Chapitre 31 : Flash spécial

Ses interrogations m'assaillent sans arrêt. « Où vont-ils ? » « Que font-ils ? « Que préparent-ils ? » « Reviendront-ils ? ». Minah se les répète en boucle, malgré mon feu qui tente de la distraire. J'ai pourtant prévenu les autres, qu'aucun mystère ne devait lui être soumis, les questions fusent trop vite dans son esprit. Ce sont les moments où les pensées qui ne me sont pas adressées, me deviennent limpides, comme si le fait qu'elle ne pense pas à moi était un crime, pour ce don qui ne veut pas fonctionner correctement pour elle. Je ne contrôle rien et cela m'agace. Elle ne se rend pas compte, de tout ce que je pouvais entendre et tout ce que je peux percevoir maintenant. Comment le pourrait-elle ? Dans son monde, les Lumas n'existent pas.

« Est-ce que j'aurais droit à une danse des flammes d'Aiden, ce soir ? »

L'interrogation me sort de mes pensées et peu désireux qu'elle persiste dans cette idée, je me lève. Je n'ose pas lui avouer, parce que j'ai peur de la froisser, mais je ne comprends pas son obsession pour mon feu. Je veux bien croire qu'il est doux, chaleureux et réconfortant, parce que je m'efforce de dompter la rage qui se tapit en lui, mais pourquoi y tenir tant ? J'ai parfois l'impression qu'elle le prend pour une personne, même si moi, je crois qu'il a une âme.

Je me poste devant elle, le visage au plus près du sien et souris face à la phrase qui claque dans les méandres de son esprit. Voilà une idée dont je ne me lasserais sans doute jamais.

« Il m'a embrassée. »

Son ton perdu est des plus amusants, tout autant que son incompréhension. Je crois que c'est ce qui me manque le plus, depuis leur arrivée : cette seconde qui s'arrête entre nous. Elle n'a pas toujours compris mon humour, des plus spécial, selon elle, mais elle s'est toujours efforcée de le saisir, les sourcils froncés, une moue concentrée sur le visage. Qu'importe qu'elle y passe plusieurs minutes, plusieurs heures, le temps n'avait plus d'emprise. Ni pour elle, ni pour moi. Ils ont fait tomber le château de sable et depuis, je ne parviens pas vraiment à le reconstruire.

J'oublie le passé et me concentre sur le présent.

— Eh ben voilà, j'aurais dû y penser plus tôt.

Minah sourit et je compte cet événement comme une victoire. J'en ai assez de la voir pleurer dans mes rêves. Ils tentent de la briser, mais c'est moi qu'ils détruisent peu à peu. Jamais elle ne perd espoir. Je ne comprends pas sa façon d'appréhender les faits. Si elle revoyait cette fleur, le saisirait-elle mieux, ce danger qui la guette ? Les sensations sont restées gravées dans sa mémoire, alors je réponds négativement à cette question. Il est hors de question de prendre le risque de raviver ses souvenirs. Moins elle en saura, mieux elle s'en portera. Pourtant, elle souffre de cette absence.

« Il n'a pas choisi d'être rieur et blagueur, il a dû l'être, pour ne pas dévoiler son pouvoir. »

Elle résume si bien ma décision, que j'ai envie de la couper dans ses réflexions. Mais j'ai gardé cette habitude, de ne pas me manifester. Ces pensées, elles ne me sont pas directement adressées. Ce sont des moments à elle, que je voudrais ne pas saisir. Ce don est une malédiction, autant qu'un cadeau.

Je m'apprête à lui assurer que je le vis plutôt bien, lorsque le feu d'artifice se lance. C'est sûrement là, le signe que j'aurais menti, en le prétendant. Alors ma bouche reste close et je me pétrifie lorsqu'elle se saisit de ma main par instinct. J'aime ces moments, parce que j'ai l'impression d'être quelqu'un à ses yeux.

Aiden perçut tout de suite que quelque chose ne tournait pas rond chez moi. Il me regardait inquiet, inquiétude qui se transforma en horreur lorsque ma conclusion parvint à se formuler dans ma tête.

J'avais vécu un de ses souvenirs.

Cela n'avait duré qu'une seconde dans la réalité, mais ces images n'avaient certainement pas duré aussi peu de temps. Tout avait été clair, poignant, réel. Pendant un instant, j'avais été lui et cela avait été sensationnel. Je pense que sans sa panique, je lui aurais sans doute demander d'autres souvenirs. Je n'avais aussi bien compris Aiden, qu'à cet instant précis où le souvenir s'était effacé.

— Qu'as-tu vu ? s'alarma-t-il.

Peut-être pensait-il à ces souvenirs, que je ne devais plus me remémorer ? Je le rassurai bien vite, lorsque ses propres mots envahirent mon esprit.

J'en ai assez de la voir pleurer dans mes rêves.

Ils tentent de la briser, mais c'est moi qu'ils détruisent peu à peu.

