Chapitre 11 : Les jours de la semaine
— Bien le bonjour à toi, Minah !
L'exclamation joyeuse, couplée au bras entourant mon cou, me fit violemment sursauter. Je marchais depuis seulement deux minutes, lorsque Thibault avait débarqué comme ça, en sautillant de joie et de bonne humeur. Il me rappelait Aiden, en plus stupide cependant. Dire qu'il m'avait fallu le voir différent, pour constater qu'il n'était pas si blagueur que cela. Thibault battait des records !
— Bonjour.
Mon ton morne fit froncer les sourcils de l'enfant. Il claqua sa langue contre son palet, mécontent que je ne souris pas. Je n'en avais aucune envie. Le souvenir d'Aiden remontait à quelques heures seulement et j'étais trop fatiguée pour être joyeuse.
— Le matin, il faut être en forme, sinon la journée est gâchée ! scanda le jeune homme.
— La nuit a été courte.
Il retira son bras et secoua la tête durant de longues secondes. Il avait fermé les yeux, mais sa trajectoire était plutôt droite. Puis, lorsqu'il eut suffisamment montré sa désapprobation, il expliqua la raison de sa venue.
— Hier soir, on a pas mal discuté et on s'est dit que te coller au cul, c'était une bonne idée. Du coup, t'as un pot de colle tous les jours. Aujourd'hui, c'est vendredi, donc c'est moi qui m'y colle ! Gabriel et Lucie se tape le week-end, parce que bon, Arnaud et Camille, avec leurs pouvoirs de soin, ils feraient pas long feu face à l'ennemi !
Thibault était parti dans son monologue, sans vérifier que je le suivais bien. Ce qu'il racontait ne m'intéressait pas, car je savais qu'Aiden avait décliné tout jours. Il allait m'éviter, me fuir. Je le sentais et cela me minait.
— Du coup, le lundi, ce sera Jérôme, parce que ce jour-là, il se passe en général jamais rien. C'est fou quand même. On est tellement raplapla les lundis ! Les mardis, ce sera Paul, parce que vous commencez à la même heure. Sois sûre que Cathy l'accompagnera. Ils sont toujours fourrés ensemble. Le mercredi, ah, le mercredi... Ce sera notre cher Sean. Ils aiment un peu trop ce jour-là pour frapper. J'te jure, j'ai compté une fois et, quarante fois sur cent, ils ont frappé un mercredi ! Et le jeudi, quel merveilleux jour le jeudi ! C'est celui qui me précède, donc forcément, ce sera ma Mélodie à moi ! Elle sera pas très bavarde, excuse-la d'avance.
Il se stoppa et fit claquer ses doigts avant de reprendre la marche, toujours sans me prêter une quelconque attention.
— C'est vrai qu'hier, on t'a pas expliqué ! Mélodie, tu l'entendras pas parler. C'est pas contre toi, mais en fait vous, les humains, son pouvoir, il vous fait pas du bien pour le moment. Elle a encore du mal à maitriser sa voix et ça vrille vos tympans. Donc, lui en veux pas ok ? Elle est super attentive et quand elle pourra faire entendre le son de sa voix, tu te rendras compte qu'elle est hyper cristalline et wow, j'en tombe amoureux à chaque fois, pour te dire. Ah oui, moi hormis le phœnix, c'est l'ouïe mon pouvoir. Elle est hyper fine chez moi et je peux amplifier le son. Ça fait vriller le cerveau de mes ennemis. T'as des questions ?
Une nouvelle fois, il se stoppa, fit claquer ses doigts et reprit la marche.
— Aiden, remarqua-t-il. Ouais, alors là, je t'avoue, ça va être complexe. Y'a des trucs que t'as pas le droit de savoir à propos de nous, donc j'peux pas tout te dire. MAIS, il a décrété que t'accompagner, c'était hors de question. J'ai l'impression qu'il fait une crise de la cinquantaine, j'te jure. Enfin, bon, c'est Aiden, je le comprendrais jamais. Tu le trouves craquant aussi ?
