Partie III

Antinoüs et Hadrien avaient eut beau chasser le crocodile géant, rien n'était dès lors venu troubler la tranquillité du camp. Ayant perdu tout espoir de le tuer, Antinoüs s'était mis à réclamer de nouveau les longues balades au bord du Nil. Et, Hadrien, qui ne pouvait rien lui refuser, avait accepté de se joindre à lui.

Alors qu'ils marchaient gaiement, Antinoüs en-tête, s'emerveillant de la moindre petite fleur, du plus long des roseaux ou encore de la vaillance des plantes qui poussaient dans l'eau, ils entendirent un bruit.

Méfiant, Hadrien s'éloigna de la rive. Antinoüs, quand à lui, n'écouta que sa bravoure - ou pourrions-nous aussi l'appeler son envie d'impressionner Hadrien - et se dirigea vers le Nil. Il posa un pied dans l'eau, attendit. Le deuxième rejoignit son congénère. Antinoüs attendait toujours.

Soudain, dans une gerbe d'éclaboussures, de sang et de bruit, jaillit le plus immense des crocodiles qu'Antinoüs n'ait jamais rencontré.

Hadrien poussa un cri, reconnaissant le crocodile qui avait semé, il y a quelques jours, la panique dans leur camp.
Mais ce dernier avait changé en l'espace de quelques temps. Il était mal en point, couvert de blessures, des armes étaient enfoncées dans son cuir et il saignait.

Antinoüs, qui avait cru sa dernière heure arrivée, se précipita sur la berge. Le monstre avait épuisé ses dernières forces dans son attaque manquée,et déjà, ses yeux commençaient à se fermer pour toujours.
Il était tombé de travers, et on aurait pu croire qu'il s'adonnait à une prise de lutte ou un bain de soleil qui ciblait sol côté droit.

La main pressée contre son cœur, qui battait la chamade, Antinoüs se laissa tomber au sol. Il avait eu énormément de chance.

Plus que de raison.

En un dernier réflexe, le crocodile ouvrit grand la gueule, et les deux amants virent au même moment un objet briller au fond de sa gorge.

Le courage d'Antinoüs étant revenu à toute allure, maintenant que l'imposante bête était morte, et il enfonça son bras dans sa gueule pour en déloger l'objet.

Il en ressortit, malgré l'odeur atroce, avec une sorte de machinerie. Curieux, Hadiren voulut s'en emparer, mais Antinoüs le maintint à distance, désirant examiner sa trouvaille de plus près.

Il était fait d'un métal brillant, dans les tons gris ou argentés. Il semblait avoir une poignée, et une protubérance sortait d'un des côtés. Perplexe, Antinoüs agita l'objet dans tous les sens, essayant désespérément de comprendre à quoi il servait. Enfin, il l'abandonna à Hadrien.

Ce dernier, intrigué et impatient, trépignait lorsqu'il le reçut enfin. Précautioneusement, il le déposa au sol, l'examina sous toutes ses coutures, sans parvenir à une autre conclusion que celle d'Antinoüs : il ne savait rien.

Le matériau utilisé pour sa construction était étrange. Rien ne semblait pouvoir le briser, même la moindre éraflure paraissait impossible.

C'était sans doute un cadeau des dieux. Qui d'autre aurait pu sauver de la mort certaine Antinoüs et lui faire don de l'étrange objet ?
Il le prit en main fermement.

Et c'est là que tout bascula.

Il était proche d'Antinoüs lorsque la paume de sa main avait appuyé sur l'excroissance, faite d'un métal plus terne. Un faisceau de lumière bleue était alors sorti de tube et avait tranché Antinoüs en deux.

Un instant avant il souriait en affirmant que rien ni personne ne pourrait comprendre la complexité du don des dieux, et puis l'autre instant un trou béant s'était invité dans son ventre. Sa bouche s'arrondissair sur un "O" de surprise que déjà il tombait, le sang coulant à flot de la plaie fumante.

Frappé de stupeur, Hadrien ne reprit conscience que lorsque son aimé toucha terre. Il se précipita alors vers lui, mais c'était déjà trop tard. Antinoüs leva gravement ses magnifiques yeux tristes vers lui, que déjà son âme partait rejoindre les dieux.

Les larmes dévalent ses joues, Hadrien se prosternant devant ses divinités en les implorant de le ramener à la vie, ou, à défaut, de lui envoyer un signe. À quoi pouvait donc servir cette arme meurtrière qui lui avait arraché l'être le plus cher à son cœur ?

Il la lança dans l'eau, d'un geste rageur. Bien évidemment, il n'avait reçu de réponse. Il tira, traîna et porta tant bien que mal Antinoüs jusque dans le Nil. Personne ne devait savoir la véritable cause de sa mort. Sinon, d'autres voudraient l'arme.

Un instant, il songea à se laisser emporter puis noyer par le courant, et rejoindre son amant dans les limbes. Puis, il se rappela qu'il n'était qu'un concubin, et que lui-même, empereur, serait, selon la coutume, divinisé à sa mort. Ils ne pourraient donc pas se rejoindre, se retrouver, s'aimer à nouveau.

Hadrien était brisé. Que lui restait-il, à part une Sabine pour épouse et le pouvoir ?
Pris de folie soudaine, il se mit à délirer. Et si Antinoüs se faisait diviniser ? Leurs âmes seraient-elles ensemble aux enfers ?

Il rentra au camp, clopinant, ruminant la mort d'Antinoüs. Il n'avait pas encore pleinement réalisé, mais une fissure s'était ouverte dans son cœur, et un gouffre sans fond ne tarderait pas à la remplacer.

Laissons à présent les historiens prendre la parole ; car l'esprit d'Hadrien, qui s'est certes adouci avec le temps, est pour le moment bien trop dangereux. Enfoncé dans la douleur de sa perte, il passe ses journées à appeler Antinoüs, à supplier les dieux et à maudire le crocodile, lui-même et Antinoüs, avant de regretter, et la litanie recommence...

Après cet épisode tragique, Hadrien a divinisé Antinoüs, et a même fondé une ville, nommée Antinoupolis. Les Égyptiens, eux, voient en Antinoüs un serviteur d'Osiris et le divinisent également. Hadrien crée un culte en son honneur, ainsi que les Antinoeia, jeux réservés aux éphèbes, mêlant épreuves gymniques et concours musicaux, et en son honneur est nommée une constellation.
Hadrien avait besoin de croire en Antinoüs. Il en avait besoin pour se sauver de lui-même, de sa folie, de son déchirement. Il lui fallait croire qu'un jour, grâce à sa divinisation, ils pourraient se retrouver et s'étreindre, comme avant.

Hadrien s'est-il jamais remit de la mort de son favori ? Sans nul doute, le temps à fait son œuvre, mais le souvenir de son concubin restera tenace dans son cœur jusqu'à la fin.

Dans de nombreuses œuvres d'arts, sculptures, pièces de théâtre ou romans, la tragique histoire d'amour d'Antinoüs et d'Hadrien est mise à l'honneur.

Ce sont ces artistes qui ont contribué à la légende d'Antinoüs, mais voilà qu'un voile de la vérité s'est levé. Une affirmation de plus sur la mystérieuse mort d'Antinoüs, parmi les innombrables suppositions des historiens.

La mort d'Antinoüs restera un mystère à jamais, mais peut-être, qu'un jour, dans le futur, quelqu'un avouera s'être rendu dans la Rome antique, s'être battu avec une arme étrange se l'être fait arrachée, puis avalée, par un crocodile glouton...

•○●FIN●○•

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