Ce don est une malédiction, autant qu'un cadeau.

J'aime ces moments, parce que j'ai l'impression d'être quelqu'un à ses yeux.

L'alarme qui résonnait dans son esprit s'envola, sans pour autant qu'il ne soit pleinement détendu. Il attendait ma réaction, sans doute en profitait-il pour dédramatiser la situation de son point de vue. « Elle va avoir une réaction normale. » Je pense qu'il se trompait lourdement et qu'il le savait. Ainsi, il me prit de vitesse.

— Je suis désolé, ça m'a échappé. J'ai souhaité trop fort que tu comprennes que les pouvoirs n'étaient pas nécessaires. Je ne voulais pas te partager de souvenirs. Ça aurait pu avoir tellement de conséquences, se flagella-t-il. Je suis désolé.

Il s'affolait, s'enfonçait dans ses craintes, s'y perdait. Alors, à l'instar de ma réaction d'un peu plus tôt, je demandai poliment à mon cerveau de se mettre en veilleuse et d'agir. Je crois que l'expression d'Aiden à la vue de mes mains qui s'enroulaient autour des siennes est un des moments que je n'oublierais jamais au cours de mon existence. Encore maintenant, elle m'apaise.

Comme revenu à la réalité, il s'était figé, le souffle coupé, les yeux écarquillés, et pourtant, un sourire sur les lèvres.

— Tu commences à virer au bleu, me moquai-je.

Sa respiration reprit, calme et régulière, comme si rien ne s'était produit.

— Cette seconde qui s'arrête entre nous ? questionnai-je.

Je crus qu'il allait s'évanouir, mais mon emprise semblait le retenir.

— J'ai pensé à beaucoup trop de choses...

Il plissait les yeux et ses lèvres se pinçaient, alors, je fis claquer cette phrase qu'il aimait tant. « Il m'a embrassée. » Il sourit avant de froncer les sourcils.

— Je ne pourrais plus plaisanter maintenant ! C'est beaucoup trop gênant !

— C'est bien pour ça que j'y ai pensé.

Je souris, espiègle et Aiden se rembrunit d'autant plus.

— Tu ne m'as jamais parlé de ce don.

— Parce que tu n'étais pas censée le découvrir.

— J'en veux d'autres.

— Hors de questions, répliqua-t-il sitôt. Tu ne te sens même pas un peu coupable d'être entrée dans ma tête ?

— C'est toi qui m'as invitée, plaidai-je.

— Ça n'aurait pas dû arriver, bougonna-t-il.

Immobile, mes mains toujours sur les siennes, j'espérais qu'il change d'avis. D'innombrables interrogations se mélangeaient dans ma tête. Qu'avait-il pensé le soir où je les avais vus tuer ? Qu'avait-il ressenti face à mon refus de lui parler de ces sombres silhouettes ? Chaque événement me rendait curieuse à présent et il avait les moyens d'y répondre !

Aiden soupira, en tentant de reculer, de s'éloigner de moi. Je ne bougeai pas.

— Tu as vécu l'enfer durant cinq jours. J'y pense trop, pour te laisser voir dans ma tête.

— Est-ce si terrible ?

— Oui.

— Est-ce que... Est-ce que j'ai eu le choix ?

— Tu craignais de nous oublier en acceptant, sourit Aiden.

Visiblement, ce moment l'avait amusé.

Je lâchai ses mains, parce que l'après m'effraya soudain. A quoi tous ces souvenirs servaient-ils, si j'étais condamnée à tout perdre ensuite ? Je n'étais pas des leurs et ne le pourrai jamais, qu'importe que cette marque disparaisse ou non, qu'importe qu'ils meurent. Aussi efficacement qu'ils avaient effacé mes douloureux souvenirs, ils s'effaceraient de ma mémoire. C'était injuste de me sauver, pour m'abandonner ensuite.

— Est-ce qu'après leur mort, tu deviendras comme ces impressions persistantes ? une vague sensation, que je ne peux pas saisir ?

— Il n'y aucun risque que je m'évapore de ta tête.

Bien sûre, je m'apprêtais à lui rétorquer un « pourquoi », mais il fut plus rapide.

— Pour le moment, contente-toi de penser à vivre. Je t'expliquerai après leur mort. Tu auras peut-être le droit à quelques souvenirs, ajouta-t-il, me voyant prête à répliquer.

— Vraiment ?

Les yeux scintillants et les mains jointes devant moi, j'étais redevenue une enfant le temps de quelques secondes. Il me tendait un bonbon, pour me faire taire. Et je l'acceptai, tout en restant impatiente.

Aiden commença à s'éloigner et je le suivis en réitérant ma remarque. Il souriait, était content, mais dans son regard, je percevais cette lueur. S'il me disait tout ça, ce n'était pas sans raison. Tout allait basculer, il le savait.

Moi aussi, d'une certaine façon.

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