Chapitre 4 : "Tu es vraiment bizarre."
— On se retrouve enfin, susurra la voix grave du leader.
Je ne m'étais mise à courir que depuis quelques minutes. Ils avaient été rapides et parfaitement organisés. J'étais acculée contre le mur d'une habitation. Tremblante, je posai mon regard sur chacun d'eux. Tout en eux me donnait l'impression qu'ils étaient des vampires. Leurs pupilles, leurs cheveux et leurs vêtements noirs n'apportaient qu'une raison supplémentaire à cette idée.
J'avais peur.
— Martin, je t'en prie.
Le chef ordonna et le larbin obéit. Le plus à gauche -le dernier de ma liste imaginaire- s'avança vers moi. Son envie de m'exécuter transparaissait dans chacun des gestes et mes tremblements le ravissaient. Ma respiration se saccada un peu plus et, machinalement, je tentai de reculer. Je ne pouvais aller nulle part, le mur n'allait pas s'effondrer simplement parce que je l'imaginais.
Je fermai les yeux et l'image de mon Soleil m'apparut. « Je suis désolée, terriblement désolée... Pardonne-moi Aiden. » J'espérais qu'il perçoive le message, alors que c'était impossible. Personne ne lisait dans les pensées ! En revanche, je priais qu'ils ne l'aient pas tué, car il méritait la vie, plus que quiconque. Et puis, c'était moi leur cible, moi leur proie.
Martin s'avançait toujours vers ma personne, le regard envieux. Je me dis qu'Aiden était mort, car ils n'avaient qu'un seul code : tuer. Je fus heureuse d'être partie, je n'aurais pas pu regarder la vie le quitter. Avait-elle duré plus que de raison ? Malgré ma conviction, je souhaitais le voir là, apparaitre subitement, comme si rien ne se produisait.
« Je t'en prie, sauve-moi... »
J'étais toujours agglutinée contre ce mur, mais je ne pleurais pas encore. J'étais terrorisée, mais je tenais bon. Jusqu'à ce que la main de Martin ne s'approche de mon cou. Il effleura ma peau, d'un geste bien trop doux pour un homme comme lui. Puis, il se mit à serrer. Collée au mur, j'étouffais lentement. Mes gestes étaient vains, car mes griffures ou mes coups n'avaient aucun effet sur son corps. Il était trop robuste et j'allais perdre la vie ainsi. Privée d'oxygène.
Je repensai à mon Soleil, espérant qu'il puisse me redonner du souffle. Je repensai aux petits nains, espérant qu'ils ne m'en voudraient pas trop de partir sans rien dire. Je priai pour sombrer. Etrangement, je me sentis glisser le long du mur. Etait-ce cela la mort ? Je voyais des points noirs, des centaines. Ils dansaient devant ma vision et la constellaient de trous. Je sentais des mains sur mon visage et mes épaules. La mort se jouait-elle de moi ? Puis, parmi ce flou, je distinguai un œil. Un regard bleu. Et je pleurai. M'attendait-il parmi les non-vivants ?
— Tu t'es remis de tes émotions, Aiden ?
La voix grave ne pouvait pas m'avoir suivie dans l'au-delà. Mon illusion allait-elle jusque-là ? C'était impossible que j'aie tant d'imagination ! Soudain bien consciente d'être vivante, j'avalai de grandes goulées d'air. Mes poumons se remplissaient, tandis que le dos d'Aiden apparaissait dans mon champ de vision. Comment avait-il pu survivre ?
— Je n'aime pas vos tours de passe-passe, répondit mon ami.
Il avait adopté une posture défensive et la réalité me frappa. Certes, il était arrivé ici et avait repoussé mon assaillant, d'une façon ou d'une autre. Mais, que comptait-il faire à six contre un ? Gagner était inespéré ! Surtout contre des spectres tels qu'eux.
— Ils sont plutôt désagréables.
Mon ami fit claquer sa langue de mécontentement, étrangement serein. Puis, en un instant, il disparut du décor. Tout autant que le décor disparu à mes yeux. Je venais d'être projetée à quelques mètres du mur et ce dernier venait de voler en éclat. Cela avait l'avantage de me clouer sur place et de me faire oublier les égratignures qui parsemaient ma peau.
J'avisai Aiden, qui se relevait normalement. J'avisai la distance parcourue entre les gravats et mon corps. C'était impossible. Le dos de mon sauveur me faisait face. Hallucinant.
Je rêvais.
