Chapitre 2 : Un étrange rêve
— Que va-t-on faire ?
La voix me semblait lointaine, irréelle, dans le noir qui régnait autour de moi. Je ne ressentais rien, mais il me semblait qu'une lumière s'approchait de ma personne. Elle tentait de me convaincre de revenir. Il faisait bon, ici, dans cet endroit sombre, mais apaisant. Il était bon, ici, de ne plus trop penser.
— Je ne sais pas...
La peine me saisit en plein cœur. L'inquiétude avait percé, dans les mots murmurés. Pourquoi avais-je réagi ? Cet endroit était meilleur. Je semblais flotter, au-dessus de tout.
— Ils l'ont marquée !
L'agressivité de la remarque ébranla mon paysage. Qui était-il ? Pourquoi semblait-il être ailleurs ?
— Je vais les tuer.
Je l'imaginai, les dents serrés, prêt à bondir comme un animal enragé. Ce n'était pourtant pas dans ses habitudes. Qui était ce « il » ? Je voulais froncer les sourcils, mais dans cet endroit, je n'étais plus rien.
— Calme-toi.
Le ton posé m'apaisa un instant. Quelqu'un de réfléchi, cela faisait du bien. La lumière m'aveugla un instant et je reculai.
— Tu sais ce qu'ils font aux marqués ?
Non, mais ça ne devait pas être si terrible.
— Minah est leur proie !
Mon nom me ramena instantanément à la réalité. Ce noir n'avait plus rien de rassurant, il était angoissant, empreint d'une atmosphère étouffante. Je me mis à courir vers la lumière. C'était là-bas que se trouvait ma place.
Peu à peu, mes sens revinrent. Je perçus l'engourdissement de mes membres et la sécheresse de mes lèvres. Le matelas dur sur lequel mon corps était allongé et la piqûre dans ma main. Ce n'était pas agréable, mais je poursuivis ma route. Qu'importe que cela fasse mal, je devais avancer. Plus je courais, plus une douce chaleur m'enveloppait. Je sentais une présence rassurante, lumineuse. J'avais envie de la toucher, ne serait-ce que du bout des doigts.
— Je sais, grogna le ton posé.
Le rappel ne lui plaisait guère. Le sens de la conversation m'échappait. Ce n'était qu'un moyen pour moi, de trouver la force d'avancer, de toucher du bout des doigts l'éclat qui brillait au loin.
— Mais nous serons là, répondit la voix inquiète.
L'engourdissement se transformait peu à peu en gêne. Je commençais à souffrir.
— Comment pourra-t-elle le comprendre ?
Il y avait cependant ce rayon de soleil, si lointain et si proche à la fois. Je désirais l'atteindre, plus qu'aucune autre chose en ce monde. Alors, je redoublai d'effort, m'élançai comme jamais. Et la lumière me consuma en un instant.
Mon premier réflexe, lorsque j'ouvris les yeux, fut de prendre une grande inspiration. J'avais l'impression de suffoquer l'instant d'avant. Pourtant, je n'étais qu'en train de rêver, non ? De quoi, déjà ? Je ne me souvenais pas vraiment. Seule cette chaleur restait, comme un doux souvenir.
— Minah ! s'alarmèrent trois personnes.
Je pris quelques instants pour calmer mon cœur, qui battait bien trop fort. Puis, je relâchai la tension dans mes doigts et me tournai sur le dos. Les murs blancs et la perfusion, que j'apercevais du coin de l'œil, m'indiquèrent clairement que j'étais à l'hôpital. Pour un malaise ? C'était étrange.
— Minah ? questionna Cathy en se penchant vers moi.
Sa tête apparut dans mon champ de vision et je souris. J'allais bien. Une douleur semblait planer autour de moi, mais il s'agissait de simples souvenirs. Je ne souffrais plus. Le liquide, qui s'introduisait dans mon corps, devait y être pour quelque chose.
