Chapitre 28 : Mon plus beau souvenir
Sean sentait que la pilule ne passait pas tout à fait, mais il poursuivait son récit, parce qu'il savait que j'avais besoin de temps.
— Lorsqu'Aiden s'est calmé, nous sommes allés le voir. Il était toujours resté à distance de notre monde et n'avait aucune idée de ce que les Obscurs pouvaient accomplir. Nous lui avons expliqué que pour les vaincre, une seule vie ne suffirait pas. Nous les traquions depuis près de deux cents ans déjà, sans y parvenir. Il a accepté de rejoindre nos rangs, si cela lui permettait de les détruire. Depuis, nous nous préparons à leur mise à mort.
— Vous pensez vraiment y arriver ?
Sean parut chercher ses mots.
— Il y a de nouveaux éléments depuis et la balance penche en notre faveur, sois-en sûre.
Puis, nous traversâmes la barrière de Cathy et la sensation d'avoir perdu quelque chose me prit. Encore une fois, je mis ce sentiment de côté, parce que je n'y trouvais aucune logique.
L'ensemble du groupe s'était posé autour d'un feu de camp. Un tronc d'arbre au sol faisait office d'assise et ceux qui ne pouvaient s'y installer, étaient assis sur l'herbe. Chacun d'eux appréhenda ma venue, mais aucun ne commenta quoi que ce soit. Je comptais m'asseoir à côté de Cathy, lorsque celle-ci m'indiqua le tronc. Thibault et Mélodie s'étaient poussés, pour me faire de la place. Je fus donc à côté d'Aiden. Il souriait, malgré les pensées sombres qui m'habitaient.
— Pour clôturer cette journée hors du temps et de l'espace, chacun de nous va conter son meilleur souvenir, annonça solennellement Gabriel.
Thibault réagit de suite en levant les yeux au ciel. Se levant, il balaya son chef d'un mouvement de main.
— On la refait !
Il toussota, pour prendre de l'inspiration.
— Parce que c'était un délire d'enfer et que Minah est imbattable au trampoline, on va causer dans le positif. Les Obscurs, c'est pas cool et ils nous emmerdent bien. Mais la vie de Luma, c'est vachement loufoque. On vit des trucs de ouf et on veut te les partager, parce qu'on s'dit que tu vas bientôt prendre la fuite sinon. Donc les gars, je commence !
Il eut droit à quelques huées, mais l'enfant fit abstraction et fixa sa chère et tendre.
— Alors, moi évidemment, c'est ma rencontre avec toi qui a été le plus cadeau de ma vie.
Il se mit à genou devant elle et lui baisa la main, comme si nous étions dans un récit d'antan.
— Elle rayonnait parmi les fleurs jaunes de ce pré et mon cœur a fait boum en la voyant. Le destin nous a liés et depuis, je le remercie tous les jours de t'avoir placée dans ma vie, Mélodie.
— Je t'aime.
Je ne remarquai que dans un second temps les regards affolés, braqués sur moi. J'étais trop happée par la voix chantante de celle qui n'avait jamais prononcé de mots jusqu'alors. En moins de quelques secondes, je m'étais sentie transportée dans un autre monde, où le rose emplissait l'espace. Il m'avait semblé que les sons formaient des lignes qui ondulaient au gré des tonalités. Cela avait été merveilleux.
Puis, Mélodie mit sa main devant la bouche, le regard horrifié vers moi et je revins sur Terre.
— Je vais bien, les rassurai-je.
Un soulagement commun s'abattit sur le groupe, puis Thibault explosa d'impatience.
— Alors, alors, je te l'avais dit que sa voix était incroyable, non ? Elle est fantastique, n'est-ce pas ? Tu l'aimes aussi, pas vrai ?
— Beaucoup, admis-je.
L'instant suivant, il s'envolait dans les airs en poussant des cris de joie. Impressionnée par sa transformation si rapide, je restai bouche bée.
— Reviens, m'intima Aiden en claquant des doigts devant mon nez.
