Chapitre 36 : Le journal

Je n'avais pas osé poser de questions sur le trajet, ni même lorsque Cathy avait pénétré la demeure. Nous avions toutes les deux le souffle court, mais elle, elle passait régulièrement la main dans ses cheveux et faisait les cent pas dans le vaste salon. Elle semblait attendre quelque chose et ce quelque chose ne semblait pas arriver.

— Dis-moi que j'ai réussi... ne cessait-elle de répéter.

Longtemps, je restai simplement sur le pas de la porte, ne trouvant rien d'intelligent à faire. J'avais toujours un peu peur de faire une bêtise dans leur monde, alors je restais prudente. Cependant, la voir tourner en rond me rendait anxieuse. Le feu d'Aiden me parvenait toujours, ce qui me rassurait sur son état. Je m'étais tant habituée à sa présence que sa disparition soudaine ne me donnait aucune envie de le revivre.

— Calme-toi, Cathy, lui intimai-je en la stoppant.

Face à son expression angoissée, je tentai un sourire. Elle me remercia de mon essai et serra mes mains, très fort.

— Tu veux en parler ?


Elle sembla hésiter entre soupirer, sourire et pleurer. Elle décida de se mordre la lèvre, avant de lâcher le fait qu'elle me cachait depuis de longs mois :

— Je vois l'avenir.

Je faillis tomber au sol, mes jambes me lâchant soudain. Le futur ? Jusqu'où ? A quel point ? De quelle manière ?

— Tout ce que les gens ne veulent pas dire ou montrer, je le vois sur forme de flash futurs, même si la plupart du temps, ce sont simplement des épisodes qui défilent en une seconde à peine dans ma tête. Tout est toujours précis et je suis le personnage dont je vois le futur. Ça ne fonctionne pas pour les Obscurs. Et...

Elle raffermit sa prise, comme si elle se doutait que je risquais de réellement m'effondrer sur le sol.

— Je t'ai vue mourir dans les bras d'Aiden.

Sans son appui, mes genoux auraient frappé le sol. Sans elle, je ne serais plus là.

— Et maintenant ? questionnai-je la voix blanche.

L'idée que ce soit Aiden qui connaisse ce destin me nouait la gorge. Ne dit-on pas souvent une vie pour une autre ?

— Je ne sais pas... avoua-t-elle. J'attends les nouvelles visions...


D'accord, il ne fallait pas paniquer tout de suite. Les flammes étaient encore autour de moi et leur détenteur m'entendait toujours, puisqu'elles essayaient d'être plus rassurantes. Rien n'était perdu. Si Cathy pouvait agir pour changer les choses, tout était encore possible.

Me redressant, je m'accrochai à la pensée que tous les Lumas reviendraient en vie et en un seul morceau. C'était la seule issue envisageable. La seule fin à cette histoire.

— J'ai confiance en eux, assurai-je.

En lui. Il m'avait assuré qu'il m'expliquerait après leur mort, c'était ce qu'il allait faire. Aiden avait été un menteur, mais c'était fini depuis longtemps.

Cathy me sourit, sans être totalement convaincue. Les Obscurs étaient impitoyables, elle avait sans doute pu le constater. Moi, je n'avais qu'un vague rappel flou de cela, alors il m'était plus simple d'y croire.

Cinq minutes. Dix minutes. Une heure. Rien n'évoluait et Cathy me rendait trop nerveuse. Alors, je me rendis au seul endroit que j'avais envie de voir. Juste à côté de la chambre d'ami où je m'étais réveillée après chaque évanouissement, j'avais repéré sa chambre à lui. Toujours fermée à clé, je n'avais jamais pu y accéder. Ce jour-là, je sus que ce n'était pas un problème. La porte s'ouvrit sans grincer, ni se bloquer.

J'avançai lentement à l'intérieur. Les murs étaient d'un gris foncé et les meubles noirs. Tout était sombre, loin de l'image que j'avais longtemps attribuée à mon ami. Il avait été un soleil, brillant éclatant, joyeux. Puis, en un soir, je l'avais perdue, cette lumière. A présent, il n'étincelait plus, pourtant je le considérais encore comme un soleil. Il était le feu qui me guidait dans l'obscurité. Dans leur obscurité. Dans mes rêves, dans mes cauchemars, les flammes m'apaisaient, me rassuraient, me réconfortaient. Elles me guidaient vers la vie. Je ne pouvais pas les perdre. Je ne pouvais pas perdre leur détenteur.