Pour seule réponse, je soupirai. Cet énergumène parlait beaucoup trop et je n'étais pas d'humeur à converser. Surtout pas à propos de mon Soleil éteint.
— Désolé, je parle pas ce langage. En tout cas, Mélodie, elle l'a trouvé trop mignon quand on l'a rencontré. Elle voulait toujours lui tirer les joues. J'ai besoin de te dire qu'Aiden a jamais été d'accord ? Heureusement d'ailleurs, je l'aurais étripé sinon. Parce que bon, moi je l'aime ma Mélodie et elle est à moi.
— Comment vous l'avez rencontré ? interrompis-je Thibault.
Il était parvenu à titiller ma curiosité.
— Ah ça, secret défense. C'est son histoire, donc c'est à lui de te la raconter. En tout cas, ce que je peux te dire, c'est que c'est vraiment moche et glauque. Il est le plus jeune, mais il en a vécu des trucs de dingues !
— Est-ce que ça concerne une femme qu'il a aimée ?
Mon accompagnateur cessa de jacasser et ouvrit grand la bouche.
— Waouh.
Je ne m'attendais pas vraiment à de l'admiration. Thibault se plaça devant moi, les mains sur mes épaules et me demanda :
— Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
Il venait de prendre un virage à 180°. Si son regard avait été enflammé, à présent, il était aussi sombre que la nuit. J'avais l'impression de voir une toute autre personne devant moi.
— Juste qu'ils ont fait d'elle un paquet cadeau horrible.
C'était vague et si précis à la fois. Mon estomac se nouait sans cesse lorsque je tentais de m'imaginer.
— Waouh, réitéra-t-il.
— Qu'est-ce qui est si incroyable ?
Thibault me relâcha et avança tout en secouant la tête. Perplexe, je le suivis, mais il ne prononça plus aucun mot à ce sujet. Il resta pensif jusqu'à ce que nous apercevions les petits nains, devant le grillage. Il s'éclipsa alors dans une salutation des plus joyeuses et je me concentrai sur mes amis. Thibault était des plus étranges, laissions-le de côté.
— Ça va ? s'inquiéta Cathy, une main attrapant la mienne.
Un instant, je me dis qu'elle n'avait nullement besoin de la réponse. Son regard brillant et ses lèvres pincées me prouvaient déjà qu'elle attendait un « non ».
— Pas vraiment. Je pensais être tranquille et une boule d'énergie est venue m'agresser de bon matin.
Le couple sourit. Je tentai, n'y parvins pas.
— Thibault est incroyablement bavard, Sean lui fait souvent fermer sa bouche, me rassura Paul.
Une première sonnerie retentit, mais personne ne bougea. Mon amie semblait avoir une nouvelle à m'annoncer, alors j'attendis.
— Aiden, il ne viendra plus.
— Quoi ? m'étranglai-je.
Je pensais qu'il m'éviterait, mais pas au point de ne plus venir !
— Il s'entraine, s'empressa d'ajouter Paul. Et en cinquante ans, il a déjà passé plusieurs diplômes.
Il ne servait à rien de cacher la vérité, de vouloir l'atténuer. Je me souvins de son regard la veille. Il s'agissait bel et bien d'adieux. Aiden n'était plus Aiden. Mon cœur se serra et je forçai un sourire pour m'encourager. La vie pouvait continuer, malgré tout. Elle devait continuer. Il me restait les petits nains.
########
Voilà près d'une semaine que je me levais chaque matin, en me demandant s'ils apparaitraient aujourd'hui. Les Obscurs étaient restés tranquille pour le moment, mais ce n'était pas rassurant pour autant. La marque, que chacun de mes sauveurs s'évertuaient à fixer au cours de leurs accompagnements, me rappelait qu'ils étaient toujours à mes trousses.
Durant ces six jours, j'avais espéré, en vain, qu'Aiden ne revienne en cours ou sous ma fenêtre. Jamais il n'avait refait le déplacement et Paul s'évertuait à clamer qu'il « s'entrainait ». Et alors ? En quoi cela l'empêchait-il de me rendre visite ? D'apporter de la gaieté dans mon quotidien si sombre ?
