Le réveil


— Mew...

Je sens qu'il est tout près et pourtant je n'arrive pas à l'atteindre. Son visage se perd dans la brume qui m'entoure. Je tends le bras pour le retenir, mais il s'éloigne inexorablement de moi. Je l'appelle, le supplie de revenir vers moi, mais je ne peux pas bouger. Mon corps ne réagit plus. J'ai mal...

Mew !

Brutalement tiré de mon cauchemar, je me redresse vivement dans mon lit, hagard. Une douleur vive m'oblige à me rallonger. La tête me tourne et mon flanc me brûle atrocement. Je cligne plusieurs fois des paupières pour m'habituer à la lumière vive. Je regarde autour de moi. Je suis dans le sous-sol de la maison, dans un lit médicalisé. Une perfusion est enfoncée dans mon bras et un moniteur indique mon rythme cardiaque. Les souvenirs me reviennent, l'infiltration, le téléchargement des données, ma blessure et Mew... Malgré la douleur et le vertige, je me relève, en arrachant ma perfusion. Je dois le retrouver. Deux mains me retiennent et m'obligent à me rallonger.

— Hé ! Où comptes-tu aller comme ça ?

— Maman ?

Parler me fait mal, ma voix est rocailleuse. En douceur, elle me caresse le visage. Un large sourire illumine son visage. Je remarque sa grande émotion dans ses yeux trop brillants.

— J'ai eu tellement peur pour toi.

Ses mains fraîches sur mon visage me font du bien. Je ferme les yeux quelques secondes pour profiter de ce moment de tendresse.

— Que fais-tu là ? Où est Mew... ? articulai-je difficilement, en essayant de déglutir à plusieurs reprises pour humidifier ma gorge sèche.

Un éclair de tristesse passe dans son regard. L'inquiétude me comprime la poitrine. Elle se tourne une seconde pour prendre un verre d'eau et m'invite à m'humidifier les lèvres. Elle repose le verre avant de reprendre.

— Puifai m'a appelé, ton état était grave, tu as perdu beaucoup de sang. Heureusement, la balle n'a pas touché d'organe vital et est ressortie. J'ai dû t'opérer ici, en urgence, pour stopper l'hémorragie.

— Toi ! Tu m'as opérée ?

Elle sourit en me prenant la main.

— Dois-je te rappeler qu'avant d'être chercheuse, je suis avant tout médecin. Tu as aussi deux côtes cassées. Tu as eu beaucoup de chance qu'elles ne te perforent pas le poumon, sinon je n'aurais rien pu faire.

Son front se plisse et ses yeux se remplissent de larmes. Elle resserre ses doigts autour de ma main.

— J'étais si inquiète pour toi, mon chéri... Ces deux jours m'ont paru une éternité. j'avais tellement peur que tu ne te réveilles pas.

Voir ma mère si fragile et angoissée me bouleverse tellement que je ne réalise pas tout de suite la portée de ses mots. Mais lentement, le sens de sa phrase passe le brouillard de mon cerveau engourdi.

— Deux jours...

À nouveau, sa paume fraîche se pose délicatement sur ma joue brûlante.

— Tu es resté inconscient pendant deux jours...

Cette réalité me frappe de plein fouet : deux jours ! Où est Mew, que lui est-il arrivé ? S'il était là, il serait à mes côtés.

— Où est-il ?

Ma voix n'est qu'un murmure alors que j'aurais voulu hurler ma peur et mon angoisse. Ma mère baisse les yeux. Elle n'ose même pas me regarder. Oh non... ! Je me redresse avec difficulté, je dois le retrouver. Ma mère tente de me retenir, les yeux écarquillés d'effroi. Mais je me fous de la douleur, je me fous de mon corps qui n'est plus qu'une loque. Je repousse ses mains et tente de m'asseoir sur le rebord.

— Gulf ne fait pas ça... je t'en prie.

Les larmes coulent sur son visage. Faire souffrir ma mère est une torture, mais je dois retrouver Mew, je dois le sauver. Un vertige m'empêche de faire un mouvement de plus. Tout tourne autour de moi. Ma vision se floute, m'obligeant à me rallonger. Je suis à bout de souffle. Ma poitrine est en feu. Je n'ai fait qu'un seul mouvement et je suis au bord de l'évanouissement. Je serre les paupières, crispe les mâchoires pour retenir un hurlement de frustration.

— Nous savons où il est, mais nous ignorons s'il est toujours en vie. Si tu veux que je te raconte, arrête de faire le con !

