Chapitre 23 : La mort s'amuse

*Ce chapitre est déconseillé aux âmes sensibles*


Les coupures, les bleus, le sang. Hormis ses magnifiques cheveux bruns et son corps plus développé, Rose et moi étions similaires, de façon très dérangeante. Elle tenait bon, comme je tenais bon. Les dents serrées, les lèvres pincées, les doigts enfoncés dans nos mains, nous résistions. Nous étions un miroir de l'autre, un soutien. Mais moi, j'avais la certitude qu'Aiden me trouverait. Je ne perdais pas espoir, tandis que son regard se vidait peu à peu de tout sentiment.

— Tu résistes bien mieux qu'elle au désespoir, chuchota mielleusement Mike.

Toujours trop proche de moi, il menait la danse. Je subissais, sans contrattaquer. Comment aurais-je pu ? Rose avait ses flammèches, je n'avais rien.

— Je survivrais, soufflai-je en retour.

L'ennemi ricana à mon oreille. Le son se répercutait dans mon crâne, me donnant des maux de tête. Mike contrôlait ma vue, mon odorat, mon ouïe, mais également mon toucher. J'avais la sensation de ne plus réellement exister, d'être une marionnette dans son jeu macabre. Sous mes doigts, je ne sentais plus la chaleur du collier.

Le couteau disparut et une effroyable chaleur se dégagea du bourreau. Entre ses mains, une barre de fer brûlante. A son bout, une forme que je ne distinguais pas.

— Tu pourras la contempler de tes yeux, m'assura l'Obscur.

Une ampoule parvint à s'allumer dans les méandres de mes idées sens dessus dessous.

— Tu ne vas pas me tuer comme elle.
— Oh, exact, petite. Je souhaite t'abîmer, sans te condamner.
— Pourquoi ? soufflai-je.

Au fond de moi, je connaissais déjà la réponse.

— Parce que je veux voir dans ses yeux, cette étincelle de désespoir. Ce pas franchi vers le non-retour. Cette haine qui le consumera et finira par le tuer. Lorsqu'il se sentira si coupable de te voir meurtrie, je te tuerais. Et alors, je n'aurais qu'à lui porter le coup de grâce.
— Tu veux faire de lui un Obscur... murmurai-je glacée.

Etait-ce pire que la mort ? Comment mon Soleil pouvait-il devenir un être aussi abject que cette ombre ? Pour me rassurer, je m'imaginai serrer la chaine, faute de pouvoir le faire réellement.

— Mince, mais tu devines tout ! chantonna Mike en se redressant.

Le souffle me manqua. Etait-ce ainsi que l'on devenait des leurs ? En perdant la raison ? Etait-ce la raison pour laquelle leur espèce semblait n'avoir aucune limite ?

— Grâce à toi, je vais parvenir à le faire basculer !

Il ricanait dans son coin, croyant déjà avoir gagné. Mais je connaissais mon Soleil, jamais il ne pourrait devenir aussi cruel que Mike.

— Jamais Aiden ne te pardonnera.

L'image de Rose s'ébranla et Mike prit sa place. Il tenait toujours la barre de fer.

— Une fois que l'on franchit les limites, tout nous apparait sous un nouveau jour. Aiden se tiendra à mes côtés, crois-moi.

Il frappa la table de son bâton et une fleur s'y dessina. Les contours floues entachaient sa forme, mais je n'avais pas de doute : ils avaient choisi une bien belle forme, pour qu'on se souvienne d'eux.

Mike se redressa en secouant la tête, comme pour se rappeler de son objectif. Il s'approcha à nouveau de moi, tandis que Rose réapparaissait. Au moment exact où la brûlure la saisit, j'hurlai avec elle. Nous étions marquées au fer rouge. Mike venait de donner à ma peur une apparence des plus réelles et je me sentis vaciller sous cette vérité. Pourrai-je vivre normalement, après cela ? Les blessures physiques disparaitraient, mais ma douleur mentale, qu'allait-elle devenir ?

L'Obscur revint se placer sur ma droite, sa bouche trop près de ma peau. J'aurais voulu tressaillir de dégoût, mais le feu me consumait encore. Mes idées peinaient à être lucide et cohérente. Les flammes dansèrent dans la pièce, comme pour appuyer mes propos. Elles semblaient me menacer de recommencer, encore et encore.

— As-tu peur de cette chaleur ? minauda le vieil homme.

Je fermai les yeux, cherchant à apaiser mes battements de cœur. Cherchant, parmi la foule de souvenir que je possédais, ce sentiment d'être en sécurité. Malheureusement, tout me semblait plus menaçant dans cet endroit, et le doux feu d'Aiden n'était qu'un lointain rappel. Je ne parvins pas à m'y accrocher. Je m'obstinais pourtant à garder les dents serrées, incapable de confirmer ce que l'individu malfaisant savait déjà. J'étais effrayée, oui. Plus le temps passait, plus je me sentais opprimée. Agressée.

Morte.

— Dis-le, exigea Mike.

Mes paupières restèrent abaissées. Puis un cri résonna et mon regard se posa sur Rose.

— Non... murmurai-je.

