Chapitre 3 : "Connais-tu la peur, Aiden ?"

La situation s'éternisait. Quelques jours se transformèrent en quelques semaines. En effet, trois semaines plus tard, mes amis me raccompagnaient encore chez moi. C'était assez efficace, je devais le reconnaitre. Les silhouettes noires se contentaient d'apparaitre brièvement, avant de disparaitre. Mais ils me traquaient, c'était certain. Le plus angoissant restait le soir, lorsque les lumières s'éteignaient. Ils auraient tellement de facilité pour m'assassiner dans mon sommeil ! J'en manquais d'ailleurs cruellement. Aiden me le fit remarquer vingt-quatre jours jours plus tard, alors que nous étions sur le chemin de ma maison.

— Tu n'as pas bonne mine.

L'absence d'humour et de légèreté me saisit tout de suite. J'allais bien, tout en étant affreusement mal. Comme toujours, je cherchai le réconfort de sa présence et je glissai, naturellement, une main sous son bras.

— Je dors mal, ça va s'arranger.

L'idée de nier ne m'était pas venue à l'esprit. C'était un fait : j'étais épuisée de me battre chaque soir, contre des ombres inexistantes. Ils n'étaient jamais venus à moi, pas une seule nuit. Ils se contentaient de leur sourire, disséminé un peu partout. A force, je distinguais les six silhouettes entre elles. Le chef n'était pas le plus imposant physiquement. Son visage ovale et ses fossettes le rendaient impressionnant. Il était élancé et son sourire était des plus diaboliques. Le bras droit, avec son profil carré et son sourire carnassier, était plus petit et plus menu. Cependant, il n'en restait pas moins très agile et discret. Il suffisait d'un battement de cil pour qu'il disparaisse ! Le troisième, était carrément petit. Ses lèvres ne s'étiraient que très rarement. En revanche, son aura meurtrière me faisait régulièrement frissonner. Le quatrième était aussi grand que le leader et bien plus robuste. Il semblait aiguiser ses dents et défier le cinquième d'être le plus pâle possible. Celui-ci était le seul des six à paraitre normal. Et puis, le dernier. Il était musclé et impatient de m'avoir sous la main. Je chassai leurs images de mon esprit, tentant de profiter du moment présent.

— Minah ?

Son ton délicat et prudent me saisit.

— Pardon, tu disais ?

— Le souvenir de ce feu doux ne t'apaise pas ?

— Au début, oui. Mais j'ai fini par oublier cette sensation.

Le noir de la nuit aura eu raison de lui. J'avais beau le chercher dans les méandres de ma mémoire, il m'échappait sans cesse.

— Remplace-le par un rayon de soleil.

Sourire en coin et regard lumineux de sa part.

— Le vrai ou le faux ?

— Les deux ? suggéra-t-il.

Je serrai mon emprise sur son bras, tout en me disant avoir une incroyable chance de le connaitre. C'était grâce à Cathy, d'ailleurs. Je la connaissais depuis le collège et lorsqu'elle avait commencé à sortir avec Paul, elle me l'avait présenté. Puis, elle avait tenu à ce que je rencontre ses amis, dont Aiden en faisait partie. C'était d'ailleurs le seul avec qui j'avais gardé contact. Les autres n'étaient que des corps flous dans mon esprit. C'était étrange. Comment pouvais-je n'avoir retenu qu'Aiden ?

— J'espère que tu penses à un moyen d'emprisonner le soleil, se moqua mon ami.

Je souris. Il était bien loin de taper dans le mille ! Puis, je vis ma maison et je ralentis. Je ne souhaitais pas rentrer tout de suite. Nous étions vendredi et cela signifiait que j'allais passer le week-end à ressasser mes craintes. Il n'y avait qu'avec mes amis, que j'oubliais.

Le lycéen se stoppa, constatant que nous prenions l'allure d'un escargot. Puis, il dirigea son visage vers le mien et souffla :

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

La douceur de son ton et l'intensité de son regard me surprirent tant, que je clignai plusieurs fois des yeux, croyant avoir imaginé cet instant. C'était une facette de lui que je ne connaissais pas. Sur le moment, je ne sus pas si je l'appréciais ou non.

