Chapitre 12 : La maison
— A qui appartient la maison ? interrogeai-je.
Sean et moi venions d'entrer dans leur quartier. Les maisons étaient plus grandes, plus chics, plus chères. Les Lumas avaient choisi un bien bel endroit pour s'installer.
— Gabriel et Lucie. Ils y logent officiellement seuls, mais chacun de nous a son propre espace à l'intérieur. Je te montrerai, si tu veux.
— Et vos allers et venues ne dérangent pas les voisins ?
— Chacun de nous essayait de te faire parler et le simple fait de se rapprocher de notre habitation semble te délier la langue !
Il était vrai qu'à mesure que nous nous rapprochions, je me sentais mieux. L'atmosphère se modifiait, sans que je n'en comprenne les raisons. J'y trouvais une sensation familière, une présence rassurante.
— Cathy garde en permanence une barrière d'illusion autour de la maison, finit par me répondre le Luma, et pour l'intérieur, Jérôme et moi sommes les responsables. J'étends l'espace et lui le remplit.
Un travail d'équipe, en somme.
La bâtisse était désormais visible. En pénétrant dans la demeure, j'eus l'étrange impression d'avoir été attendue, guettée. Mais ce n'était pas rationnel. Sean ne dit pas un mot, il n'en avait pas besoin. Docilement, je le suivis. Il se déplaçait sans hésitation, presque sans regarder devant lui. Il veillait à ce que je ne perde pas le fil de ses pas, devenus pressés. Le Luma passa devant plusieurs portes, sans leur accorder la moindre attention. Il était entièrement focalisé sur son but : me faire découvrir en premier lieu les mètres carrés qui lui étaient dédiés.
Le premier élément qui me frappa lorsque la porte s'ouvrit fut l'étagère face à moi. Elle s'étendait sur toute la largeur du mur et était emplie de livres. Certaines couvertures étaient anciennes, d'autres récentes. Nul doute que le Luma adorait lire. Il y avait différents genres, même si la fantasy et le fantastique dominaient.
Tout en passant mes doigts sur certains titres, je l'interrogeai :
— Quelles créatures vous ressemblent le plus ?
— Aucune.
Il ne développa pas sa pensée. Sean s'approcha à son tour et observa ses ouvrages. Chacun d'entre eux paraissait avoir son histoire, sa raison d'être dans cette chambre.
— Les Obscurs, ce sont un peu des vampires, non ? relançai-je.
Certes, ils supportaient le soleil et ne buvait a priori pas le sang. Cependant, ils en possédaient le physique et aspiraient les sentiments négatifs.
— Tu peux les voir de cette façon. Ils n'ont néanmoins pas été transformés par d'autres Obscurs.
— Comment le deviennent-ils ?
Sean baissa sa main et se tourna vers moi.
— Comme les Hommes, nous avons nos démons. Comme vous, nous y cédons. Certains s'y noient et ne reviennent plus. Les Obscurs sont des Lumas qui ont entièrement abandonné leur esprit aux ténèbres. Ils y gagnent de la force et du temps. Sans moi, les autres vieilliraient. Mike et ses acolytes n'ont pas besoin d'user de dons pour figer l'horloge de leur existence.
Des méchants éternels, quelle horreur ! Et j'étais leur cible. Quelque chose me dérangeait, comme s'il me manquait une pièce du puzzle.
Je secouai la tête, me disant que la raison importait moins que leur traque.
— Pourquoi souhaiter l'éternité ? interrogeai-je.
Avec son grand âge, n'avait-il pas suffisamment découvert le monde ? N'avait-il pas suffisamment vécu ?
— Pourquoi la refuser si elle est à portée de mains ?
Je secouai la tête en reportant mon attention sur l'étagère. Je ne comprenais pas l'intérêt de pousser son existence au-delà de la normalité. En un siècle, il y avait déjà de quoi faire !
— Je pense qu'une humaine ne peut pas saisir notre raison d'être, reprit mon guide. En trois cents ans, j'ai encore l'impression de ne pas savoir grand-chose sur le monde. Chaque génération est différente de la précédente, chaque pays est différent. Vivre longtemps est dans la culture des Lumas.
— Franchement, Sean, t'es trop déprimant ! siffla une voix derrière nous.
Mon accompagnateur ne manifesta aucune surprise et se contenta de pivoter doucement vers Thibault. Moi, je me rapprochai de l'arrêt cardiaque, tant je ne m'y attendais pas. Le Luma de soixante-huit ans aimait les entrées fracassantes !
— T'es trop réfléchi comme mec, décompresse un peu !
Le rouquin agitait ses bras et sa tête pour appuyer ses propos. Il avait davantage l'air d'un fou que de décompresser. Le blond à mes côtés m'inspirait davantage de confiance, c'était certain !
