Partie I
Pouvait-on dire qu'Antinoüs était beau ?
De l'avis général, tous s'accordaient sur son charme, sur ses cheveux longs, blonds et bouclés, sur sa bouche parfaite aux lèvres ourlées d'amour, sur son corps puissant de dieu, ou encore sur son esprit qui embellissait ses traits lorsqu'il faisait part d'une réflexion pertinente.
Mais personne d'autre qu'Hadrien ne pouvait voir sa beauté.
La vraie beauté d'Antinoüs paraissait lorsqu'il regardait Hadrien. Lorsque son parfum embaumait une pièce. Lorsque ses bras l'entouraient puissamment. Lorsque que leurs discussions duraient jusqu'à tard dans la nuit.
Elle éclatait alors, et il resplendissait, tout son corps se trouvant stimulé par la présence de son amant ; et ce dernier gardait jalousement cette beauté pour lui seul, dans l'intimité d'une des quelques centaines de chambres qui peuplaient son palais.
Dédaignant sa femme, son épouse terne et ennuyeuse, au profit de l'éclat de la jeunesse, Hadrien vivait amoureux.
Mais la différence d'âge et de vigueur était ce qui inquiétait au plus haut point Hadrien. Il aimait Antinoüs, certes, mais comment ne pas trembler lorsqu'en ville, de toutes parts, grouillait une foule de jeunes éphèbes ?
Bien plus beaux que lui. Il était massif tout en chair et en graisse, tandis qu'Antinoüs était sur terre la présence du vent. Svelte, preste, il faisait parfois l'effet de contempler un roseau.
Mais un magnifique roseau.
Un roseau qui attirait les regards.
Oui, Hadrien était jaloux.
Souvent, ils s'accordaient la folie de contempler les étoiles depuis une chambre cachée - Hadrien avait de nombreuses passions, et l'astronomie en faisait partie - et de rêver.
Rêver un monde en couleur, à la figure d'amoureux transi et au corps infatigable.
Rêver un monde sans Sabine, son austère épouse, se plaignant bien trop à son goût.
Rêver un monde empli de littérature, de poésie, de statues, de chasse aussi. Un monde rempli d'Antinoüs. De la chaleur de sa voix, de son beau sourire, de ses cheveux en cascade et de ses promesses d'amour éternel quémandées par Hadrien.
La demeure, le palais oserait-on dire, était plein à craquer de statues, d'oeuvres d'art et de livres. L'empereur était un grand amateur et collectionneur.
Des mauvaises langues auraient pu persifler qu'Antinoüs était une œuvre, elle aussi, une jolie oeuvre qu'Hadrien se faisait une joie de ranger dans sa collection personnelle ; mais ils s'aimaient. N'était-ce pas tout ce qui comptait ?
○○○
Antinoüs s'ennuyait.
Déambulant sans but dans le palais, se laissant parfois surprendre à caresser du bout des doigts les murs de sa prison dorée, il était las.
Un oiseau passa. Se posa sur une branche, pépia. Tourna la tête, une fois, deux fois. Battit des ailes, et dans un infime sursaut de la fragile branche, s'envola.
Comme il l'enviait ! Cet oiseau devait sans doute rejoindre une famille. Un groupe. Et même s'il était seul dans son nid, au moins était-il libre d'en partir.
Il se laissa tomber sur le sol. Assis, il étendit ses jambes et ferma les yeux. Qu'aurait-il pu faire d'autre ?
Comme il sentait un fourmillement, une sensation étrange, sur ses pieds, il se pencha.
Les fourmis, insectes risibles s'il en était, passaient, et Antinoüs se fit l'étrange réflexion que l'empereur devait éprouver la même sensation devant ses sujets. De minuscules fourmis, qui, devant un maître, une directive, s'accomodaient et obéissaient.
Il posa un bâton devant la lente colonne. Au bout de quelques instant de confusion, elles reprirent leur route, escaladant l'obstacle qui leur avait été présenté.
Relevant la tête en soupirant d'ennui, il se mit à songer à son aimé.
Hadrien était encore en déplacement. Il aimait à se faire admirer des foules et se donner une image d'empereur miséricordieux.
Son amant, de trente-quatre ans plus vieux, était très pris par ses occupations impériales. De villes en villes, de villa en villa, il passait, saluant et souriant à tous.
Il se releva, marchant pour évacuer son inquiétude. Antinoüs était fait pour l'énergie, la sueur, la fatigue après de longs efforts, comme une course, la lutte, le lancer de javelot hérité de Grèce.
Il n'était pas fait pour être un ornement.
La sensuelle lenteur silencieuse du palais alourdissait constamment les paupières d'Antinoüs. Le jeune homme, alangui, se laissa soudainement tomber sur un banc de pierre, devant l'îlot construit à l'intérieur de la villa Adriana.
L'éclat des vingt ans d'Antinoüs resplendissait de grâce et de beauté la villa. On chuchotait même, dans les tavernes et les thermes, qu'il illuminait Hadrien, lui donnant plus d'entrain et de vigueur. Ses tournées dans les campagnes et ses excursions se faisaient de plus en plus longues et chaleureuses. Bien sûr, la bienséance exigeait de lui qu'il ne négligea point son épouse et ses devoirs d'empereur, mais ne l'était-il point après tout ? Il est était censé pouvoir faire ce qu'il voulait. Alors pourquoi ne lui permettait-on pas de prendre pour époux Antinoüs ?
Afin de consoler son aimé, qui se languissait dans sa villa, Hadrien avait organisé un voyage dans les contrées fertiles du Nil et de l'Égypte.
Ils marcheraient en palanquin jusqu'à la galère qui les emmèneraient au pays des crocodiles.
Ce voyage ravissait Antinoüs au plus haut point. Sa jeunesse et sa fougue s'excitaient de ces nouvelles aventures et son cœur de la proximité de l'empereur.
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