— Connais-tu la peur, Aiden ?

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Je fermai les yeux, mordis ma lèvre, puis me décidai à obtenir quelques informations.

— J'ai l'impression qu'elle me suit, depuis ce jour-là. Je la vois partout. Le temps d'un battement de cil et elle s'envole. Je crois m'inventer des ombres qui n'existent pas et des menaces non formulées. Je crois devenir folle.

J'aurais aimé un rire, une réponse ironique, légère. Un mot qui me fasse me sentir stupide. J'obtins tout le contraire. La tristesse s'empara de l'être d'Aiden. J'avais la sensation d'être un animal blessé. C'était horrible, surtout venant de mon ami blagueur et rieur.

— Alors, la connais-tu aussi ? relançai-je.

Je ressentis le besoin de m'écarter de lui, comme si son contact pouvait me faire oublier ce que je souhaitais. Son pouvoir de persuasion était grand et, pour la première fois, je doutai de lui. En avait-il usé contre moi, sans que je ne m'en aperçoive ?

— Non, murmura-t-il. Mais j'ai la sensation que tu t'éloignes, tous les jours un peu plus de nous. C'est ma peur.

Je crois qu'à cette seconde, il y eut un flottement, une espèce d'idée qui planait entre nous. Mais elle rejoignit très rapidement le ciel. Et je repris le bras d'Aiden.

— Je n'ai aucune raison de le faire, n'est-ce pas ?

Il hocha simplement la tête. Ma maison était là, à quelques pas de moi, et je la craignais. M'éloignai-je d'eux en tentant de les fuir ?

— On peut faire un détour ? Je crois que j'ai besoin de marcher, expliquai-je.

J'avais effectivement besoin de réfléchir. Aiden était légèrement différent depuis mon malaise. Il avait perdu en naïveté et son regard si joueur semblait infiniment triste. Il était plus attentif à mon égard, ce qui le rendait parfois agaçant. Je n'étais pas en sucre, non plus. Je n'étais pas encore certaine d'apprécier cet aspect de lui. J'aimais sa bonne humeur et ses blagues débiles.

Nous nous mîmes lentement en route. L'ambiance était lourde et mon cœur perdu dans ce brouillard. Aiden lançait quelques coups d'œil à mon cou, ce qui ne soulignait que davantage son changement. C'était une habitude que le couple avait aussi. Mon cou, pour une raison ou une autre, les fascinait. J'avais passé des heures à observer mon reflet dans la glace, sans rien apercevoir de suspect. J'avais quelques grains de beauté, mais c'était tout. Alors, leur obsession me paraissait incongrue. Distinguaient-ils quelque chose de différent ? Comment cela aurait-il pu être possible ?

— Aiden ?

Ma gorge était trop nouée. Je ne pouvais plus faire comme si rien ne s'était produit, comme si je ne percevais pas leur mensonge à travers leurs sourires.

— Est-ce que...

La conclusion s'imposait à mon esprit. Mais je souhaitais tant me tromper !

— Est-ce que je suis en danger ?

— Tant qu'on ne saura pas ce qui s'est passé, oui. C'est bien pour cela qu'on te suit partout.

Sa réponse avait été trop rapide, trop simple.

— Vous savez ce qui m'est arrivé, n'est-ce pas ?

Son pas fut hésitant, mais son étonnement ne se vit pas. J'étais pourtant certaine de ce que j'affirmais. Aiden était trop angoissé. Il ne prenait pas ce malaise comme un événement passager, une erreur de ma part. Il serrait mon bras, comme si je pouvais m'envoler à tout moment. Il prenait chaque seconde de la vie, avec un sérieux que je ne lui connaissais pas. Il n'était pas lui-même.

— On n'est pas devin, se moqua-t-il.

Tout sonnait faux dans son insouciance. Seule sa poigne était réelle.

— J'ai besoin de...