Aiden ne pouvait pas être anormal. Sa vitesse avait été prodigieuse. Qu'était-il ? Qu'étaient-ils tous ? Dans quelle histoire farfelue étais-je ? Peut-être un nouveau concept de jeu ? Un jeu réel ? Et s'il me suffisait de mourir pour revenir dans le monde normal ? « Aiden, es-tu une illusion que je me suis créée ? » me questionnai-je en me relevant.
— Ne t'éloigne pas, m'intima ce dernier.
Oui, ce ne pouvait qu'être ça. Sinon, comment expliquer cette sérénité qui m'habitait désormais à sa venue ? Savoir qu'il était différent ne m'effrayait pas le moins du monde.
— Ce n'est pas un jeu, ni une illusion, poursuivit-il.
Les avatars pouvaient répondre à nos questions muettes, plutôt cool.
— Tout ceci est bien réel, Minah.
Mon nom dans sa bouche me fit l'effet d'une claque et je repris mes esprits. Un peu. Je m'informai sur les positions ennemies. Ils s'étaient alignés face à nous, enfin Aiden, puisque je me tenais derrière lui. Celui-ci était en posture défensive, les mains en avant. Vingt centimètres nous séparaient et j'espérais que ce soit suffisant pour s'enfuir. Cependant, mon soleil ne semblait n'en avoir aucune envie. Si tout était réel, alors pourquoi ne paniquait-il pas ?
Les ombres rirent soudain avec dédain.
— Tu es si hilarant, Aiden.
C'était le chef qui avait parlé. Il n'y avait rien de drôle, Aiden était courageux ! Et un brin anormal. J'aurais dû trembler, pourtant, je le prenais avec calme. Je pense qu'à ce moment je me croyais toujours dans mon jeu vidéo très réaliste.
— Tu as toujours préféré être une ombre, que crois-tu pouvoir faire face à nous six ?
Je faillis rire de l'appellation. Moi qui les appelais ainsi, je ne pensais pas qu'on puisse qualifier Aiden de cela ! Il n'était rien de sombre, c'était mon soleil !
— Sacha privilégie aussi cette méthode de combat.
Aiden connaissait leur nom. Ce beau monde se connaissait. Bon sang, que se passait-il ? Personne ne pouvait exister, c'était irrationnel.
— Je ne suis pas seul, affirma le dénommé Sacha, le bras droit. Et je suis plus rapide que toi, le nargua-t-il.
Aiden recula d'un pas. Visiblement, c'était vrai. Depuis quand se connaissaient-ils ? Qu'est-ce qui les reliait entre eux ? Etait-ce la raison de l'inquiétude de mes amis ? Ces derniers savaient depuis le début à quel point j'étais en danger. Ils s'étaient tus. Pourquoi ?
— Vous êtes deux petits rats, lâcha le troisième. Il n'y a rien de mieux que les combats à distance.
— Oh, je l'ai constaté il y a quelques minutes plus tôt, Nathanaël.
C'était donc lui qui avait figé Aiden ! Je secouai la tête. Il me fallait rester concentré sur leurs mouvements, pas m'évader dans des théories ou affirmations qui n'avaient aucune importance en cet instant.
— Tu comptes la protéger tout seul ? se moqua le leader.
Mon ami serra les poings. Fini les rires, les blagues et la légèreté. Celui qui se tenait devant moi avait totalement conscience de la situation et de ses risques. Nous avions deux grosses cibles sur le front.
— Tu n'es même pas de taille face à Sacha !
« Aiden, qu'as-tu fait ? Tu aurais dû t'enfuir ! » Je regrettais soudain d'avoir souhaité son arrivée. Mon ami ne méritait pas ce sordide sort. Il avait la vie devant lui et des tas de blagues pourries à raconter. Je souhaitais grandir avec lui et les petits nains.
— Je sais que je n'aurais pas dû venir et essayer. Je sais que la fuite était la solution la plus logique.
Je fronçai les sourcils. Comment pouvait-il répondre à ma remarque ? Lisait-il dans les pensées ? C'était absurde. Tout était absurde.
— Je suis totalement conscient que vous pourriez m'abattre là, en une seconde. Mais vous ne le ferez pas. Vous aimez ce sentiment de puissance. Vous aimez contempler mon acharnement à la sauver, quitte à mourir à mon tour.
Je n'aurais jamais cru le voir ainsi un jour. Etait-il vraiment le Aiden que je connaissais ? Celui qui blaguait à longueur de journée ? Celui qui me faisait rire ? Celui qui était si naïf ? C'était difficile à croire.
