Chapitre 13 : Présence
La première séance avec Sean débuta. Ensemble, nous rejoignîmes une autre salle, qui se ressemblait toute d'ailleurs. Les mêmes murs gris, le même espace infini. Nous nous installâmes en tailleur, à même le sol. Même si, le premier soir, je n'avais pas apprécié son comportement, le Luma m'inspirait confiance, sans trop que je ne comprenne pour quelle raison.
— Tu doutes de quelque chose ?
J'eus un hoquet de surprise, avant de réaliser que cela n'allait pas être la première fois, qu'il me surprendrait de cette façon. Le doute, l'incompréhension, l'envie, la jalousie, le manque, tout cela était des sentiments et émotions.
— Pourquoi je te fais confiance ?
J'avais la sensation que je pouvais me confier, sans trop craindre que tout le monde soit au courant. Son âge et son don devaient l'avoir rendu muet comme une tombe, non ?
Sean sourit et ses yeux se plissèrent sous ce mouvement.
— Oh ça, c'est à cause de mes pouvoirs. Je ressens les émotions, mais je peux aussi les modifier et, désolé.
Il secoua la tête, tout en me fixant de son regard brun.
— Quand je rencontre de nouvelles têtes, j'ai pour habitude de laisser mon pouvoir faire l'idiot.
— Ah...
Je mordis ma lèvre, me perdis dans la contemplation du sol avant de me questionner sur le sujet. Etait-ce mal ? J'étais persuadée qu'avec ou sans, j'allais lui faire confiance. Il y avait cette espèce d'aura autour de lui, on avait envie de se confier.
— Ça n'a pas l'air de te perturber plus que ça.
Il fronçait les sourcils en me dévisageant. Allait-il lui aussi plaider l'anormalité ? J'avais assez donné de ce côté-ci.
— Non. Il y a des gens avec qui le contact passe très facilement, je pense que c'est le cas pour toi.
— Avec qui d'autres ?
Son sourire malicieux ne me dupait pas. Il pensait à quelqu'un en particulier. Je souris à mon tour, tandis que des yeux bleus me revenaient en mémoire.
— A ton avis ? répliquai-je.
— Penser à lui te fait oublier tes peurs, n'est-ce pas ?
J'ouvris la bouche, choquée.
— Je l'ai compris, dès l'instant où nous vous avons trouvés, s'empressa-t-il de se justifier. Tu ne paniquais pas face aux éléments irrationnels.
Je pinçai mes lèvres et souris à nouveau. Sa présence m'aidait beaucoup, c'était indéniable.
— C'est vrai. Aiden fait ce genre d'effet-là. Il brille plus fort que le Soleil et son rire m'emporte avec lui. Mais... je crois que cet Aiden-là est mort, depuis ce soir-là.
Je me rappelai de ce téléphone et de ce souffle. De cette disparition et de cette fuite.
— Tu es... peinée ? Frustrée ? Tu lui en veux ?
Trois points pour lui.
— Je l'aimais, parce qu'il était rieur et blagueur. Il parvient à me faire oublier n'importe quoi. Je suis triste d'avoir perdu ça. J'aurais aimé qu'il soit davantage lui-même, qu'il n'y ait pas ce mensonge entre nous. J'ai l'impression qu'il m'a trahie, en un sens.
Face à son regard, je palis.
— Sean, tu es triste ?
Il se ressaisit aussitôt et son sourire devint forcé. Mais je n'avais rien inventé et, bien que je ne le connaissais très peu, c'était la première fois qu'il affichait un autre air que l'indifférence.
— Aiden pensait bien faire, pardonne-lui un jour.
J'avais presque l'impression qu'il me suppliait. C'était stupide. Pour le moment, c'était mon ami qui refusait de me voir, pas l'inverse. Je ne pouvais pas lui pardonner, s'il ne me parlait pas.
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J'ai l'impression de ne pas avoir les pieds sur Terre et de flotter, quelque part entre le monde réel et l'imaginaire. C'est désagréable, parce que je perçois l'entrave sur mes chevilles et mes poignets, sans parvenir à réagir. Ma tête fait des mouvements circulaires, j'espère parvenir à reprendre mes esprits. J'ai froid, je crois. Puis, je perçois un rire gras, moqueur et un frisson me parcourt.
Je suis parfaitement consciente, désormais.
Le regard droit devant moi, j'essaie de me libérer des cordes qui m'emprisonnent. Je détaille Nathanaël, ne vois que son apparence sombre et sa petite taille. Je perçois en revanche très distinctement son aura meurtrière. Il est heureux, souhaite m'ôter la vie, se contente de me fixer sans ciller.
— Bienvenue dans ton rêve.
Je ferme les paupières. Si je suis dans un rêve, je n'ai rien à craindre. Ici, tout est faux. L'herbe, le vent, les chaises, l'horizon, rien n'existe. Le fait que je me rappelle m'être couchée me rassure sur ce point. Ils peuvent être puissants, mais pas au point de rendre réel les cauchemars. Ce sont des Obscurs, pas des Dieux.
— Merci pour l'accueil.
Ma voix est plus basse qu'habituellement, plus cassée aussi. J'ai l'impression d'être rejetée par cet endroit.
— Tu es un disque rayé, Minah.
Mon pouls s'emballe, mon corps sait qu'il a raison. Je déglutis, cherchant dans mon esprit un fait qui approuverait son affirmation.
— De quoi souhaites-tu parler aujourd'hui ? s'enquit la voix pressée.
Les jambes croisées, Nathanaël a posé sa tête dans sa main. Il est à l'aise, comme s'il s'adonnait à ce genre d'activités quotidiennement. C'est peut-être le cas. Je ne sais pas si les Obscurs n'ont qu'une seule proie en même temps.