Un mal de tête aussi fugace qu'intense me stoppa dans ma phrase. Je m'agrippai au bras de mon ami, en luttant pour ne pas m'effondrer. Le souffle m'était difficile à reprendre et mes pensées tourbillonnaient sans parvenir à être claires. Puis, leur image s'imposa à moi. Tous les six me scrutaient de leurs regards noirs, le sourire aux lèvres. Ils avançaient dans ma direction, en ayant l'allure de félins. L'un d'eux claqua des doigts et je me sentis partir vers le monde de l'inconscience, lorsque ce feu, si doux, se rappela à ma conscience. J'eus la sensation qu'il m'enveloppait. Ainsi, mes paupières se rouvrirent et je découvris le visage horrifié de mon ami. Un soupçon de colère y résidait également. Comprenant que j'allais mieux, il cessa d'hurler mon nom et détendit ses mains sur mes bras.

Ma respiration était saccadée et je peinais à retrouver mon souffle. Je pense que je faisais une crise de panique, juste après... Juste après quoi ? Etait-ce une attaque de leur part ?

Sans un mot, Aiden me serra fort contre son torse. Il me donnait l'impression d'être impuissant et c'était sans doute le cas. Que pouvait-il bien faire, contre des ombres pareilles ? Elles me paraissaient si irréelles, si inhumaines ! Aiden était tout ce qu'il y avait de plus humain. Il aurait été anéanti à la première seconde.

Mon ami ne dit rien, tandis que je pleurais doucement contre lui. Saisissait-il mon désarroi ? Ma peur ? Mon affolement ? Pouvait-il les concevoir, rien qu'une seconde ?

Lorsque mes sanglots ne furent qu'un souvenir, Aiden me chuchota :

— Que t'est-il arrivé ?

L'empathie qui se dégagea de son ton, me fit croire que oui, il comprenait parfaitement ce que je ressentais. J'étais cependant incapable d'expliquer quoi que ce soit. Je gardai donc le silence.

— Ne me fais-tu pas confiance ?

J'eus envie de lui retourner la question, de lui hurler que je n'étais pas bête. Pourtant, je gardai encore ma bouche close. Aiden ne méritait pas mon venin, il n'était pas responsable de ma tête qui se créait des illusions. Et s'ils étaient bien réels, alors, pour son bien, je devais ne rien partager.

— Connais-tu la peur, Aiden ? répétai-je.

— Pas autant que toi... souffla-t-il dans mes cheveux.

— Elle s'est emparée de mon être. Elle crée des mirages si réalistes...

Je me concentrais sur sa respiration régulière et calme. Son ton était marqué par l'inquiètude, pourtant, il gardait son calme. J'avais l'impression de ne plus vraiment le connaitre. C'était soudain.

— Lesquelles, Minah ? Dis-le. Rends-les concrets.

Il était devenu pressant, comme s'il y avait urgence. Comme s'il était devenu trop impatient pour attendre.

Je fermai les yeux, serrai fort les paupières, puis lâchai dans un chuchotement lointain :

— Il y a six ombres qui me guettent. Me terrifient. Elles sont à mes trousses et sourient de me voir fuir.

— Je...

Aiden s'était soudainement tu, comme pris de court par quelque chose. Ou quelqu'un. Sa main s'était stoppée au-dessus de ma tête, dans un geste non abouti. Tout sentiment d'apaisement me quitta et il me fallut quelques secondes avant de m'éloigner de lui. Doucement, je m'écartai de sa protection. Je serrai fort les dents, pour ne pas craquer et l'immobilité parfaite d'Aiden me confirmait qu'ils étaient là. Ils agissaient. Le beau regard bleu de mon ami ne bougeait plus. Il ne me regardait pas. Etait-il perdu dans un monde imaginaire ? Sa respiration lente, me laissait penser qu'il dormait les yeux ouverts.

Je me stoppai un instant, restant là, devant lui. Espérant qu'il se mette à bouger. Je retins mes larmes, tandis que ma conscience hurlait que j'allais être responsable de sa mort. Alors, je fis la seule chose que je pouvais faire : m'éloigner de sa personne, en priant que cela le sauverait.

C'était exactement ce qu'ils attendaient.

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