— J'ai entendu ta voix Minah et me voici ! poursuivit le nouvel arrivant.
Il s'approcha de moi à vive allure et me prit la main. L'instant d'après, il me tirait dans les couloirs de la maison. Les couleurs sobres disparurent peu à peu, remplacées par des tons multicolores. Rien n'allait ensemble, tout semblait désordonné. Thibault était donc parfaitement dans son élément !
— Ça c'est chez moi ! fanfaronna-t-il en me poussant à l'intérieur d'une nouvelle pièce.
Encombrée, elle donnait l'air d'être plus petite que la précédente. Aucune trace de bibliothèque, mais d'innombrables babioles trônaient ci et là. Des vases, des tableaux, des consoles de jeux vidéo, des figurines. Thibault collectionnait divers objets, qui ne représentaient pas d'intérêt à mes yeux. Les vestiges du passé ne m'intéressaient pas.
— Mélodie se tire les cheveux très souvent, m'expliqua l'enfant.
Les mains sur mes épaules, il m'orientait dans la pièce.
— Elle déteste le désordre et avec ses soixante-dix ans en plus, elle n'aime pas s'encombrer d'objets. Mais moi, j'kiffe trop ça !
Il me dirigea vers le bureau en bois, mais ce qu'il souhaitait me faire voir était posé à côté : les premiers jeux vidéo.
— C'est pas trop génial de pouvoir les contempler ? De s'dire qu'on est les seuls à en posséder encore ?
Peut-être. En tout cas, il en était ravi et s'extasiait, alors qu'il devait admirer sa pièce chaque jour !
Thibault soupira soudain.
— Personne ne me comprend décidément !
Il fit claquer sa langue contre son palet. Au même instant, l'air vacilla et je me tournai vers la porte. Je me rendis alors compte que Sean ne nous avait pas suivis.
— L'entrée a un problème ? m'interrogea le rouquin.
— Sean n'a pas le droit d'entrer ici ?
Le Luma s'esclaffa bruyamment, puis rompit le contact avec moi. Il avait subitement l'air nerveux.
— Il déteste cet endroit, trop coloré, trop bordélique. Tu vois le genre ? Il ferait sans doute un malaise en débarquant !
Je ne parvins pas à m'en amuser. Thibault était mal à l'aise, je le voyais.
— Je vais...
— M'abandonner ? s'indigna l'enfant, une main sur le cœur. Toi aussi tu n'aimes pas ?
Le regard embrumé, ses lèvres tremblaient presque. Non seulement il avait l'attitude d'un enfant, mais en plus, il en avait le physique : j'avais envie de lui pincer les joues ! Je repensai alors à Aiden. Je ne l'avais jamais fait, parce qu'il aurait détesté. A présent, je regrettais un peu. Voir ses sourcils se froncer et ses joues se gonfler aurait été amusant.
— Tu craques pour moi, je le sais ! s'enthousiasma le Luma face à moi.
Puis sa bonne humeur se ternit soudain et la pièce devint gigantesque. Celui qui me tenait compagnie se retrouva subitement à plusieurs mètres de ma personne. Même de ma position, je pus constater qu'il s'égosillait.
— Je suis venu te sauver, m'informa Sean, à côté de moi.
Je secouai légèrement la tête, parce que je n'estimais pas avoir besoin d'un sauvetage. Néanmoins, c'était amusant de voir leur relation.
— Je vais t'accompagner au sous-sol. Tu pourras assister à nos entrainements.
Je hochai la tête et le suivis dans les couloirs. Nous descendîmes l'escalier aux rambardes dorées et arrivâmes face à une porte sombre. Elle me semblait hostile, mais derrière elle, rien d'effrayant ne m'attendait. Il y avait d'innombrables marches, qui descendaient en colimaçon. L'espace était suffisamment large pour se tenir à trois dans une même rangée et malgré l'absence de fenêtres, la lumière régnait.
— Cathy est avec les autres ?
— Avec Paul. Tu verras d'ici quelques minutes, m'assura le Luma.
Quelques instants plus tard, le couloir s'élargit et le décor changea totalement. Face à moi se trouvait un champ à perte de vue, les fleurs jaunes y brillaient allégrement. A ma gauche, une forêt dense et sombre se dressait. Sur ma droite, des roches robustes trônaient fièrement. Aucun signe de mes protecteurs, cependant.
— On utilise les espaces verts pour des entrainements individuels, m'informa mon guide.
Jamais il ne me serait venu à l'idée de combattre ici. Tout était beau et me donnait envie de m'allonger. L'endroit était si paisible !
