Chapitre 20 : Mensonge
Nous étions comme deux idiots l'un en face de l'autre sans savoir quoi se dire. Nous n'étions pas mal à l'aise pour autant : ni lui ni moi ne baissions la tête ou ne passions d'un pied et l'autre. Nous étions calmes et immobiles. Entre nous, il y avait pourtant une atmosphère étrange, empreinte de mots hurlés et de chuchotements. Puis, Aiden me serra dans ses bras, comme si c'était la dernière fois. Je lui retournai son étreinte, sans trop savoir ce qui l'avait conduit à ce geste. Il était tactile, mais pas câlin.
— Je vais réfléchir à une couleur pour la chambre d'ami, mais je ne peux rien faire pour l'atmosphère que tu perçois.
Il semblait hésiter entre l'humour et le sérieux. J'en étais déstabilisée, car je n'aimais pas danser sur un pied puis l'autre.
— Tu ne seras pas un second colis, parce que je ne laisserai pas Mike vivre assez longtemps pour ça.
J'hésitai entre le soulagement et l'inquiétude. J'étais perdue, car je savais la promesse difficile à tenir. Ils étaient ennemis depuis longtemps, pourquoi serait-ce différent à présent ?
Un instant encore, il resta près de moi, puis il se recula et ouvrit sa main devant mon regard. Au bout de la chaine qu'il me présentait, il y avait un feu, dont les braises s'enroulaient autour de l'argent. Le collier était magnifique et me rappelait beaucoup le Luma.
— Jérôme et moi, on a essayé d'y inclure mes flammes.
— C'est possible ? m'étonnai-je.
J'observais le balancement régulier entre ses doigts. Malgré l'obscurité du lieu, l'objet brillait.
— C'est ce qu'on aimerait découvrir.
— Ah, répondis-je.
Je me décidai donc à poser mes doigts dessus et le Luma le laissa glisser dans ma paume.
— Oh ça a fonctionné.
Même si l'effet n'était pas le même, je percevais une douce chaleur.
— Sean a donc eu tort de penser que c'était provisoire.
Je souris, parce que mon Soleil n'avait pas aimé la remarque de son ainé. Puis, je tendis le bijou vers Aiden et il me dévisagea, déçu.
— J'ai perdu tous les colliers que j'ai portés un jour, grimaçai-je.
Je ne souhaitais pas que celui-ci finisse de la même façon. Il était trop important pour subir ce sort.
— Celui-là n'est pas pareil, affirma-t-il en repliant mes doigts sur l'objet.
Ses yeux bleus me fixaient moi, emplis d'attentes.
— Tu ne m'en voudrais pas si je l'égare, on est d'accord ? insistai-je.
Aiden sourit en me déclarant qu'il suffirait de recréer le même et le silence se réinstalla. Légèrement différent du précédent, puisque le Luma n'avait pas retiré sa main de la mienne.
— On a fait des progrès aujourd'hui, remarquai-je bêtement.
L'idée qu'il s'éloigne à nouveau me dérangeait hautement. L'absence de bruit était pesante et malgré moi, les rires de mon Soleil me manquaient.
— On continuera d'en faire demain, et après-demain, et tous les autres jours de la semaine.
Il donnait l'air de faire une promesse à sa propre personne.
— Ça me semble être un bon plan, acquiesçai-je en hochant la tête.
— Tes parents t'attendent, je crois. Le rideau a bougé, expliqua Aiden face à mon regard interrogateur.
Je pinçai mes lèvres. Ce n'était pas très surprenant, surtout venant de ma mère. Je n'étais pas en vacances et les Lumas avaient certes le pouvoir de modifier les souvenirs, mais il y avait des limites à ce don.
— Quels mensonges croient-ils ? Je dois préparer mes défenses avant d'entrer.
J'essayais de paraitre confiante, mais après la journée, je n'avais plus vraiment d'énergie pour lutter.
— Une soirée révision qui s'est transformée en soirée tout court.
J'avais au moins l'argument du lycée de mon côté !
— Je vais y aller, annonçai-je.
Aiden me salua, même s'il n'en avait pas envie. Je crois bien qu'il attendit que la porter se referme avant de quitter le palier de la maison. Moi, je me préparai à affronter les remontrances.
Mes parents allumèrent le lampadaire du salon, tandis que je passais devant la porte. J'entrai dans la pièce et, sous leur regard insistant, me plaçai devant la télévision. Ils étaient face à moi, assis sur le canapé noir. Ma mère s'apprêtait à me réprimander, lorsque mon père posa sa main sur la sienne. Des deux, il avait toujours été le plus patient et le plus compréhensif.
— Tu n'as pas révisé, n'est-ce pas ?
Je cherchais une explication plausible, mais ne trouvais rien.
— Non, avouai-je finalement.
Je n'avais que cette vérité à leur offrir.
— Et donc ?
— Je ne sais pas quoi te dire, maman.
Je baissais le regard, parce que ma seule stratégie consistait à garder ma bouche fermée. Aucun mensonge ne me semblait plausible. Tout me ramenait à cette vérité d'un autre monde et mes parents ne me croiraient de toute façon pas.
Ma mère soupira si bruyamment que je relevai la tête.
— On a discuté, papa et moi.
