𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚑𝚞𝚒𝚝
Bonne lecture !
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Quand Spencer rentre dans sa chambre après les cours, il n'est pas surpris de trouver Riley assis sur son lit.
La chambre est en bazar. Ou plutôt : un côté de la chambre est en désordre, et la délimitation au centre de la pièce est presque comique. Spencer marche lentement, refermant la porte derrière lui, et va de son côté pour aller poser ses affaires sur son bureau. Il a été emprunter trois nouveaux livres à la bibliothèque et s'il veut en emprunter d'autres il va devoir aller en rapporter. La responsable ne veut plus qu'il en emprunte plus de dix à la fois car apparemment les changer est ensuite très contraignant. Spencer lui a déjà dit plusieurs fois qu'il se souvenait de l'exact emplacement où il les avait retirés, mais il ne travaille pas là.
Il pourrait. Il a demandé. Ils ne recrutent pas. (À la place, pour payer le loyer de la maison où sa mère se trouve seule et dans laquelle il rentre tous les week-ends, Spencer trouve des tables de Poker clandestines et essaye de ne pas trop gagner d'un coup pour pouvoir revenir. Il n'est pas encore parvenu à entrer dans l'un des casinos de Vegas.)
Spencer ignore Riley en s'asseyant à son bureau. Il sort ses quelques notes pour ses cours, et ouvre un tiroir qui contient toutes les recherches qu'il a faites pour son doctorat : son écriture serrée et les abréviations que lui seul comprend apparaissent devant ses yeux et dans son esprit, il range tout de manière ordonnée pour pouvoir les ressortir plus tard.
— Tu boudes ?
Riley agite ses jambes. Ses yeux sont tournés vers lui, et il attend sagement que Spencer réponde.
— Non.
— T'es en colère ?
— Un peu.
Riley fait la moue.
— Je suis désolé.
— Non, c'est faux.
— Je suis un peu désolé.
Spencer refuse de relever la tête et commence à gratter sur les feuilles vierges : il va devoir tout refaire au propre avant de proposer son étude à son professeur de thèse, car si ce vieil homme tombe sur ses notes et ses paragraphes à moitié rédigés il va sûrement s'arracher les cheveux. Le professeur McDaniel est très heureux que Spencer l'ait choisi pour son deuxième sujet d'étude : d'abord les mathématiques, une réflexion très poussée qui a obsédé Spencer pendant des mois jusqu'à ce qu'il arrive enfin à une conclusion qui lui a offert son doctorat. À présent, c'est au tour de la chimie et il passe des heures et des heures dans les labos de l'autre côté du campus.
CalTech est immense. CalTech est le meilleur programme dont il puisse rêver.
— Je t'ai déjà dit que tu ne pouvais pas faire des choses comme ça, siffle finalement Spencer au bout de plusieurs longues secondes.
Il repose son stylo et relève la tête vers Riley.
— Je t'ai dit ce qui se passerait si jamais quelqu'un remarquait que je.... que je peux....
Il serre les lèvres, et Riley rentre sa tête dans ses épaules. Avant, Riley était un peu plus grand que lui : maintenant il lui arrive à peine à l'épaule.
— Tu ne peux pas faire des scènes parce que je te regarde pas, ou je te parle pas, ou alors...
— Mais tu passes ton temps avec cette fille ! On parle à peine en ce moment et je voulais juste...
Sa lèvre tremble, et Spencer déteste quand il fait ça : quand il ressemble réellement à un enfant, quand il arrête de parler comme il a appris à le faire à ses côtés, quand il lui rappelle que Spencer est vivant et qu'il peut parler avec qui il veut tandis que Riley n'a que lui.
N'aura toujours que lui.
— Riley....
— Elle est même pas si gentille, en plus. Et elle reste avec toi parce que tu avances plus rapidement qu'elle dans tes recherches.
Spencer grimace. (Il a appris et maintenant il ne peut plus s'empêcher de faire ça : il articule presque exagérément ou alors il marmonne dans son coin, il sourit plus pour montrer qu'il est content et il remue ses sourcils ou il fait la moue. Être expressif, faire des efforts, et ainsi les autres ont moins l'impression qu'il est bizarre, ou en tout cas pas de la même manière).
Il le sait. Plus ou moins. Il ne comprend toujours pas les blagues ou les intentions qui ne sont pas évidentes : cette fille lui sourit, lui dit bonjour, et s'assoit près de lui au labo. Elle est gentille. Il ne sait pas s'il a besoin de savoir qu'elle ne l'apprécie pas vraiment. Elle a au moins dix ans de plus que lui.
Et Riley a passé au moins trente minutes à agiter ses mains devant les yeux de Spencer, à marcher sur les tables, à crier pour le déconcentrer et à passer à travers le corps de cette fille.
— Riley...
— Je l'aime pas.
— Tu n'aimes personne.
— C'est pas vrai.
— Bien sûr que si ! Tu n'aimes ni mon professeur, ni la femme de la bibliothèque, ni même l'homme de ménage qui passe dans les dortoirs ! Juste parce qu'il est gentil avec moi !
Spencer soupire profondément.
— Tu n'aimes même pas Ethan.
Ça, c'est un peu plus compliqué : toutes ces affaires dans leur chambre, tout ce côté en désordre. Ethan a seize ans, est plus vieux que lui, et adore parler. Au départ, quand Spencer est arrivé ici à treize ans à peine après avoir décidé de laisser sa mère seule sous la surveillance plus ou moins incomplète d'une infirmière libérale, il était rongé par la culpabilité. Par l'envie de simplement lire et travailler et juste utiliser son cerveau qui boue depuis des années.
