Le doute


Je pénètre dans les locaux de KlaxoSmithGlare Vaccines, l'esprit embrouillé. La nuit a été courte et agitée. Je n'ai pas arrêté de repenser à ma conversation avec Gulf. Tour à tour, je suis impatient de le voir et de passer du temps avec lui et aussitôt une angoisse me vrille l'estomac. Je ne me fais pas confiance pour réprimer mon attirance pour lui. Ce n'est même pas son comportement qui me stresse, mais c'est le mien. Je vais devoir faire appel à toute ma volonté pour garder mes distances.

Une fois encore, je décide de me plonger dans le travail pour ne pas me laisser perturber, mais vais-je y arriver ? J'entre dans la salle d'analyse en cherchant mon nouvel ami des yeux. La déception me gagne quand je réalise qu'il ne doit pas être encore arrivé. Je prends enfin conscience qu'une certaine frénésie court dans la pièce. Mes collègues ont l'air nerveux. Je m'approche de Run.

— Salut. Qu'est-ce qui se passe ?

Il me regarde avec des yeux ronds au-dessus de son masque avec un bec de canard.

— Tu n'es pas au courant ?

Je réponds par la négative d'un hochement de tête. Il s'approche un peu plus de moi et se penche pour me murmurer.

— Le laboratoire K2 a été forcé hier soir. Quelqu'un a essayé de s'y introduire de force.

Je suis sidéré. C'est dans ce laboratoire qu'est mis au point des doses de vaccin pour nos analyses. C'est un lieu ultra-sécurisé et tout ce qui s'y passe est confidentiel. Seules quelques personnes habilitées y ont accès.

— À quelle heure ?

— Vers vingt et une heures.

C'est l'heure à laquelle je suis parti... Un frisson désagréable me parcourt l'échine quand je réalise que j'étais dans les mêmes locaux qu'un criminel.

— Suppasit !

La voix coupante et froide de mon supérieur me tire en sursaut de mes réflexions. Je me retourne pour lui faire face.

— Dans mon bureau, tout de suite !

Il n'attend même pas de réponse avant de faire demi-tour et de sortir de la pièce. Tous les regards sont braqués sur moi. Je jette un coup d'œil à Run qui m'observe comme si j'allais droit à l'échafaud. J'inspire profondément pour me donner le courage nécessaire de suivre mon chef. C'est le pas lourd que je lui emboîte le pas.

En franchissant la porte, je percute quelqu'un. D'un bond, je prends mes distances et m'excuse à mi-mots, en relevant les yeux. C'est Gulf. Mon cœur rate un battement quand ses yeux pétillants plongent dans les miens.

Il est là.

Pendant quelques secondes, nous restons immobiles à nous contempler, silencieux. J'en oublie tout le reste, tout ce qui nous entoure.

— Suppasit !

La chute est brutale et la réalité me rattrape. Je me détourne à regret de cet homme qui m'attire comme un aimant et accélère le pas, pour suivre mon supérieur. La porte se referme dans un grincement sinistre. J'ai l'impression d'être face à un tribunal qui prônerait la peine de mort. L'homme autoritaire est tourné vers la fenêtre.

— Savez-vous ce qui s'est passé hier soir ? me demande-t-il, sans même me regarder.

— Je n'ai pas les détails Monsieur. Je sais juste que quelqu'un a tenté de pénétrer dans le K2.

— Il n'a pas fait que de tenter, il a réussi à y entrer et a commencé un téléchargement de données...

Une vague d'effroi me serre la poitrine. Réussir un tel tour de force est simplement impossible.

— Vous réalisez la gravité de la situation ? continue-t-il de sa voix tranchante, comme si j'étais un enfant inconscient d'avoir fait une bêtise.

Je me racle la gorge pour réussir à répondre.

— Oui, Monsieur.

— Heureusement, il a été interrompu par le gardien, mais cet enfoiré s'est échappé, crache-t-il en serrant les poings. Nous ne savons pas s'il a réussi à obtenir des dossiers. L'équipe technique est sur l'affaire pour découvrir comment il est entré et quels dossiers ont été téléchargés.