La privation de sortie ne me semblait pas très loin, mais elle n'empêcherait rien. Je ne choisissais pas d'être traquée, ni de rentrer si tardivement.
— Je reconnais en attendre trop de toi et lui reconnait ne pas t'en demander suffisamment.
— Ce n'est pas votre faute.
— Qu'est-ce qui n'est pas de notre faute ? interrogea mon paternel.
— Si j'ai la tête ailleurs et que mes notes baissent. Je ne me sens pas oppressée par toi, maman. Papa rééquilibre la balance. J'ai toujours travaillé à l'école, parce que j'aimais ça. C'est juste plus compliqué depuis quelques temps....
Quelle justification leur donner ?
— C'est à cause de ce garçon ? Nous t'avons vue avec lui, devant la maison.
J'ouvris la bouche, prête à répondre « non », avant de me rétracter. Si je ne laissais aucun sous-entendu, même faussé, je n'allais pas m'en sortir.
— Tu es amoureuse ? questionna doucement mon père.
Je souris, parce qu'il était toujours mal à l'aise à propos de ce sujet. Il s'efforçait cependant de m'en parler, quand je ne trouvais pas la réponse auprès de celle qui partageait sa vie. Parfois sa façon d'aborder les choses me correspondait davantage. Ma mère était trop frontale, tout son contraire.
Je serrai le collier dans ma main, en me disant qu'une histoire d'amour aurait été bien plus facile ! Est-ce qu'Aiden m'en voudrait si je le laissais sous-entendre à ma famille ?
— C'est compliqué...
— Un triangle amoureux ? s'interrogea ma mère.
Elle semblait apprécier l'idée, une lueur intéressée brillait dans ses prunelles vertes.
— Ne me regarde pas comme ça, j'ai aussi été jeune, se défendit-elle. Mon adolescence est l'un des pires moments de ma vie, parce que je ne pouvais pas choisir entre l'anglais James et le timide Mathieu. J'ai donc essayé les deux.
Je grimaçai, parce que c'était exactement le genre de comportement qui ne me correspondait pas. Elle prenait les sentiments de façon très légère, même si elle vivait depuis vingt ans avec mon père. Elle ne s'imaginait pas la mort à ses côtés, sans pour autant s'imaginer une fin.
— Minah n'aime pas vraiment ton conseil, rit mon père.
— Elle n'a pas pris de moi.
Leur regard l'un pour l'autre me fit sourire. Ils s'aimaient malgré le temps passé et je me demandai si moi aussi je trouverais un amour de ce genre. Les garçons ne me donnaient pas une bonne impression, avec leur désinvolture et leur manque de sérieux. Je m'étais raccrochée à Paul et Aiden mais, puisqu'ils étaient plus vieux, la donne était changée !
— Tu es perdue dans tes sentiments ? me questionna le seul homme de la pièce.
— Oui, approuvai-je.
Même si ce n'était pas des mêmes genres de sentiments que nous évoquions.
— Choisis-le.
— Qui ? m'enquis-je.
— Ce garçon. Il t'a offert un bijou, non ? Très peu d'ados ont ce genre d'initiatives. Les cadeaux, ça fait plaisir.
Je levai les yeux au ciel, avant de rire doucement.
— Je peux monter me coucher ?
— Montres-nous le collier d'abord !
Est-ce que je le pouvais ou mes parents pourraient-ils sentir que cet objet n'avait rien de normal ? Ne connaissant pas la réponse, mais souhaitant m'éclipser, je m'approchai d'eux et ouvris ma main. Ma mère siffla et mon père se contenta de sourire.
— C'est ton ami Aiden qui t'a offert ça ?
Un sourcil arqué, ma mère me toisait soudainement.
— Comment tu sais ? m'étonnai-je.
— Son nom est gravé sur les braises.
Je fronçai les sourcils avant de vérifier par moi-même. Mes parents avaient raison !
Je secouai la tête, avant d'annoncer que j'allais dormir. J'étais arrivée à la porte, lorsque ma mère me prévint :
— Minah, tu as le droit de vivre ta vie d'ado, mais n'oublie pas que l'année du BAC est l'une des plus importantes.
Je hochai la tête, puis me dirigeai vers ma chambre. C'était sa façon à elle de me dire qu'elle me laissait du temps, mais pas des mois.
Une fois dans ma chambre et la chaine passée autour de mon cou, je fus prise d'un doute et m'approchai de ma fenêtre. Aiden n'était pas une sombre silhouette, comme le jour de son adieu. Il s'était changé entre le moment de nos au revoir et sa présence sous ce lampadaire, dans ma rue. Vêtu de blanc, il était frappant sous l'éclairage vacillant.
« Tu te crois drôle ? » lui lançai-je.
Pour réponse, il s'esclaffa et je roulai des yeux. Il se croyait malin de me rappeler que je détestais sa chambre d'ami.
Mon Soleil posa finalement sa main sur le cœur et grâce à son autre main m'invita à faire de même. Bien que je ne saisissais pas où il souhaitait en venir, j'obtempérai. En sentant le collier, je souris et il en fit de même.
« Merci, Aiden. »
Il hocha la tête et je lui fis un signe de la main.
« A demain. »
A l'instant où je posai le pied dans mon lit, je sombrai dans un sommeil profond, entourée de flammes et de ténèbres.
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