𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚌𝚒𝚗𝚚
Bonne lecture !
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Riley Jenkins est un jour venu chez eux.
Son père l'a ramené directement de l'équipe de baseball qu'il entraîne (ça lui fait plaisir, ça a l'air de le détendre, il parle à nouveau lorsqu'ils sont tous les trois à table et Spencer trouve ça génial) : son père rentre à la maison et un gamin un peu plus grand que Spencer du nom de Riley se retrouve dans son salon.
Un an de plus, des cheveux plus courts, et une grande envie de visiter la chambre du fils de son coach : voilà comment Riley s'invite un jour dans sa vie.
En quelques jours puis quelques semaines, il décide que Spencer est absolument super cool, et qu'ils doivent absolument devenir amis. Peu importe que Spencer soit déjà au collège, qu'il n'ait aucun jouet dans sa chambre, ou qu'il parle de choses que Riley ne comprend pas. Chaque jour après l'école il vient chez eux, sonne à la porte, et demande si « Spence » peut venir avec lui.
Au parc, à une aire de jeu, ou encore chez lui. Ça n'a pas d'importance, ça dépend des envies de Riley.
Ce jour-là, c'est le parc. Ça ne le dérange pas, Spencer aime bien prendre l'air de temps en temps, même si ça va faire deux mercredis d'affilée qu'il ne peut aller s'asseoir dans une rame de métro pendant des heures car Riley vient le sortir de chez lui.
Riley ne parle pas beaucoup. Il est plus grand que Spencer, adore simplement marcher pendant des heures, et finit toujours par se battre avec des brutes dès qu'ils sortent quelque part. Parfois, c'est parce que quelqu'un a dit quelque chose de méchant. Parfois, un gamin tire les cheveux de son ami. Parfois, un autre lui lance du sable.
Finalement, Spencer est toujours obligé de s'excuser auprès du père de Riley quand il le dépose chez lui.
Donc, Riley ne parle pas beaucoup. Il suit Spencer partout, l'écoute raconter n'importe quoi sur les plantes ou les insectes avec un air fasciné, et le défend quand quelqu'un essaye de lui faire du mal. Il n'a pas l'air de beaucoup aimer être chez lui, et Spencer n'a jamais vu sa mère.
Ce jour-là, ils vont au parc.
Spencer passe devant les plateaux d'échecs, joue un peu avec un homme qui perd rapidement et qui les observe tous les deux avec étonnement, puis Riley le tire par le bras pour l'entraîner vers les jeux. Toboggan, petite structure en forme de maison, un peu en hauteur, et tourniquet qui va beaucoup trop vite.
Presque avec habitude, Spencer se hisse sur un banc et tire un livre épais de son sac. Riley a l'air déçu, comme toujours, mais il ne dit rien de plus. Il court vers un mini mur d'escalade et grimpe dans la maison. Il lui fait coucou. Il parle légèrement avec des filles plus jeunes qui ont l'air sœurs. Il fait une course avec un gamin dans le sable.
Au bout de trente-deux minutes, il revient. Il s'assoit à côté de Spencer.
— Tu lis quoi ?
Spencer fait une pause, jette un coup d'œil à son numéro de page, puis referme l'œuvre. Il va de temps en temps chez la libraire pas loin de chez lui : quand il passe quelques heures à l'aider à trier des livres par nom d'auteur ou maison d'édition (pour lui, ça se fait presque facilement alors que pour elle, la jeune femme doit prendre des notes sur un carnet et tout faire en pile immense ranger) en lui pointant du doigt telle ou telle œuvre dans une pile désordonnée, elle le récompense par une vieille œuvre qu'elle possède en trop.
Il montre la couverture à Riley, qui plisse les yeux pour essayer de déchiffrer. Au bout d'un moment, il fronce les sourcils.
— Je.... ne comprends pas.
— L'Enéide. C'est une œuvre écrite en latin par Virgile, en 19 avant JC.
Riley relève vers lui un regard perdu. Il se rapproche, se colle presque à Spencer qui se tend un peu avant d'expirer pour vider ses poumons.
— Je comprends toujours pas.
— Ça a été écrit il y a longtemps. Très longtemps.
— Comme.... à l'époque de grand-mère ?
— Encore plus.
— Ça fait vraiment longtemps.