Sean reprit la marche et le décor se modifia petit à petit. La nature était à nouveau remplacée par du béton et des couloirs grises. Puis, il se stoppa. En déplaçant mon regard vers la droite, j'aperçus Aiden. Il se battait contre Gabriel, à l'aide de ses flammes. La terre contre le feu. Le gagnant me semblait évident, ce combat surprenant.
Lorsqu'ils sentirent nos regards, les deux têtes pivotèrent instantanément vers nous. Le leader ne semblait pas ravi de ma venue, mais devait l'accepter, visiblement. Sa bouche formait une grimace de mécontentement, mais il ne disait rien. Aiden serrait les dents, comme s'il me détestait subitement.
« Tu me manques » pensai-je en le voyant ainsi. Son regard bleu, ses cheveux noirs ébouriffés, son sourire. Tout me manquait. Et, aussi sûrement que je me tenais face à lui, je savais qu'il m'ignorerait.
Il tourna la tête vers Gabriel et leur duel reprit. Je serrai les poings, lorsqu'une voix féminine s'éleva à côté de moi.
— Ne lui en veux pas trop, chuchota Cathy en prenant ma main.
Cela ne m'empêchait pas de souhaiter pleurer.
— C'est... compliqué pour lui.
J'y avais un peu réfléchi depuis. Les souvenirs d'autrefois devaient lui revenir en mémoire et cette boite, qu'il avait reçue, devait à nouveau le terrifier. Les Obscurs n'avaient pas changé, mais Aiden oui. J'aurais voulu qu'il me fasse suffisamment confiance, pour me laisser lui en parler.
Cathy me tira vers les autres membres du groupe, tandis que Sean nous suivait désormais en silence. Mélodie et Thibault s'étaient transformés en phœnix et s'affrontaient dans les airs. Bien qu'ils s'aimaient, leur combat était on ne peut plus réel. Près de la porte, la petite-amie d'Arnaud se tenait.
— Une fois le combat terminé, ces deux-là chouinent comme des gamins de s'être blessés. Camille est là pour les soigner, puis ils repartent dans leur affrontement.
Je souris, tout en me disant que cela collait bien à leur image. Thibault était gamin, pas stupide. Puis, je m'étonnais qu'il puisse être arrivé avant moi.
— J'étends l'espace comme bon me semble, me rappela le deuxième plus vieux Luma.
Je secouai la tête de ma bêtise, puis nous nous rendîmes à la prochaine salle. Lucie et Jérôme s'y trouvaient. La force contre la construction. Nul doute que c'était le jeune homme qui avait besoin de se perfectionner en priorité. Arnaud était avec eux.
— Lucie s'emporte souvent, rit Cathy. C'est pour ça que Jérôme tient à s'entrainer avec elle, plus il est confronté aux dangers, plus il progresse rapidement.
— Il ne reste donc que Paul, remarquai-je tandis que nous avancions.
Cathy et Sean se stoppèrent devant une autre baie vitrée. Paul s'y trouvait. Les éléments se déchainaient autour de lui. Seul le feu ne répondait pas à son appel.
— Paul et moi, on s'entraine ensemble. J'améliore mes barrières et ma moitié, la force de ses éléments.
— Et toi, Sean ?
Il n'avait aucun binôme et de ce que j'en savais, il n'était pas capable de soigner les blessures. Leur groupe était cependant uni. Il devait donc avoir un rôle, lui aussi.
— Si on a besoin de moi, je suis là, m'expliqua-t-il.
— Sean va et vient dans chacune des salles. Il est un peu la surprise dans les combats, la personne qu'on ne prévoit pas et qui relance les dés, étaya Cathy.
J'acquiesçai, en me disant que son rôle avait très bien été choisi. Il correspondait à sa personnalité et le fait qu'il perçoive les émotions lui permettait de faire plus facilement les bons choix.
En entrant dans la pièce, Paul se stoppa et ses lèvres s'étirèrent en apercevant ma meilleure amie. Il avait beau avoir cent ans, il redevenait un adolescent en sa présence, c'était attendrissant.
— Est-ce que je peux être utile ? me lançai-je.
Chacun avait une fonction précise, peut-être pouvaient-ils m'inclure dans leur stratégie ?
— Tu serais d'accord d'être sondée de longues heures ? proposa le plus vieux de la pièce.
— Aucun problème.
Je ne voyais là rien de surprenant ou de dérangeant. Sean me ferait la conversation, tout essayant de percevoir mes humeurs. C'était sans risque, à première vue.
— Tu es sûre ? insista Cathy. Sean pourrait...
Mon amie se stoppa avant de secouer la tête. Elle semblait taire des milliers de choses, depuis mon entrée dans leur monde. Etonnamment, je n'en étais pas vexée. En vérité, cela m'inquiétait, car je voyais bien que les secrets lui pesaient.
— Si ça te va, fonces, me sourit-elle.
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