du bout des lèvres.

Il trouve la sortie tout seul. Referme la porte de la maison derrière lui. Gideon ne s'est même pas levé pour le raccompagner.

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Des bisous !

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