Spencer sourit.
— Ça raconte quoi ?
— Ça.... ça raconte l'histoire d'Enée. C'est un homme qui s'enfuit de...
Il s'arrête, puis relève la tête pour regarder le parc. Des mères discutent entre elles, des enfants de leur âge jouent encore.
— Non, en fait peut-être qu'il fait d'abord parler de l'Iliade pour bien comprendre. L'Iliade raconte l'histoire d'une très longue guerre entre les habitants de la ville de Troie, les troyens, et les grecs, les achéens. Oh, non attends. En fait tout est parti d'une femme, une déesse appelée Discorde qui a laissé une pomme censée être pour « la plus belle des déesses » mais sans dire le nom. Trois déesses se sont alors disputées pour savoir laquelle était la plus belle, et...
Riley l'écoute. C'est étrange, car en général Spencer n'a même pas le temps de détailler une seule idée qu'on l'interrompt déjà. Il s'entraîne, parfois, seul dans sa chambre : il lit des questions au hasard dans un jeu de société abandonné dans un coin, auquel il ne peut pas jouer tout seul, et répond à chaque question de la manière la plus détaillée possible.
Il le fait jusqu'à avoir la voix enrouée, puis regarde sa chambre vide. Il ne sait pas trop pourquoi sa poitrine est toujours serrée après ça, mais c'est aussi agréable que gênant. Il se sent mieux, dans un sens, mais pas tout à fait non plus.
— Mais au moment du départ, continue-t-il quand Riley hausse ses sourcils bien haut avec intérêt, ils se rendent compte que le vent ne souffle pas. Tu vois les voiliers qu'on voit parfois ? À l'époque tout fonctionnait comme ça, et si on voulait aller sur la mer on était obligé d'attendre d'avoir du vent pour pousser le bateau : il se prenait dans les grandes voiles et lui donnait de l'élan. Donc, quand ils se sont rendus compte que leur départ était compromis, Agamemnon a pris la décision de...
Spencer relève la tête en voyant un mouvement dans son champ de vision, juste derrière Riley. Il ne s'arrête pas de parler pour autant, mais son regard se pose sur cette femme qui s'assoit sur leur banc, juste à côté d'eux. Elle est jolie, jeune, avec de longs cheveux bruns et des yeux sombres. Son bébé est silencieux dans ses bras, mais elle le berce tout de même avec amour en chuchotant des « ssh ».
Son sourire est si affectueux que Spencer se tait et l'observe intensément. Sa peau brille légèrement : il l'a senti tout de suite.
— Spencer ?
Il voit Riley se retourner, et le cœur de Spencer s'affole un peu. Il s'est toujours demandé, vraiment demandé : trois mois plus tôt il a lu une œuvre de fiction dans laquelle les enfants pouvaient voir des choses, puis perdaient leurs dons en grandissant. Il s'est demandé, logiquement, si les autres voyaient et entendaient des choses.
Si son don était unique. Si son don était temporaire. Si, à la seconde où il le dirait à voix haute à quelqu'un, sa capacité disparaîtrait.
Il déglutit. Et observe Riley : le garçon regarde derrière lui, suit le regard de Spencer précédemment posé sur cette jeune femme, mais même en se penchant pour voir son expression il peut largement comprendre que les yeux de Riley ne se posent sur rien. Que la place d'à côté est pour lui vide.
Quand il revient sur Spencer, celui-ci sourit. C'est toujours maladroit, dans ces moments-là. Seule sa mère le connaît, ce sourire. « Le sourire de mon petit canard, qui ne sait pas encore comment bien mentir à sa mère ».
— Désolé, dit-il et Riley penche la tête. J'ai vu un oiseau et je pensais que c'était une espèce rare de Mérion couronné, mais en fait c'était un merle.
Il se racle la gorge.
— J'en... j'en étais...
— La dispute ! Entre Achille et Aga...Agame....
— Oui. C'est vrai.
Riley se rapproche à nouveau.
— Alors, hum. La dispute a éclaté car Agamemnon a réclamé l'une des esclaves d'Achille, qu'il avait gagnée lors d'une bataille. Certains disent que c'était parce qu'il l'aimait beaucoup, et d'autres disent que c'est parce qu'elle était devenue amie avec Patrocle, qui était pour Achille....
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Des bisous !
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