Lire de la littérature, des thèses, écrire, travailler, faire des recherches, parler avec des gens diplômés qui pourront le suivre et lui apprendre des choses : apprendre, apprendre, apprendre.
Alors, en arrivant le premier jour dans la chambre d'un autre petit génie bien décidé à utiliser chaque seconde de son temps à parler à ce nouveau qui est comme lui, qui est malin, qui est intelligent. Ne pas avoir à se retenir, à faire attention, à simplifier. Spencer a fini par comprendre. Par l'écouter. Par lui répondre, de temps en temps : Ethan est gentil, ne tient pas en place, et boit son poids en alcool au moins deux fois par semaine car apparemment c'est ça être étudiant.
Ethan est adorable. Ethan l'a écouté parler de sa mère. Ethan aime un peu trop les câlins et ne se vexe pas quand Spencer sent que ce n'est pas le moment (parfois c'est comme ça, ses émotions l'irritent jusqu'à ce qu'il soit à vif et un simple câlin pourrait simplement tout faire déborder).
Riley rougit et serre les poings, prêt à disparaître avec colère.
— Qui n'aime pas Ethan ?
Le visage de Spencer se fige, et son regard croise celui de Riley qui regarde au-dessus de son épaule. La voix dans son dos crée une réaction dans son ventre, une anxiété qui lui tord l'estomac et qui lui donne vaguement envie de vomir. Soudain il a l'impression que son corps entier est rempli de fourmis.
Riley disparaît. Spencer se retourne lentement.
— Ethan.
L'adolescent en jean et sweat-shirt hausse un sourcil. Il a coupé ses cheveux courts la semaine passée, et passe son temps à dire à Spencer que les siens sont trop longs (et tout doux, quand il les touche).
— Spencer, répond-il du même ton avec un sourire amusé.
Il pénètre dans la pièce en refermant la porte avec son pied, et fourre ses mains dans ses poches. Son jean est trop large.
— Je venais juste me changer pour la soirée. J'imagine que tu veux toujours pas venir ? Tu sais il y aura pas tant de monde que ça cette fois et promis si quelqu'un essaye de te filer un verre d'alcool je lui brise le frein avec un coup de genou (tu sais que j'ai pris des cours de self-défense en première année ? Tu devrais aussi t'inscrire ça prend pas si longtemps que ça et tout le monde devrait apprendre à donner un coup de poing sans se briser le pouce ça serait utile. Même avec tes petits bras de maigrichon qui mange pas assez tu pourrais....)
Il relève la tête et se mord la lèvre. Spencer se détend juste un peu : c'est parfois agréable de voir qu'il n'est pas le seul à ne plus savoir s'arrêter. En première année, il a eu sa première mauvaise note car son commentaire de texte en vingt minutes maximum s'est transformé en apologie d'une heure et demie de la littérature allemande du XVIIIe siècle. Son prof a essayé à trois reprises de le faire taire mais Spencer était tellement stressé qu'il a fini par juste fermer les yeux et parler.
Arriver à faire court, c'est un vrai boulot.
— Désolé, rit Ethan en lui offrant un nouveau sourire. Du coup je voulais pas te faire peur. Je rentrais juste pour quelques minutes.
Ses sourcils s'agitent à nouveau.
— Alors ? Qui ne m'aime pas ?
Spencer déglutit difficilement.
— Personne....
— Oh allez, tu peux me le dire. Je vais pas me vexer. C'est Cathie, c'est ça ? Celle du labo de chimie ? Elle déteste quand je passe te voir parce qu'apparemment je déconcentre tout le monde. C'est juste une pimbêche et en plus tout le monde sait que son père a fait une donation à la fac pour qu'elle obtienne son master : son doctorat ça sera la même chose. Elle sera même pas publiée, c'est certain.
Ethan l'observe.
— Alors ? C'est elle ?
Spencer se frotte la nuque, et replace une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Désolé.
— Le soit pas. Je l'aime pas non plus.
Ethan se lève en souriant, puis marche jusqu'à son armoire en retirant son sweat-shirt. Il en sort un nouveau d'une autre couleur, et l'observe avec appréciation.
— Tu parlais tout seul ?
— Je...
Spencer se tend. Ethan n'a pas l'air d'en avoir grand-chose à faire.
— Mec, tu m'étonnes que tu me répondes qu'une fois sur trois quand c'est moi qui te parle. Moi aussi je marmonne tout seul parfois, c'est sûrement notre cerveau qui veut ça, mais des conversations entière ?
Spencer déglutit. Ethan se retourne vers lui.
— C'est.... un peu comme jouer contre soi-même aux échecs.
— Tu t'entraînes à parler ?
— En quelque sorte.
La pièce est silencieuse, mais quelqu'un met de la musique dans sa chambre et des garçons se courent après dans les couloirs. Le dortoir n'est jamais vraiment calme, même la nuit.
— C'est une bonne idée. Je devrais faire ça. Peut-être.
Ethan baisse les yeux sur son épaisse montre de sport, et ses sourcils se haussent.
— Oh. Merde.
Il attend à peine une seconde avant d'enfiler un autre pantalon et de remettre des chaussures. Spencer l'observe faire, puis soudain Ethan est à la porte prêt à partir.
— Salut Spence, à ce soir. Travaille pas trop tard.
— Ne finis pas dans un caniveau.
Un sourire.
— T'es marrant.
Il ne plaisante pas vraiment.
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Des bisous !
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