Malgré la chaleur ambiante, je me sentais froide comme la glace. Tétanisée, je ne pouvais m'empêcher de la fixer, inlassablement. L'image s'ancrait de plus en plus en moi, m'oppressait. Je savais que je devais détourner mes pupilles de son corps, de ses larmes, de cette envie d'en finir. Je ne le pouvais cependant pas.

Car Rose venait de perdre un bras.

— Dis-le.
— Je suis terrifiée, assurai-je instantanément.

Je ne tenais pas à finir comme elle. Avait-il changé d'attitude pour cette raison ? Parce que la jeune femme avait cru en Aiden ?

— Pourquoi est-il si important ?

Ma voix tremblait, tressautait. Informe, il était difficile de me comprendre. Pourtant, la créature à mes côtés n'avait aucun mal à converser.

— Pourquoi ?

L'agacement tintait dans son ton. Une envie irrépressible de me punir le tenaillait. Mike semblait prêt à me tuer. Il s'en prit à Rose, faute de pouvoir m'atteindre. Ou par amusement plutôt ?

Assister à mon probable avenir était des plus angoissants. Quand mon bourreau abaisserait-il sa lame sur moi ? Que ressentirai-je ? Hurlerai-je aussi fort qu'elle ? Serai-je aussi suppliante que Rose ? L'étincelle de vie s'éteindrait-elle à ce même instant ? L'attente était insoutenable.

— Ne l'as-tu pas encore compris ? Ne l'as-tu pressenti, toi qui lui voues une confiance aveugle ?

Je fixai Rose. Ses cheveux n'avaient plus rien de brillant. Sa peau semblait malade. Son esprit ailleurs. Elle perdait le combat, chaque seconde un peu plus. Elle perdait foi en lui. Je le revis, ce soir-là, devant moi. Il m'avait protégée sans faillir. Il avait été là, usant de ses forces pour que ma vie se poursuive. Et cet éclat qui avait brillé dans son regard, et ce tremblement dans sa voix, et ses gestes incertains. Aiden n'avait eu aucune confiance en lui. Il n'avait pas pensé survivre, il avait pensé à ma survie. Mais moi, je la distinguais à présent, cette force incroyable dont il était doté. Mon ami était plus fort que ces croyances.

— Son pouvoir... murmurai-je, la gorge serrée.
— Exactement, confirmait l'Obscur, tandis que les hurlements de Rose reprenaient.

Tout s'accéléra, sans pour autant perdre une seconde d'intensité. Peu à peu, je vis la bien-aimée perdre confiance, perdre la lumière de vue, perdre la vie. J'étais brisée, déchirée, anéantie. Rose mourrait, et moi, j'étais à terre. L'ennemi, cruel et impitoyable, gagnait.

Les larmes commencèrent à dévaler mes joues. J'avais tenu si longtemps, en pensant à Aiden. Il m'était cependant impossible de lutter davantage. Du corps de Rose, il ne restait rien de beau, rien de lumineux, rien de rafraichissant. Elle avait été démembrée, sans pouvoir se battre, sans pouvoir abréger ses souffrances.

Mes sanglots devinrent plus violents, plus longs, plus angoissants. Mike semblait en éprouvait un plaisir intense, incontrôlable. Puis, lorsqu'il sembla en souhaiter davantage, il brandit la tête de Rose devant mon visage. Mon aversion fut si intense, que je vomis durant de longues minutes. Son image-ci s'imprégnait avec plus de hargne encore que précédemment. Je souhaitais m'écrouler au sol, vidée de la moindre force qui m'habitait, de la moindre envie de vivre. Mais les chaines m'en empêchaient, me priver de ce simple réconfort. Alors, j'hurlais de désespoir envers Aiden. Je le priais de venir, d'apparaitre, d'effacer ces images de mon esprit, tandis que la créature s'exaltait de ce désespoir.

— Que veux-tu perdre en premier ? s'enquit l'animal.

La tête basse, les mots s'étaient échappés de mon esprit. Il dut me redresser, pour que je lui fasse face. Je ne pleurais plus, n'ayant plus de larmes en réserve. Mon regard était-il aussi vide que celui de Rose ? Je m'imaginai mes yeux vitreux et ma peau blanche comme la mort. Cela ne me fit rien. A travers mes pupilles, j'essayais d'obtenir la fin, de pousser mon bourreau à m'asséner ce coup fatal. Il souriait, heureux, lorsque l'atmosphère se transforma soudain.

Une douce chaleur flottait dans l'air, et je sus qu'Aiden était enfin arrivé.

Sitôt, tout se transforma. Mon esprit recouvra une certaine cohérence, mon regard de l'assurance et mon corps de la force. Mon rayon de soleil perçait les nuages et je tendais les bras pour m'en approcher plus rapidement.

Il me sembla qu'une vitre se brisa dans un fracas, avant de sentir cette atmosphère apaisante, que seul le feu d'Aiden pouvait créer. Je ne compris pas vraiment m'être déplacée. Cependant, les bras de mon ami autour de moi m'étaient une sensation des plus réelles. Les larmes revinrent et je me recroquevillai davantage dans son étreinte, y cherchant tout le réconfort dont j'avais besoin. Ses mains serrèrent d'autant plus mon corps meurtri, tandis qu'il posait délicatement sa tête sur la mienne.

Ainsi, j'oubliai le danger, l'horreur et la mort. Seul subsistait ce sentiment de bien-être, d'être là où je devais être.

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