Puifai s'approche et me toise d'un air sévère. Sa pommette est parcourue d'une longue cicatrice rougeâtre, qui me rappelle trop bien mon impuissance. Elle se campe à mon chevet et croise les bras, me défiant du regard. J'agrippe le drap entre mes doigts, furieux d'être si faible.

— Écoute-la, mon chéri et n'essaie pas de bouger. Tes sutures pourraient se rouvrir.

Je me tourne vers ma mère, honteux de l'inquiéter autant. Je tends le bras et elle me reprend la main, qu'elle serre contre son cœur, avant de déposer un baiser sur mes doigts. Je refoule l'émotion qui me gagne en clignant des paupières, avant de reporter mon attention sur Puifai.

— Dis-moi et n'omets aucun détail.

— J'ai pu pirater les archives des caméras de la ville et j'ai pu retracer son parcours. Il n'a pas été très discret.

Je lui lance un regard noir. Elle hausse les épaules et reprend.

— Ce soir-là, il est parti de la maison peu de temps après que tu sois blessé. Mais entre-temps, je t'ai récupéré et nous ais mis en sécurité. Nous nous sommes malheureusement croisés. Il a erré dans le quartier autour de KlaxoSmithGlare, à ta recherche, pendant un moment avant d'être capturé.

Capturé...

Mes pires craintes se confirment. Un étau de glace me comprime la poitrine. Je lutte pour ne pas me laisser envahir par la terreur et la rage. Je dois écouter jusqu'au bout. S'il reste un maigre espoir de retrouver Mew, je dois garder mon sang-froid. J'inspire profondément pour me calmer. Je sens le regard incrédule de ma mère posé sur moi. Elle doit se poser beaucoup de questions face à ma réaction disproportionnée. Je dois avoir une discussion avec elle, mais plus tard. La priorité, c'est Mew.

— j'ai surveillé les allées et venues depuis deux jours, il y est toujours...

Sa mine sombre ne me laisse pas beaucoup d'espoir. Je la supplie du regard de continuer.

— Il y a une heure environ, l'immeuble a été entièrement évacué.

Ces mots sont comme un coup de poignard en plein cœur. Si Mew était encore vivant, il ne l'aurait pas laissé seul dans les locaux vides.

— Ils savent que nous avons les preuves suffisantes pour les faire tomber. Les rats quittent le navire... C'est une question d'heures avant que la vérité n'éclate au grand jour, continue-t-elle en s'approchant de moi, les yeux brillants.

Ma mère presse doucement ma main. Le soulagement intense se lit sur son visage.

— Nous avons réussi, mon chéri. Tout ça sera bientôt fini...

Une larme coule sur sa joue. Je ferme les yeux, submergé par des émotions tellement fortes que ça en est douloureux. Trois ans de combats... Trois ans de lutte, de souffrance et de haine... Nous avons enfin trouvé les preuves qu'il nous fallait pour arrêter ce massacre, pour faire tomber ces salauds, prêts à tuer des millions de personnes pour le profit et le pouvoir.

Le soulagement, le bonheur devraient m'envahir, mais seule l'angoisse m'habite. J'ai l'impression d'avoir tout perdu. J'avais enfin trouvé un sens à ma vie, autre que la vengeance et la haine. J'ai goûté à la douceur et à l'amour. Je ne peux pas perdre tout ça, pas maintenant que l'espoir de retrouver une vie normale renaît.

— Je dois y aller... dis-je d'une voix résolue.

Ma mère me fixe, stupéfaite. Puifai souffle, irritée.

— Je savais que tu dirais ça.

Elle secoue la tête, une expression résignée sur le visage. Elle s'éloigne vers la sortie et sans se retourner, lance :

— Je vais préparer la voiture.

Je me tourne vers ma mère et me racle la gorge pour garder une voix solide.

— Aide-moi, s'il te plaît. Je dois aller voir de mes propres yeux.

— Je ne comprends pas... Que représente-t-il pour toi, pour que tu prennes autant de risques ?

— Tout...

Je la supplie du regard. Je lis dans ses prunelles l'incompréhension, l'inquiétude et lentement, elle comprend. Je ne peux pas mettre d'autres mots sur ce que je ressens pour lui, il est juste devenu toute ma vie.

— Si tu te lèves, tu vas souffrir le martyre.

— Peu importe... Je dois y aller.

Je pose ma main sur sa joue, qu'elle recouvre de la sienne, une nouvelle larme quittant ses paupières closes.

— Je suis désolé de te faire souffrir, maman, mais je dois le faire.