Je m'avançai vers son lit. Les draps étaient sombres, mais impeccablement mis. Je me dirigeai vers son armoire, rangée elle aussi. Puis m'arrêtai à son bureau. Aucun papier ne trainait en désordre, aucun stylo n'était éparpillé. Tout était à sa place, comme s'il ne venait que rarement. Je m'assis sur la chaise et commençai à ouvrir les tiroirs. Aiden devait être en train de me réprimander, parce que je fouillais, sans qu'il ne puisse m'arrêter. Je souris à cette pensée, tout en m'excusant. Puis tombai sur un carnet noir. La couverture était brûlée à certains endroits, formant ainsi son prénom. Je me rappelai ses mots : Je suis plus noir que tu ne le penses. Il y pensait, jusqu'au point de choisir un journal de cette couleur. Même si j'aurais dû ne pas l'ouvrir, respecter ses pensées, je tournai la première page.

Début : 22 juillet 2000, ce jour maudit, où je les ai rencontrés

Fin : 3 septembre 2023, le jour où mon cœur a cessé d'en souffrir

Je passai une main sur les dates, comme pour ne jamais les oublier. Vasti Rose était donc décédée le 22 juillet 2000. Mais pourquoi le 3 septembre 2023 ? C'était récent d'ailleurs, le jour de... Je lâchai le cahier de mes mains, en comprenant que cette date, c'était celle de l'année de notre rencontre. Je ne lui avais adressé mes premiers mots que six mois plus tard, mais la coïncidence était trop importante.

Reprenant les feuilles, je me décidai à tourner la deuxième page.

25 juillet 2000

Déjà trois jours. Je ne sais pas comment je suis parvenu à trouver le courage de porter ce stylo à mes doigts, à ouvrir ce carnet. J'en ai besoin, parce que je suis incapable de contrôler ce que je ressens. J'ai brûlé un immeuble entier, des dizaines de vies, sans même m'en apercevoir. Aveuglé par ma haine, par mes regrets, mon feu s'est emparé de mon être. Je l'ai laissé me dominer, pour la première fois depuis que j'ai développé ces dons. Je suis terrifié à l'idée de recommencer. Je n'étais plus moi-même, il y avait cette voix dans ma tête. Elle me clamait que je devais agir ainsi, qu'il s'agissait là de mon destin.

Ces Lumas m'affirment que Mike a profité de ma faiblesse, pour me manipuler, mais je n'en suis pas sûr. C'était trop vrai, trop réel, trop intense. Mes flammes m'ont dompté, je ne pense pas qu'il s'agisse de davantage. J'ai pensé naïvement qu'ignorer mes dons me permettraient de mener une existence normale. Quelle stupidité ! Je ne suis pas humain, je ne vivrai jamais une vie simple et ordinaire. Plus maintenant.

Les images me hantent. Il a fait d'elle l'ombre d'elle-même. Il lui a retiré tout ce qu'il y a de beau en elle. Et je n'étais pas là. Je n'ai pas su voir à quel point elle avait besoin de moi. A quel point elle m'attendait. Je n'aurais jamais dû laisser cette porte se fermer, je n'aurais jamais dû ignorer mon instinct. J'ai perdu Rose, parce que j'ai été stupide et faible. Je suis un imbécile, un ignorant. Maintenant, je souffre, je pleure. Je n'ai plus que ma tristesse. Et ma colère.

Je ne trouverai le repos que le jour où je tiendrai sa tête dans mes mains. Je ne me pardonnerai que le jour où je l'aurais vengée. Mike et moi, ça ne s'arrêtera que le jour où l'un de nous mourra.

Ma main passa sur l'écriture irrégulière, empreinte de douleur. Et sur ce mot normale. Aiden m'avait tant reproché de ne pas l'être, je n'avais pas su comprendre. La normalité, c'était tout ce qu'il souhaitait. Tout ce qu'il recherchait depuis si longtemps. L'avais-je déçu, de ne pas l'être, de ne pas répondre à ce critère dont il avait tant besoin ?

Une tache se dessina sur le papier et je tentai de sécher mes larmes, sans grand succès. Mon cœur avait mal, je ne savais pas trop pourquoi.

— Désolée de te déranger, mais tu perturbes trop Aiden.

Cathy se tenait maladroitement à l'embrasure de la porte.

— Sois un peu patiente, il t'expliquera à son retour.

— Tu as eu des nouvelles ?

Elle n'eut pas le temps de me répondre. Le bureau disparut, les murs se rapprochèrent, je tombai au sol. La maison reprenait sa forme originelle et cela ne signifiait qu'une chose : Sean et Jérôme étaient au plus mal.

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