Mélodie s'excusa et partit rejoindre sa moitié, ce qui acheva de me perdre une troisième fois. Ils semblaient absorbés dans leur vol, ondulant, se courbant, piquant vers le sol. Leur pelage des plus différents, l'un aux nuances d'orange et l'autre aux nuances de bleus, se mélangeaient, se cherchaient, se trouvaient. Ils étaient un, et c'était magnifique.
Puis, les autres évoquèrent leur plus beau souvenir. Pour les couples, c'était étonnamment toujours leur rencontre qui avait bouleversé leur existence. N'avaient-ils aucun souvenir plus beaux encore dans leur existence si longue ?
Jérôme évoqua son entrée dans le groupe et Sean hésita.
— C'est encore un sujet que je n'ai pas le droit de connaitre ?
— Nous nous méfions de toi, lança Gabriel.
— Pardon ?
— Tu as tendance à toujours chercher une explication à tout et c'est ça qui nous inquiète, m'expliqua Camille.
— Ton deuxième meilleur moment ? tentai-je alors.
Tout le monde fut soulagé de mon non-insistance, même si je ne perdais pas espoir d'avoir des réponses un jour.
— Tu te souviens de ce moment, juste après que la marque t'a brûlée ?
— Bien sûr ! répondis-je enthousiaste.
En sentant le feu d'Aiden vaciller, je me rembrunis.
— Tu essaies encore d'embêter Aiden, boudai-je.
— Comment le sais-tu ? me demanda mon voisin, tandis que Sean souriait, coupable.
— Tes flammes ont tremblé.
Il ouvrit la bouche, prêt à me re questionner, puis abandonna.
— Les perçois-tu constamment ? m'interrogea Gabriel.
Bizarrement, son interrogation me sembla lourde de conséquence. Tout le monde s'était plus ou moins tu et m'observait.
— Quand Aiden va trop mal, ça s'arrête. Pourquoi ?
— Juste à ces moments ? persista Lucie.
Je fronçai les sourcils devant tant d'insistance. Je ne quémandai rien, cependant, car je savais qu'il s'agissait encore d'un secret de leur monde.
— Je ne sais pas. Je n'y fais pas trop attention. J'ai l'impression que c'est devenu différent depuis deux jours, mais...
Je me stoppai soudain, parce que tous se lançaient des regards entendus. Je tournai ma tête vers mon voisin, espérant qu'il me fournisse une explication, mais il se contentait de sourire. Ses prunelles me mirent mal à l'aise, parce qu'elles semblaient hurler de désespoir. Je me mis à angoisser.
— Ce n'est rien de grave, affirma Sean.
Mais Cathy secoua la tête.
— On a peur que ce ne soit Mike qui perturbe tes sens, grâce à la marque. Il a déjà modifié tes rêves, il pourrait essayer de...
— Je n'invente rien, la stoppai-je brusquement.
Elle s'offusqua un instant de mon ton.
— Mike ne peut pas créer autant de lumière, il est le mal. Je le sais. Être chaleureux, compatissant, attendrissant, attentif, il ne peut pas. Dans son sang, il n'y a que les ténèbres. Alors non, ce feu que je perçois est bien celui d'Aiden. Aucun doute là-dessus.
Mon assurance me surprit moi-même. Je le percevais jusqu'au plus profond de mon être, ce vice que j'attribuais à l'Obscurs. C'était irrationnel, puisque je ne l'avais jamais vraiment vu être abominable. Mais pour une fois, j'écoutais cette voix dans ma tête, ce sentiment qui semblait loger dans chaque parcelle de mon corps. Mike était fait de mort et de terreurs.
Le regard incrédule de Sean me surprit, car il semblait déstabilisé par mes émotions. Ce n'était plus arrivé depuis longtemps.
— Bon, il me semble que c'est à moi d'évoquer mon meilleur souvenir, non ?
Aiden parvint à moitié à détendre l'atmosphère. Je le fixai à nouveau, curieuse. Je m'attendais à ce qu'il évoque Rose, il n'en fit rien.
— Moi, il s'agit d'un baiser imaginaire.
Il me visait très clairement et l'espace d'une seconde, je me dis que ce baiser n'avait rien d'imaginaire.
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