Chapitre 34 : Renfort

Les flammes s'apaisèrent. Comme ça, de façon brutale. Elles se stoppèrent face à moi, l'air de vouloir communiquer une nouvelle fois. Elles se modelèrent, ondulèrent sur place. Elles semblaient chercher à se transformer en quelque chose. Ou quelqu'un. C'était déstabilisant, je crois.

« On se connait. »

La voix avait été limpide, emplie d'espoir. Je regardais l'amas de feu, la tête penchée sur le côté.

— Vraiment ?

Je pensai un instant m'être endormie, ce qui ne serait pas étonnant de ma part. Je ne distinguais réellement le pouvoir d'Aiden, que dans cette pénombre normalement. Pourtant, j'étais toujours parmi mes Bisounours. Ils sautillaient partout, mais me laissaient seule avec cette âme. Oui, cette âme, c'était parfait. Aiden lui-même y croyait, à cette volonté propre qu'avait son don.

« Je t'attends depuis longtemps. »

Je plissai les yeux. M'attendre ? Voilà une idée bien étrange. Je n'étais pas de celle qu'on attendait, mais plutôt qui attendait. J'arrivais toujours à l'heure aux rendez-vous, jamais une seule seconde de retard ! Puis, je me dis que cette personne ne l'avait pas pensé de la même manière que moi.

— Navrée, mais je crois que je ne t'attendais pas, moi.

Il y eut comme un rire, un éclat de voix. Le feu semblait amusé. Sans doute aurait-il souri, s'il avait eu un visage.

« Au contraire. »

Ce fut à mon tour de m'amuser. Les gens autour de moi me donnaient l'impression de me connaitre plus que je ne me connaissais. Ils étaient tous exceptionnels, je n'en doutais pas. Mais il y avait des limites.

— Qu'est-ce que tu veux de moi ?

Allez, il fallait bien se lancer un moment ! Peut-être que j'allais obtenir les réponses à cet étrange lien qui existait entre ces flammes et moi.

« Que tu ouvres les yeux. »

— Je ne peux pas, répondis-je de suite. Aiden m'a dit que je saurais quand le faire et je ne le sens pas.

Les flammèches ondulèrent, comme prise d'un fou rire. Je me laissai entrainer par lui, même si je ne comprenais pas cette hilarité.

« Pas au sens physique. »

— Ah. Sur quoi devrais-je ouvrir les yeux alors ?

« Ce n'est pas drôle, si je te le dis. »

Je gonflai mes joues. Pourquoi tout le monde avait cette manie de lancer des demi-informations de cette façon ? C'était agaçant à la longue !

« Reviens-moi. Relève-toi. Bats-toi. Crois-en moi. Regarde-moi enfin. »

— C'est très joli.

« Analyse-moi. Lis en moi. Soutiens-moi. Aide-moi. Souris-moi, comme tu ne souriras jamais à personne. »

Le feu perdait de son intensité, tandis que ses mots en gagnaient. Le contraste était saisissant, des plus merveilleux. J'étais captivée par la mélodie, par la gravité, par la beauté.

« Suis-moi. Approche-moi. Enlace-moi. Comprends-moi. Aime-moi, car je n'aimerais que toi. »

La bouche ouverte, les mots étaient coincés. J'avais l'impression de perdre l'esprit. Outre le fait que cette âme me demandait de la considérer comme humaine, c'était son apparence qui me laissait stupéfaite. Car, à présent, tout était extrêmement clair. Les contours de sa silhouette s'étaient stabilisés et un visage, de feu toujours, était apparu. Je ne comprenais pas, mais il n'y avait aucun doute possible.

— Aiden ?

Les yeux grands ouverts, je sentais les battements de mon cœur qui s'étaient accélérés. J'avais mal aux muscles d'être restée si longtemps immobile, mais sans l'ombre d'un doute, la main sur mon bras avait tremblé.

— Ils sont arrivés.

Je tournai ma tête vers lui, qui était à mes côtés. En chair et en os, cette fois. Il souriait, et je n'étais pas très certaine que ce soit pour leur présence à nos côtés.

J'avais cette sensation que tout s'accélérait et que je n'étais pas prête.

— Je pense qu'au contraire, tu commences à l'être.

Evidemment, j'allais rétorquer que j'avais besoin d'informations et de précisions. Hélas, Aiden se contenta de sourire et de me répliquer que je devais patienter. Je fermai la bouche en protestant en pensée.

Puis, je me rappelai que les circonstances n'étaient pas au caprice et levai les yeux sur mon environnement. Les Bisounours avaient disparu, remplacés par les Obscurs et mes protecteurs au complet. Les garçons formaient une ligne devant moi et les filles étaient autour de ma personne. J'avais été si concentrée sur mon ami de toujours que je n'avais pas remarqué.