Je levai ma main et l'écartai légèrement. Ensuite, je me redressai totalement. Sans surprise, Cathy était accompagnée de Paul et d'Aiden. Leur mine sombre me renfrogna. « Ne me regardez pas ainsi ! » pensai-je. J'espérai que ce serait suffisamment fort, pour qu'ils le comprennent. Aiden tenta un sourire à ce moment-ci.
— Je vais bien.
Ma voix était pâteuse et j'avais l'impression d'avoir trop dormi, mais rien de trop anormal. Si j'étais capable de penser, c'était suffisant.
— Vraiment ? insista Cathy.
Un coup d'œil aux autres me déstabilisa. Ils semblaient dévastés. Pourquoi avaient-ils eu si peur de mon malaise ? Pourquoi me conduire à l'hôpital ? Avaient-ils perçu leur dangerosité, eux aussi ? Ce serait un tel soulagement !
— J'ai des fourmillements encore et j'ai...
Je fermai ma bouche, avalai ma salive en me concentrant, mais la suite ne me vint pas. Je ne me souvenais plus du rêve.
— J'ai fait un rêve étrange...
C'était tout ce qu'il restait de l'événement. Et cette chaleur. Elle semblait m'envelopper, pour m'éviter la peur.
— Lequel ? s'empressa de quémander Aiden.
La légèreté semblait avoir quitté son être et mon désarroi dut se voir, car il tenta un deuxième sourire. Mais cela ne me rassura pas.
— Je ne sais pas... Quelque chose m'appelait.
Mes trois amis échangèrent des regards soupçonneux. J'entendais des non-dits de ma position, des murmures trop silencieux pour m'être compréhensible. C'était certain : il y avait des informations, dont je ne connaissais rien.
— Quelque chose ou quelqu'un ? interrogea Cathy.
Je penchai ma tête sur le côté, tout en réfléchissant. Quelque chose et quelqu'un ?
— Les deux ?
Cathy sourit, déduisant visiblement un fait amusant. Son regard bleu était posé sur moi avec tendresse et je clignai des yeux, ne comprenant pas sa réaction.
Je haussai finalement les épaules en remettant ma tête droite. J'y réfléchirais plus tard, à tête reposée.
— Je me souviens plutôt d'un doux feu, rien de très précis.
Cathy sourit d'autant plus, tandis que les deux lycéens étaient des plus surpris.
— Ce n'est pas normal ?
Mon amie posa une main sur la mienne, tout en m'affirmant que rien n'était étrange. Elle se trompait. Leur comportement l'était ! Du trio, Aiden me paraissait le plus suspect ! Il était si différent ! Il semblait sombre, morne. L'éclat de malice qui brillait habituellement dans son regard n'existait plus.
— Raconte-nous ce qui t'es arrivée, débuta Paul.
— On discutait et pouf, tu es tombée ! On a eu très peur, poursuivit Aiden.
Un poids tomba dans le creux de mon estomac. Aiden était toujours Aiden, il avait simplement été effrayé par la situation.
— « Pouf », c'est le mot, approuvai-je. Je me suis subitement sentie... mal.
A l'instant où je prononçais ce mot, leur attention se porta sur mon cou. D'accord, c'était quoi ça ?
— Tu as plus de précision ? s'enquit Cathy.
Sa main dans la mienne me convainquit d'étayer un peu.
— La douleur est partie de mon cou. C'était comme une brûlure qui se propage à l'intérieur de moi-même.
La sensation revint et je me stoppai. C'était bien assez comme justification. D'autant qu'ils ne comptaient visiblement pas m'expliquer la situation. Il était impossible de deviner d'où ma souffrance était partie. En revanche, s'ils avaient posé leurs regards sur les six ombres, alors, la possibilité qu'ils en soient la cause était tout à fait acceptable.
J'attendis, une minute, cinq minutes, une heure, mais jamais ils ne les mentionnèrent. Je me sentis seule et désarmée, davantage encore après leur départ. Le silence et la nuit m'angoissaient plus que de raisons. Habituellement, cela m'indifférait. Cependant, je commençais à les associer à cette atmosphère et c'était problématique. Il était complexe de ne pas y penser aussi ! Tout était noir chez eux, même leur cœur, j'en étais certaine !
