Chapitre 7 : "Tu vas trouver ça étrange."

— Tu triches, répliquai-je. Tu mets ces images dans ma tête pour me faire peur.

Je m'imaginai enterrée vivante, dévorée par les insectes, brûlée vive. C'était sans doute ma plus grande terreur. « Que ferais-tu alors ? » m'interrogeai-je. Aiden pouvait-il rendre inoffensif le feu des autres ? Son froncement de sourcil m'étonna et je lâchai ses mains dans un hoquet de surprise. Il recula, comme s'il avait commis une bêtise.

« Aiden, je tiens à toi. » pensai-je, de façon très volontaire et provocatrice. Il me fallait confirmer mes doutes.

— Je sais, mais ça n'explique pas tout.

Il se rendit compte de son erreur en même temps que j'écarquillais les yeux. Il fit encore un pas en arrière.

— Tu m'as entendue ?

Je n'y croyais pas tout à fait. Si Aiden lisait dans les pensées, devais-je paniquer ? Etait-ce une réaction normale à ses yeux ?

— Tu trouverais ça trop étrange... souffla-t-il en reculant encore.

Il tentait de fuir, cet imbécile ! Mes réactions ne l'avaient-elles toujours pas persuadé que je lui faisais entièrement confiance ? J'étais toujours, là, devant lui. J'affrontais ses vérités et son regard. J'étais debout, sans ressentir le besoin de pleurer ou de m'apitoyer.

— Tu lis les pensées ? questionnai-je. Regarde-moi, lui ordonnai-je.

« Regarde-moi, idiot. » réitérai-je en pensée. Aiden planta alors ses yeux dans les miens. Oui, c'était bizarre là. Mais aussi fascinant.

— Non.

Il avait pourtant réagi aux miennes ! Je n'avais pas ouvert la bouche, j'en étais certaine et même si mon expression pouvait être facile à déchiffrer, c'était impossible de répondre avec autant de précision.

— Aiden ? l'invitai-je à poursuivre.

J'avais très envie de trépigner, parce que la curiosité me dévorait. Qu'était capable de faire mon Soleil ?

— Je te l'ai dit, tu vas trouver ça étrange ! Tu ne pourras plus me voir de la même façon.

Voilà le problème. J'aurais pu rire à sa remarque, s'il n'avait pas semblé si désemparé. Mon cœur se serra une nouvelle fois. Mon ami n'était plus tout à fait le même, mais ça ne changeait pas grand-chose à mes yeux. Je repris donc ses mains et murmurai :

— Aiden, tu vas si vite que tu disparais de ma vue. Le feu t'enveloppe, sans te brûler et tu sembles danser avec lui. Pourtant, quand je te regarde, tu es toujours Aiden. Ta personnalité a complètement été transformée, mais je ne te vois pas différemment. Tu es Aiden, mon Soleil et je n'ai pas peur de toi.

— Tu ne pourras plus agir comme d'habitude, persista-t-il.

Il serra pourtant mes mains durant un bref instant. Il avait abandonné l'idée de quitter cette pièce.

— Aies confiance en moi.

C'était peut-être la seule chose que je pouvais lui offrir.

— Je peux transmettre mes pensées aux autres.

Ce n'était pas vraiment ce qu'il se produisait actuellement.

— Avec toi, c'est tout l'inverse. Lorsque tes pensées me sont directement adressées, je les perçois. Tu es la seule avec qui mon pouvoir est opposé. J'en ai parlé aux autres, mais aucune raison n'a été trouvée.

J'aurais dû me dire que c'était horrible. Qu'il savait tout ce que je pensais de lui. Néanmoins, j'avais le sourire aux lèvres et j'étais contente. C'était fabuleux de pouvoir communiquer de cette façon. J'étais spéciale.

Ma joie ne plut pas à Aiden qui, pour la seconde fois, s'enflamma en retirant ses paumes des miennes.

— Tu ne devrais pas réagir comme ça ! Chaque fois que tu penses mon nom, chaque fois que tu penses à ce que tu n'oses pas m'avouer, je t'entends. La portée de ce phénomène va au-delà de simples « Regarde-moi » !

Toutes les fois où j'avais pensé qu'il était trop naïf, il avait dû l'entendre. J'avais dû le blesser tant de fois ! J'avais dû planter tant de poignards dans ce cœur. C'était affreux ! La culpabilité me rongea, avant que je ne relativise. Je ne pensais pas souvent à Aiden de façon négative. Je crois, en tout cas.

Je le fixai, tandis qu'il fulminait dans son coin.