Minute.

Toujours ?

Quelque chose ne tournait pas rond chez moi. J'avais rencontré Aiden il y a deux ans à présent. C'était loin de représenter mes dix-sept ans d'existence.

— Minah ?

Je secouai la tête, me forçant à rester fixée sur la situation présente. Le reste devait attendre.

— Tu vas rester avec Cathy, Camille, Lucie, Mélodie et Arnaud.

Je hochai la tête.

— Tu ne les quittes pas, poursuivit-il en m'aidant à me relever, sous aucun prétexte, on est d'accord ?

J'étais un peu dans les lunes, mais ce n'était pas une raison pour douter autant de moi !

Je déglutis.

Ok, je plaide coupable. Il avait toutes les raisons du monde de mettre les choses au clair. Je divaguais trop, beaucoup trop vite. Par exemple, à ce moment, je me rappelais les folles paroles de son feu et de ce « enlace-moi. ». C'était tentant, puisque « Approche-moi » était déjà accompli. Et qu'Aiden me tenait toujours la main.

Bordel, à quoi je pensais alors que tout le monde pouvait mourir d'ici les cinq prochaines minutes ? Il fallait m'enfermer et m'assommer, plutôt que de me garder sur le qui-vive.

— Tu déconcentres, Aiden, m'informa Cathy.

Je clignai des yeux, puis bondis sur elle, sur le côté. Depuis combien de temps ne l'avais-je pas vu ? Une éternité !

— Sean avait arrêté le temps, ça doit être pour ça, expliqua Aiden.

Il était toujours souriant, d'une bonne humeur incongrue, au vu des circonstances. Je me contentai de hocher sagement la tête et de suivre ma meilleure amie sur le côté. Nous formions un groupe de six des plus atypiques, c'était amusant.

Debout à l'écart, la barrière de Cathy nous entourait. Nous étions spectateurs de ce combat, qui était le dernier. Les mains moites, j'étais des plus nerveuses à présent. Chacun de mes protecteurs avait un adversaire, certains duels étaient silencieux, comme pour Sean, d'autres faisaient des étincelles, comme pour Paul. Je m'efforçais de ne pas observer Aiden, parce que je savais que je divaguerais alors. C'était bien la dernière chose dont il avait besoin. Il jouait sa vie, sa conscience, son existence de Luma. Les sourires mauvais de Mike et de ses acolytes ne laissaient aucun doute sur cela : faire d'Aiden l'un des leurs était toujours d'actualités.

Je me pinçai les lèvres.

— Je pense trop, me flagellai-je.

— Ne t'en veux pas, me répliqua Mélodie, une main sur mon épaule.

Le son de sa voix m'ensorcela quelques secondes et je perdis des yeux le combat. Très efficace comme méthode !

— Tu as toujours été ainsi.

Une fois le sort de sa voix disparut, je fronçai les sourcils en la dévisageant.

— Toujours ?

Des rires s'élevèrent.

— Aiden t'entend depuis la première fois qu'il t'a vue, tu sais, m'informa Cathy.

— Et l'inversion de son pouvoir n'a pas toujours été simple pour lui, poursuivit Lucie. Il nous en parlait souvent.

Ma bouche forma un « O » parfait. C'était vrai que dans leur monde, c'était normal.

— Pourquoi ce n'est valable que pour moi ?

Mon regard dévia aussitôt sur Aiden, qui affrontait, à ma surprise, Mike. Gabriel se chargeait de Sacha, le bras droit. Cette répartition m'étonnait, j'avais pensé que les deux leaders allaient s'affronter, puisqu'ils étaient a priori les plus puissants de chaque camp.

— Il t'expliquera lui-même, lança Lucie. C'est important que ça vienne de lui, et pas de nous.

— Pourquoi ? insistai-je.

Mon regard toujours sur les flammes, la grimace du chef des Obscurs me ravit.

— C'est l'un des événements les plus importants, dans la vie d'un Luma.

Voilà qui ferma ma bouche. Je me rappelai instantanément les meilleurs souvenirs, de cette journée à la fête foraine. Tous avaient cité leur rencontre amoureuse. Etait-ce ça, leur secret si bien gardé ? Mais c'était stupide ! Ça n'avait pas besoin d'être un secret, tout le monde tombe à un moment ou un autre amoureux !

Deux minutes.

Si le secret tant protégé était l'amour... Non. Aiden m'aimait-il ? C'était absurde ! Et pourtant, ce lien... son feu...

Si c'était bien cela, je crois que tout le monde avait toujours eu raison : je n'étais pas prête.

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