— De quoi avons-nous déjà parlé ?
— Oh de bien des choses !
Mais pas de celles qu'il espère. Il revient, pour cette raison.
— Libère-moi.
Etonnamment, les fils se détendent et mes mouvements deviennent libres. Je me rappelle soudain qu'il n'y a aucune échappatoire. Tant que l'Obscur n'aura pas décidé de mon réveil, je resterai ici.
— Il y a du progrès, dis-moi. La dernière fois, tu te précipitais vers l'endroit le plus éloigné de moi. Hélas, je suis omnipotent, une fois les défenses passées.
— La barrière de Cathy ? suggéré-je.
— Bien vu, bien vu.
L'absence d'amusement sur son visage contraste avec son ton léger.
— Elle empêche les autres de m'accompagner, mais ne t'en fais pas, un soir, tu nous verras tous.
Et curieusement ma gorge se noue, et mes mains deviennent moites. Les voir réunis sera-t-il le début de ma fin ? Est-ce une promesse ?
— Par qui voudrais-tu mourir ? Je t'avoue que nous sommes indécis.
— Mike n'a pas le monopole ?
— Peut-être que si tu exprimais un souhait différent, il serait contraint de s'effacer, minaude mon ennemi.
Quelle différence cela ferait-il ? Ecoutent-ils leurs victimes ?
— Qui m'a apposé la marque ?
Nathanaël grimace et décroise ses jambes. Son dégoût est une réponse suffisante à mes yeux. Le leader choisit les victimes.
Je repense aux adieux d'Aiden, à sa haine et son désespoir. Alors, sans plus de réflexions, je lance :
— Qui a déposé la boite, sur le palier d'Aiden ?
L'Obscur siffle et je vois une lueur de surprise dans son regard.
— Celui qui l'a assassinée, lentement, tout en savourant son agonie.
Je serre les poings et mes lèvres tremblent. Je ne sais pas s'il s'agit de colère ou d'angoisse. Suis-je destinée à finir en boite, moi aussi ?
— Ne t'en fais pas, Mike a pris grand soin d'elle, souffle-t-il en se laissant nonchalamment tomber sur le dossier de sa chaise.
— Comme il prendra soin de moi ?
Le même rire gras résonne et la lumière se concentre sur l'ennemi face à moi, tandis que le reste de l'environnement disparait dans l'obscurité. Nathanaël en apparait plus instable, plus menaçant.
— Tu sais, il y a parfois quelques retournements inattendus. As-tu déjà imaginé que ton bourreau pourrait t'être proche ?
Sa voix s'éclaircit, ses traits durs disparaissent, tout en s'approchant. Le noir profond de ses yeux vire au bleu et j'étouffe un cri. Ce regard, c'est celui d'Aiden.
— Et si Aiden devenait ton assassin ? chuchote mon ennemi, au creux de mon oreille.
Je n'ai pas le temps de démentir, de le défendre. Doucement, je sens un objet s'enfoncer dans mon abdomen. Ma respiration se coupe, mais les mots s'échappent. Je suis incapable de crier, de bouger. D'une infinie lenteur, j'agrippe les épaules de Nathanaël. Son sourire est large, tandis que ma poigne est tremblotante. J'attends que la douleur s'en aille, mais elle persiste. Lorsque je me sens partir, ma dernière pensée est pour mon Soleil.
« Aiden n'est pas un tueur. »
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— Ils sont encore venus te hanter, n'est-ce pas ?
J'avais à peine posé le pied dans la maison, qu'Arnaud venait à moi. Il était désolé, même s'il n'y pouvait rien. Il posa une seconde sa main sur ma tempe, puis la retira. Je ne percevais aucun changement, je lui faisais confiance cependant, lorsqu'il m'affirmait détruire la fausse peur qu'ils m'inculquaient.
— Plus je rencontre Nathanaël, plus il accroit son emprise sur mes rêves. J'ai raison ?
Arnaud hocha simplement la tête. Les Lumas s'entrainaient en binôme, les Obscurs sur moi. Les cauchemars étaient quotidiens et je fatiguais d'eux. La sensation que l'étau se resserrait ne me quittait pas. Mike et ses acolytes préparaient une attaque de plus grande envergure, c'était évident. Nous attendions simplement de savoir laquelle.
— Tu ne peux pas éviter son pouvoir.
— Je sais, soupirai-je.
Chaque nuit, je tentais. Je me persuadais pouvoir m'extirper de sa force, sans jamais y parvenir. Il était le maitre et je ne pouvais qu'obéir à ses lois. Je repensai à sa voix, celle de mon Soleil, qui me susurrait devenir mon assassin. Ce n'était pas la première fois que l'Obscur me glissait cette idée, mais la première qui provoqua un frisson. Plus il le répétait, plus j'en étais horrifiée.
Un instant, un souffle chaud me parvint.
— Aiden ? murmurai-je.
Je levai le regard vers la porte noire, celle donnant accès aux salles. Elle était fermée et je ne distinguais aucune ombre derrière celle-ci. Pourtant, cette chaleur ne pouvait être possédée que par mon ami. Déjà dix jours que je me rendais dans cette maison chaque soir, que mes parents me pensaient en train de travailler chez Cathy et le Luma ne m'avait toujours pas adressée la parole. L'apercevoir relevait également du miracle. C'était tout aussi fatiguant que mes combats nocturnes.
— Il finira par revenir, m'assura Arnaud.
La question était quand. En attendant, j'avais rendez-vous avec Sean et mes émotions tourbillonnantes.
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