— Chaque fois que mon nom résonne dans ta tête, je t'entends, réexpliqua-t-il. Tu devrais avoir peur. Peur de moi, des autres, de mes pouvoirs. De ce que je suis capable de faire. Tu devrais être en colère. Contre nous, contre moi. Contre ce destin qui se trace pour toi. Tu devrais en vouloir aux autres, à moi. Je t'ai mise à l'écart, en danger. Tu devrais paniquer. Nous ne sommes pas humains, Minah. Nous sommes différents, anormaux. Des erreurs de la nature. J'ai...

Il se stoppa, car j'étais toujours immobile.

— Te rends-tu comptes ? Tu m'énerves à rester simplement, là, devant moi comme si tout était normal. Rien ne l'est et ne le sera jamais plus ! Si je n'étais pas intervenu, hier... Hier aurait pu ne jamais exister.

La souffrance qui baignait dans son regard me frappa en plein cœur. Je souffrais avec lui de la situation, pas pour moi. C'était étrange pour lui, pas pour moi.

— Et alors quoi ? m'emportai-je à mon tour.

Je m'avançai vers lui, le doigt pointé en avant. Accusatrice.

— Je devrais sangloter ? Te supplier de me laisser partir ? De quitter ma vie ? Je devrais trembler jusqu'à en mourir, parce que toi, tu trouves que ce serait normal ? Je devrais te rejeter parce que ta normalité n'est pas la mienne ? Tu attends quoi de moi ? Que je t'injurie ? Que je me plaque contre le mur, en tremblant à cause de toi ? Que je te dise à quel point tu m'écœures ? Que je te tienne responsable de tout ?

Aiden hocha paisiblement la tête et ma colère s'en trouva renforcée. Etait-il bête à ce point ? Depuis quand ? Pourquoi n'avait-il pas confiance en moi ? Je n'avais jamais rejeté la différence ! Puis, me rendant compte que m'énerver ne lui donnerait que raison, j'inspirai calmement.

— Désolée, mais je ne suis pas écœurée.

Mon bras s'abaissa, pas mes yeux, qui l'observaient toujours. Acculé contre le mur, il tenta de rebondir sur mon affirmation. Je le pris de vitesse.

— Désolée, mais je ne suis pas terrorisée. Désolée, je n'ai pas de réactions normales à te proposer. Désolée, mais ce n'est pas toi qui m'as apposé cette fleur sordide. Je ne ressens qu'une immense gratitude envers toi. Pardonne-moi, le feu qui t'abrite est la chose la plus rassurante que j'ai découvert jusqu'à présent. C'est grâce à toi, que je ne m'effondre pas et qu'au contraire, je me sens capable d'affronter la mort elle-même.

Son pouvoir était apaisant, réconfortant. Et dans cette pièce, face à lui, j'en ressentais son immense bienfait d'autant plus.

— Je n'ai pas de raisons d'avoir peur, tant que tes flammes continueront de danser autour de moi.

Aussi étrange que cela puisse paraitre, je n'avais dit que la vérité. Je ne regrettais pas que hier ait existé, ni que la peur m'avait assaillie durant les semaines précédentes. J'avais craint pour moi, pour lui, pour eux. Mais je ne gardais aucune rancune en moi, aucun remords. J'avais simplement vécu ce que je devais vivre, et c'était très bien ainsi.

— Elles danseront pour l'éternité si tu le veux.

Je reculai en manquant de trébucher. Aiden me rattrapa et foudroya Cathy du regard.

— Navrée, je me suis inventée la suite avec votre silence.

Elle souriait à pleines dents, heureuse et soulagée de nous voir tous les deux.

— On commençait à s'inquiéter, en bas. Thibault a flippé quand il a entendu Minah se révolter et Sean s'inquiétait pas mal de percevoir de la colère.

Je jetai un œil à mon voisin, en serrant les dents. Je faillis me surprendre moi-même en le pensant trop proche de moi. Il se décala aussitôt vers la droite. Oh, il n'avait pas menti en prétendant que son nom suffisait.

— Quelqu'un ne comprend pas la situation, assénai-je.

— Quelqu'un ne comprend pas le danger, rétorqua-t-il.

Cathy toussota pour que nous reportions notre attention sur elle.

— Je pense que tu ne vas étriper personne ? s'enquit-elle.

Hormis mon voisin, tout était ok.

— Bien sûr que non. Je comprends que votre secret doit être gardé.

Si seulement mon voisin s'en rendait compte aussi !

— Suis-moi.