Mr Maleenon se retourne brutalement et me jette un regard assassin. Un malaise inconfortable se diffuse en moi.

— Une enquête approfondie sur tout le personnel vient d'être ouverte, lance-t-il comme un couperet, en jetant sèchement une liasse de feuilles sur le bureau, face à moi. Vous êtes le dernier à être parti de l'immeuble hier soir et vous avez accès au K2.

Je récupère le feuillet pour découvrir que c'est le manifeste des entrées et sorties de la veille. Je parcours rapidement la liste pour découvrir mon nom en dernière place. Je relève les yeux, soudainement inquiet.

— Monsieur, qu'insinuez-vous ?

Il me lance un regard glacial, sans prononcer un mot.

— Enfin, Monsieur ! Vous me connaissez bien, jamais je n'aurais...

— Je vous connais, Suppasit, me coupe-t-il sèchement. C'est pourquoi, vous ne faites pas partie des premiers suspects. Avez-vous remarqué quelque chose d'inhabituel ?

— Non, Monsieur, rien...

Mon sang se glace quand je réalise que je ne suis pas le dernier à avoir quitté les lieux. Je jette un coup d'œil à la liste. Son nom n'y figure pas...

C'est impossible.

— Vous êtes sûr ? demande-t-il en se penchant vers moi, tel un prédateur prêt à bondir sur sa proie.

Une vague de sueur froide me parcourt le dos, face au regard inquisiteur de mon supérieur. Je dois garder la face, ne rien laisser paraître.

— Rien, confirmé-je avec le plus d'assurance dont je suis capable.

Ses yeux froids me scrutent. Je déglutis péniblement pour garder une contenance.

— Venez me voir immédiatement si quelque chose vous revient à l'esprit. Les enjeux sont énormes. Cette intrusion peut être une attaque en règle d'un de nos concurrents. Ils ne s'arrêteront devant rien. Nous parlons de plusieurs milliards de dollars. Est-ce clair, Suppasit ?

— Très clair.

De nouveau, il me tourne le dos, pour contempler le paysage. Je me dirige vers la porte, sonné par cet entretien.

— Suppasit...

Je me fige, la main sur la poignée.

— Je vous conseille de ne me donner aucun prétexte de vous soupçonner.

— Bien, Monsieur.

Je referme la porte avec délicatesse. Soudain, mes jambes se dérobent et m'obligent à m'appuyer sur le mur pour me soutenir. Une violente nausée me tord l'estomac.

— Merde ! sifflé-je, entre mes dents serrées.

Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Je viens de cacher une information capitale à mon supérieur, pour un inconnu, que je connais à peine... que je ne connais pas du tout... Je secoue la tête pour m'éclaircir la tête. Je dois en avoir le cœur net, je ne dois pas me laisser guider par des émotions futiles et primaires. Je me redresse en serrant les poings, bien décidé à obtenir une explication claire de la part de Gulf. S'il ne me convainc pas, je n'hésiterai pas à en parler avec Mr Maleenon. Dès mon retour dans la salle d'analyse, les conversations se taisent et tous me dévisagent avec avidité. Run s'approche de moi timidement.

— Alors, que t'as dit le chef ?

Mais je ne veux pas perdre de temps à lui répondre,

— Où est Gulf ? lui demandé-je, en cherchant fébrilement ma cible du regard.

— Je ne sais pas, il vient de sortir avec Puifai.

Sans un mot, je me détourne et fonce hors de la pièce, laissant mes collègues bouche bée. Je me précipite vers la cage d'escalier, là où je les avais surpris la veille. En plus de l'angoisse et de la suspicion, un nouveau sentiment vient alimenter ma confusion : la jalousie. Pourquoi, dès que j'ai le dos tourné, je le retrouve avec cette femme ? Je ralentis l'allure quand je me trouve à quelques pas de la porte qui mène à l'escalier et franchis les derniers mètres sur la pointe des pieds, pour tenter de capter leurs paroles. j'entends chuchoter, ils sont bien là. Je tends l'oreille, mais je ne comprends pas un mot. Fatigué de jouer à l'espion, j'ouvre en grand la porte et les découvre en grande discussion. Ils me fixent, surpris de mon arrivée, mais je ne m'en préoccupe pas.