Mon pouls s'emballa quelque peu à cette pensée et, curieusement, la sensation du feu qui m'enveloppe me revint en mémoire. Ce n'était pas une image, ni un son, non juste une sensation d'être protégée et chérie. C'était réconfortant. Je sombrai alors dans un rêve, où les flammes dansaient et chantaient autour de moi.
######
Le surlendemain, je retournai au lycée. Les tests des médecins n'avaient rien donné et ils me jugeaient aptes à reprendre ma vie. J'en étais contente, les hôpitaux étaient lugubres et peu chaleureux.
En pénétrant dans la cour, je frissonnai malgré moi. Tout en avançant, je guettais chaque coin obscur où les silhouettes pouvaient revenir. J'étais un peu angoissée, car je n'avais aucune information sur leur compte. Les journaux n'avaient jamais évoqué de personnages à l'allure douteuse, déambulant dans les lycées et les rues. J'étais donc face à l'inconnu, à des ombres menaçantes qui souhaitaient ma mort. Ma perspective d'avenir semblait rayonnante. Je m'accrochai à l'idée qu'ils m'auraient ôté la vie, la veille, s'ils l'avaient réellement souhaité. Que souhaitaient-ils dans ce cas ?
— Tu cherches quelqu'un ? s'interrogea Aiden en passant un bras sous le mien.
Il regarda à gauche, à droite, sa main droite en visière. Je lui frappai légèrement l'épaule et lui reprochai :
— C'est comme ça que tu m'accueilles, toi ?
Sa tête revint immédiatement sur moi.
— Je suis absente une journée et je n'ai même pas le droit à un « bonjour » ? Où va le monde ? me plaignis-je.
Je levai les yeux au ciel, tandis qu'il souriait, en agissant de la même manière.
— Excusez mon impolitesse, mademoiselle. Je vous salue très humblement.
Je ris, incroyablement soulagée. Aiden à mes côtés, je n'allais plus y penser. Pourtant, un détail me chiffonnait. Une lueur inquiète brillait dans ses yeux. « Qu'est-ce qui te tracasse, Aiden ? ». La question ne franchit pas mes lèvres. Je ne voulais pas risquer de gâcher ce moment. Alors, je fis semblant que tout allait bien.
— J'aime mieux ça !
— Prête pour reprendre ta vie ordinaire de lycéenne ?
— Et comment ! L'hôpital, c'est glauque.
Je grimaçais toujours et Aiden riait encore, lorsque le couple fut en visuel. Leur inquiétude se distinguait à cent kilomètres à la ronde, ce qui stoppa net toutes mes envies d'insouciance. Mes amis les avaient remarqués, le cas contraire était impossible. Pourquoi ne m'en parlaient-ils pas ?
La sonnerie retentit et tous semblèrent attendre le moment où je m'effondrerais à nouveau. Comme rien ne se produisit, ils soupirèrent.
— On se retrouve à la récréation, hein ?
— Ce n'est pas dans nos habitudes, rétorquai-je à Cathy.
Quinze minutes, c'était bien trop court pour se rejoindre. Les bâtiments étaient immenses, les couloirs bondaient. Le temps de se rejoindre, nous devions repartir.
— On a pensé que ce serait préférable, pendant quelques temps tout du moins, expliqua Paul.
— Au cas où, compléta sa petite-amie.
Je fronçai les sourcils et rentrai mes épaules. Je n'aimais pas cette perspective. Il n'y avait pas de « au cas où ». Ma vie allait reprendre son cours normal.
— D'accord, grognai-je.
Si cela les rassurait, je consentais à faire un effort pour quelques jours. Puis, alors que nous venions de nous séparer, une ombre noire sourit parmi la foule de lycéen. Elle disparut rapidement, mais la peur m'étreignit un long moment. Je me dis que finalement, s'ils pouvaient me raccompagner chez moi le soir, ce n'était pas de refus.
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