Les petits nains étaient restés les mêmes et c'était justement mon problème. Ils ne comprenaient que trop bien ma situation et leur stress commençait à déteindre sur moi. Les jours ne me semblaient plus lumineux, mais angoissants. Je commençais à redouter leur venue, tout autant que le couple la redoutait. Ainsi, je trainais des pieds ce mercredi soir-là, tandis que Sean me raccompagnait. Les seuls mots que j'avais entendus de sa personne consistaient en son nom et il ne semblait pas dérangé par le silence. Il changea visiblement d'avis face à mon manque de gaieté.
— Pourquoi es-tu peinée ?
Je soupirai tout en me laissant distraire par les pavés. La question était stupide. Aiden disparaissait subitement de ma vie, comment étais-je censée me sentir ?
— Vous êtes tous différents et sympathiques, mais j'aimerais revoir Aiden. Il me changeait les idées, contrairement à vous.
— Je ne suis pas certain qu'il te serait d'une grande aide, en ce moment.
Je me tournai vers lui, les sourcils froncés. Qu'insinuait le Luma aux cheveux blonds ?
— Pourquoi ? interrogeai-je, comprenant que mon accompagnateur ne développerait pas.
Je manquai de trébucher, tandis que j'attendais sa réponse. Sean fixait le chemin, sans que son expression n'exprime un quelconque sentiment. Pourtant, il était évident qu'il réfléchissait avec grand soin aux mots qu'il allait prononcer.
— Ton ami rieur et blagueur t'a fait ses adieux.
Mes pas se stoppèrent, ma bouche s'ouvrit, ma respiration cessa un instant. Aiden m'avait entendue, mais en plus de cela, il en avait parlé !
Mon compagnon de route s'amusa de ma réaction, avant de m'inviter à relativiser les faits.
— Il n'est pas seulement proche de toi, même s'il t'en donnait l'impression.
Tout le problème était là : il avait prétendu être quelqu'un et c'était ce quelqu'un que je souhaitais revoir.
Les poings serrés, je poursuivis ma route. Le Luma de trois cents ans ne fit aucune remarque, tandis que les maisons défilaient et que l'atmosphère devenait plus oppressante. Nous nous arrêtâmes sur le trottoir en face de mon habitation. Aucun de mes protecteurs ne s'approchait de trop près de la demeure ; ils évitaient la présence de mes parents.
— Aiden a tort de disparaitre de ta vie au moment où tu en as le plus besoin.
Ne pas partager son opinion n'allait pas faire changer d'avis mon Soleil. Sinon, il serait déjà revenu sur sa décision.
— Pourquoi le fait-il dans ce cas ? rétorquai-je.
La raison m'échappait totalement. Nous étions amis, même si la situation était étrange. Pourtant, il semblait m'abandonner.
— C'est à lui que tu dois poser la question.
— Il me fuit depuis mon réveil, remarquai-je abruptement.
Il refusait le dialogue !
— Et toi ? Que fais-tu depuis ?
Pas grand-chose. me fis-je la réflexion. J'attendais son retour chaque jour, je pensais souvent à lui, j'acceptais sa décision, en vérité.
— Tu essaie de me dire d'aller contre son choix ?
— Je ne fais aucune suggestion, je pose des questions et j'énonce des faits.
Ses yeux bruns étaient pourtant joyeux et son corps tourné vers l'endroit d'où nous venions. Ce qu'il tentait de me faire comprendre était des plus explicites.
— J'aimerais bien découvrir un peu plus en détails cette maison, déclarai-je finalement.
Sean hocha la tête et nous nous remîmes en route. Je n'espérais pas réellement croiser mon Soleil, j'avais compris qu'il savait se cacher. En revanche, ma présence pouvait peut-être le faire davantage réfléchir. Je n'avais ni besoin de le voir, ni de lui parler pour lui transmettre des informations. Son nom suffisait. J'allais donc exploiter ce bug.
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