— Gulf, je peux te parler ?

Mon ton est sec, je vois à son expression que cela l'étonne. Il jette un regard à Puifai qui lui sourit avant de se tourner vers moi et de me saluer respectueusement. Elle descend les quelques marches qui nous séparent et passe à mes côtés pour sortir.

— Suis-moi.

Sans lui jeter un seul regard et sans attendre de réponse, je grimpe quatre à quatre les marches de l'escalier. J'arrive au dernier étage, face à une petite porte qui mène sur le toit. Je regarde rapidement derrière moi, pour m'assurer qu'il m'a bien suivi. Il est là, à peine essoufflé. J'ouvre la porte et sors dans la clarté éblouissante du soleil levant. Je cligne des yeux pour m'habituer à la lumière vive.

— Mew, que se passe-t-il ?

Sa voix est douce et je sens qu'il s'approche de moi. Sa proximité déclenche un frisson qui me parcourt la colonne vertébrale. Je serre les poings, je dois refouler mon attirance et obtenir des explications claires.

— Tu sais ce qui s'est passé hier soir ?

Je lui tourne toujours le dos, pour garder l'esprit clair.

— Oui, on ne parle que de ça.

Il s'approche encore, sa voix est calme, il semble même amusé. Je dois aller droit au but, faire fi de mon cœur qui tambourine dans ma poitrine.

— Pourquoi étais-tu toujours présent aussi tard ?

Ma voix tremble légèrement.

— Je te l'ai dit, je t'attendais.

Pourquoi est-il si calme et sûr de lui, alors que je tremble comme une feuille. Je ne peux toujours pas le regarder, alors qu'il fait un pas de plus vers moi.

— Pourquoi... ma gorge se serre, m'obligeant à déglutir pour continuer. Pourquoi tu n'apparais pas sur le manifeste de sortie ?

Ma voix n'est plus qu'un murmure. La situation m'échappe. C'est bien trop d'émotions à gérer.

— Parce que j'étais trop occupé à te courir après. J'étais juste derrière toi, quand tu as passé le portail. Je n'ai pas eu le réflexe d'utiliser mon badge.

Une nouvelle fois, mes jambes ne me soutiennent plus. Heureusement, des bras puissants me rattrapent et m'étreignent fortement.

— Je suis là, Mew. Calme-toi, tout va bien.

Un voile grisâtre m'obscurcit la vue, je suis en état de choc. Une seule chose peut me rassurer et me faire reprendre pied et elle est tout contre moi. Je me retourne et l'enlace fiévreusement, m'agrippant à lui de toutes mes forces. J'envoie balader les risques de contaminations et la loi. J'ai besoin de ses bras autour de mon corps.

J'ai besoin de Gulf.

— Jure-moi que tu ne me mens pas ! le supplié-je, le visage enfoui dans le creux de son cou.

Il se raidit légèrement, avant de resserrer son étreinte.

— Je jure que je ne te ferai jamais de mal et que mes sentiments pour toi sont réels.

Il se redresse et prend mon visage en coupe entre ses mains.

— Et si je le pouvais, je t'arracherais ce masque pour t'embrasser à en perdre haleine, jusqu'à ce que tu me crois.

Je plonge dans ces prunelles enchanteresses, où sa sincérité brille de mille feux. Je le crois. Je n'ai pas d'autre choix. Mes sentiments pour lui sont déjà trop puissants. Je fais un mouvement pour rompre le contact. Nous avons assez joué avec le feu, mais il me ramène contre lui, ses mains plaquées sur mes reins.

— Une minute encore... rien qu'une minute, souffle-t-il.

Je ne résiste pas, fermant les yeux pour m'imprégner de son odeur, de sa chaleur. Je veux graver cette étreinte dans ma mémoire car je sais qu'une telle chose ne se reproduira peut-être jamais. 

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