Elle acquiesce vivement de la tête, embrassant ma paume. Elle se retourne vivement, s'essuie le visage d'un geste et se dirige vers une desserte. Elle ouvre plusieurs tiroirs et en sort plusieurs fioles et une aiguille. Elle revient vers moi.

— Je vais te faire une injection de glucose, d'adrénaline et d'antidouleurs. Ça te permettra de te déplacer en souffrant moins. Mais, il faut absolument que tu sois prudent, tes côtes ne sont pas soudées, elles peuvent encore bouger. Tu dois revenir rapidement. Promets-le-moi !

— Je te promets...

Les mains tremblantes, elle m'injecte son cocktail. Rapidement, mon rythme cardiaque bat plus fort dans mes veines et les vertiges diminuent. Elle m'aide à me lever péniblement et avec lenteur, j'arrive jusqu'à la voiture. J'ai fait de mon mieux pour cacher les lancements horribles qui me traversent le corps à chaque mouvement, la montée d'escalier à été une vraie torture, pour ne pas l'inquiéter plus. Puifai m'aide à m'asseoir sur la banquette arrière, avec mille précautions, ce qui n'est pas dans ses habitudes. Elle prend le volant et nous partons, après un dernier salut pour ma mère, qui nous regarde partir, livide et angoissée, sur le pas de la porte. Les quinze minutes de route me paraissent trois heures. Je m'accroche désespérément à la poignée pour éviter d'être secoué par les aspérités de la route. Des gouttes de sueur froide coulent sur mon front et le long de mon dos. Je serre les dents pour ne pas gémir de douleur. Puifai me jette des coups d'œil inquiet toutes les deux minutes.

— Concentre-toi sur la route, lui lançé-je, exaspéré. Je vais bien.

— Pfff ! Tu fais un piètre comédien. Cette virée est une très mauvaise idée. Nous ne savons même pas ce que nous allons trouver.

— Je sais... Mais, je n'arriverai pas à passer à autre chose, si je ne vois pas de mes propres yeux. Je dois en avoir le cœur net.

Un lourd silence me répond. Nous finissons le trajet sans un mot. Puifai se gare devant l'immeuble de KlaxoSmithGlare. Il n'y a pas âme qui vive dans les alentours.

— J'y vais en premier. Je fais un tour de reconnaissance et si c'est ok, je reviens te chercher.

Je hoche la tête, bien conscient que je ne suis pas très utile. Elle prend une arme dans la boîte à gants, la glisse à l'arrière de son pantalon et sort de la voiture. Pendant qu'elle force la porte d'entrée, je scrute la façade. Mew... où es-tu ? Je ne veux pas perdre espoir, il est là, quelque part. Il a besoin de moi et je ferai tout pour l'aider. Puifai revient après de longues minutes et ouvre ma portière.

— RAS. C'est vide.

Elle m'aide à sortir de la voiture. J'oublie presque la douleur intense, tant mon esprit est tourné vers ce qui m'attend dans ce bâtiment. Nous entrons. Le silence des lieux est oppressant. Des papiers jonchent le sol, les câbles électriques pendent des murs, là où se dressaient, il y a quelques heures à peine, les ordinateurs et les écrans de surveillance. Tout ici est le reflet de la fuite précipitée de l'équipe de KlaxoSmithGlare Vaccines. Un frisson me parcourt.

— Où peut-il être ? murmure Puifai.

Je crois le savoir. Il n'y a qu'un seul endroit qui peut servir de prison.

— La cellule de quarantaine.

Elle me regarde, stupéfaite.

— Là où il a été enfermé après avoir été contaminé ?

— Oui...

Nous prenons l'ascenseur et arrivons au quatrième étage. Nous avançons lentement, Puifai me soutenant. Le silence nous entoure, pas un bruit, pas un appel, rien...Mon coeur accélère. Et s'il n'y était pas ou pire, si nous ne retrouvions que son cadavre.

Non !

Je dois mettre un pied devant l'autre pour aller vers lui. Je ne dois pas l'abandonner. Nous arrivons enfin devant la porte close de la cellule de confinement. Puifai se penche pour saisir la poignée, mais je l'en empêche. Avec difficulté, je me détache d'elle. Un vertige me saisit quand je tente de trouver mon équilibre, seul, sur mes deux jambes. Le visage de ma partenaire est froissé d'inquiétude, mais elle n'intervient pas. Je tourne la poignée et ouvre la porte. D'un pas chancelant, j'entre dans la pièce. 

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