Je me mis en route, boudant clairement Aiden. Il réagissait de la même manière et cela me confirmait que l'ami rieur était toujours là, quelque part.

Le couloir était large et la lumière régnait partout. C'était beaucoup plus agréable que le vide de la chambre. Ici, il y avait de la décoration, des plantes, des fleurs, des tableaux, des photos. J'étais tentée de m'arrêter devant elles, mais Cathy marchait vite, sans trop se préoccuper de moi.

Aiden siffla et mon amie se stoppa.

— Oups ? réagit-elle en se retournant vers lui et donc moi aussi.

Aiden marchait derrière moi.

— A force de les côtoyer, je ne me rends plus compte, s'excusa-t-elle avant de reprendre d'un pas moins vif.

Elle était à son aise ici et au vu de la grandeur du lieu, je me demandai où j'étais. Y'avait-il une maison aussi immense dans cette ville ?

— Tu es comme eux ? questionnai-je Cathy.

Nous arrivions près d'un escalier à l'apparence dorée. Il était d'un style vieil époque, mais n'avait aucune égratignure, ni de peinture absente.

— Oui, en beaucoup moins stylée par contre. Je ne possède que deux dons, alors que la plupart d'entre eux en cumule quatre ou cinq.

— Lesquels ? m'enquis-je en descendant les marches en colimaçon.

Le tapis rouge et or donnait des allures de palais à l'habitation. Cathy s'y déplaçait avec grâce et légèreté. Elle semblait y vivre depuis longtemps.

Elle attendit de poser le pied sur la dernière marche avant de me répondre.

— Je peux créer des champs de force, plus ou moins robuste, plus ou moins étendus. Le deuxième, je n'aime pas en parler, désolée.

Je haussai les épaules, supposant que je le découvrirais bien assez vite.

Nous passâmes par un autre couloir lumineux et franchîmes un immense hall avant que Cathy ne se stoppe devant une porte. Elle me fixa et me prévint d'un ton solennel :

— Il y a 99% de chance que Thibault te saute dessus, ne soit pas effrayée, ok ? Il est... très énergique et aime la nouveauté. Quand il se sera habitué à toi, ça ira mieux.

Je hochai la tête, en me souvenant de la boule d'énergie qui s'était élancée vers moi, la veille. Ne pas s'effrayer. Cela semblait être important.

— Aiden a-t-il répondu à toutes tes questions ?

Je lui jetai un regard noir, avant de lui répondre.

— Quel âge avez-vous tous ?

Cathy partit dans un fou rire.

— C'est ta question la plus existentielle ?

— Oui.

— Dans ce cas, je t'invite à entrer. Sean pourra mieux te répondre que moi. Je ne compte pas les années, ni les mois.

Ma seule pensée alors que Cathy me laissait abaisser la poignée fut « Et s'ils ne m'aimaient pas ? ». Je n'étais pas de leur monde étrange. Et finalement, Aiden ne m'avait pas tant expliqué la situation que cela. J'étais stressée et mon cœur s'emballait un peu. La porte fut totalement ouverte et au lieu de rencontrer cinq personnes, huit paires d'yeux me fixaient. Qu'est-ce que c'était que ce délire ? Je me remémorai la veille et de source sûre, les trois filles supplémentaires n'étaient pas là. Avant que je ne fasse un pas, un individu à la chevelure rousse me prit les mains et les agita d'en haut vers en bas.

— Bonjour ! Ravi que tu ne t'évanouisses pas, cette fois !

Ces fossettes étaient craquantes et son sourire donnait envie de sourire.

— Thibault ? questionnai-je.

Son regard brun s'illumina davantage et il jeta un œil derrière son épaule. Les autres têtes nous observaient, d'un air inquiet.

— Elle connait mon nom ! s'émerveilla-t-il.

Il me fit aussitôt penser à un enfant et je me rappelai d'Aiden. Moi qui avais toujours pensé qu'on ne pouvait pas être plus gamin, je m'étais trompée !

— Tu as l'air contrarié Aiden, remarqua un autre de mes sauveurs.

Il avait les cheveux blonds et son regard était brun. Assis sur le canapé trois places il narguait clairement le lycéen.

Je me mordis l'intérieur de la joue en jetant un œil à Aiden. Zut, j'avais pensé son nom, en le traitant de gamin.

— Oh, c'est à cause de ce truc bizarre entre vous ? interrogea Thibault.

Mes bras faisaient toujours des mouvements d'en haut à en bas, même s'il semblait un peu moins enthousiaste.

Mon ami garda le silence et moi, je me demandai quoi répondre à cela.

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