Les ombres se moquèrent, mais approuvèrent ses paroles.
— Apprécions ton héroïsme à sa juste valeur, lança Sacha.
Sitôt dit, un mal de tête me frappa. Le souvenir de leur meurtre revint, encore et encore. Il ricochait dans les méandres de mon esprit, semblant briser quelque chose à chaque rebond. Puis, un cri strident résonna dans mon crâne et je tombai à genou. Je posai mes mains sur mes tempes, priant que cela cesse.
— Arrêtez ! hurla Aiden, mais son appel resta inentendu.
Ils ne désiraient que le provoquer. L'humilier. L'écraser. Le torturer. Ils étaient détestables.
— Où est ta force, Aiden ? siffla une voix.
Je m'obligeai à rouvrir les yeux. Mon ami semblait réfléchir à sa cible. Alors, je luttai contre la souffrance, contre cet assourdissement qui m'envahissait et je saisis sa jambe. Mon sauveur ne devait pas leur donner satisfaction. Ils le testaient.
— Non...
Je n'étais pas capable de davantage. Ma main retomba et je me sentis sombrer. Le doux feu revint me voir et mes paupières se rouvrirent. Allongée sur le flanc, je distinguais parfaitement Aiden et son dos. Il n'avait pas encore bougé. « Sois fort » pensai-je. Il se tourna alors vers moi. Grave erreur. Dans la même seconde, il fut projeté contre un mur. Je ne vis pas son corps frapper le béton, en revanche, je l'entendis très distinctement. Des os semblaient s'être brisés et j'eus les larmes aux yeux. Après tout cela, allais-je assister à sa mise à mort ?
Je voyais son corps retomber doucement en avant. Aiden n'allait pas se relever. Il n'allait pas... Il s'était relevé ! Me prouvant définitivement qu'il n'était pas normal. Qu'étaient-ils donc ? des surhommes ? des spectres ? des illusions ?
Mais alors qu'il venait de se relever, mon soleil disparut. Un bruit sourd retentit plusieurs mètres sur ma droite. Nathanaël venait d'y être expédié. Cela apaisa ma souffrance. Avant qu'il ne se relève et que la douleur ne reparaisse, plus forte, plus violente, plus dévastatrice encore. Et cette fois, le son strident sortit de ma bouche.
Je vis Aiden s'envoler dans les airs avant de retomber sur le sol. Je me mis à pleurer pour de bon. Tout, mais pas ça. « Survis. » souhaitai-je l'encourager. Malheureusement, il m'était déjà bien trop difficile de garder les yeux ouverts. Puis, tandis que je croyais avoir perdu, une chaleur bien réelle m'entoura. Le feu avait jailli autour de moi. Au lieu de m'effrayer, il me rassura, apaisa mon mal de tête en quelques dixième de seconde. C'était comme si les flammes étaient mes amies. Très étrange. Cela me rappelait les flammèches de mes souvenirs. Cependant, la sensation n'était pas tout à fait la même. Il y manquait quelque chose.
— Minah, tu m'entends ?
Je souris à travers les larmes. Qu'il était bon d'entendre cette mélodie parmi le brouhaha de la souffrance.
— Tu es vraiment bizarre, soupira Aiden en secouant la tête.
J'avisai le brasier tout autour de lui et cette chaleur qui l'entourait. C'était son feu. Voilà pourquoi il ne me faisait pas reculer. Aiden était tout, sauf menaçant envers moi.
Je haussai les épaules avant qu'il ne m'aide à me tenir debout. La chaleur fit ses au revoir à la douleur.
— Mes flammes ne les retiendront pas très longtemps, me prévint-il.
Ses mains étaient dans les miennes et son visage inquiet me scrutait méticuleusement. Je n'avais rien physiquement, pour le moment. Je ne m'étais pas encore évanouie et cela relevait du miracle. Ou d'une malédiction. Devrais-je assister à la fin ? Devrais-je ressentir la souffrance de perdre un être cher à mon cœur, avant que la vie ne me quitte aussi ?
— Minah, je te parle sérieusement.
Je fronçai les sourcils devant son froncement de sourcils. J'étais sérieuse moi aussi ! Un peu sur un nuage, mais sérieuse !
— Ton feu Aiden, c'est celui de mes rêves.
J'en étais sûre à présent que mon ami ne lâchait plus mes mains. Ses flammes avaient cette même douceur caractéristique. D'une façon ou d'une autre, elles parvenaient à mes rêves.
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