La vérité


3 ans auparavant.

— Putain de merde !

J'enrage.

L'ennemi a réussi à m'échapper. Je dégaine mon Famas et m'accroupis pour me mouvoir en furtif et m'approcher de ma cible. Je dois agir vite, les prisonniers vont être transférés dans peu de temps. S'ils montent dans ce camion, ils mourront à coup sûr. L'adrénaline court dans mes veines, j'essuie, du dos de la main, les perles de sueur qui coulent sur mon front. L'air est étouffant, mais, je ne m'en préoccupe pas, toute mon attention est tournée vers mon but : sauver les otages. La victoire est proche. Le clan adverse est presque entièrement décimé. Encore quelques minutes et j'aurai réussi ma mission.

Soudain, mon téléphone vibre entre mes mains. Je souffle bruyamment, contrarié, quand le numéro de mon père s'affiche à l'écran. J'y étais presque... Je décide de décrocher, malgré tout. Mes parents sont en Chine depuis plusieurs mois, pour leurs recherches. Je ne les ai pas revus depuis. La moindre des choses est de répondre, en bon fils que je suis. Je m'allonge sur mon lit, en décrochant.

— Ô Pa, salut. Tu tombes mal, j'avais presque atteint le niveau supérieur. Mais, mon père adoré passe avant tout ! Souviens-t'en pour mon anniversaire, qui approche, je te le rappelle.

— Gulf...

Sa voix basse et haletante, aux intonations désespérées, m'alarme immédiatement.

— Pa ? Est-ce que ça va ?

J'entends qu'il respire avec difficulté. Je me redresse, de plus en plus inquiet.

— Pa ?

— Gulf... Écoute-moi attentivement, je n'ai pas beaucoup de temps...

Il peine à parler, comme s'il était essoufflé ou pire blessé.

— Pa ? Qu'est-ce qui... ?

— Ecoute !

Sa voix est dure et tranchante. Jamais de toute ma vie, il ne m'a parlé sur ce ton. Je sens que quelque chose de grave est arrivé. Un long frisson glacé me parcourt l'échine, mais je décide d'obéir, le cœur battant d'appréhension.

— Ta mère...

Sa voix se brise. Ma poitrine se serre d'angoisse. Il se racle la gorge et reprend.

— Ta mère et moi t'avons menti. Nous travaillons depuis des mois sur un virus. Nous pensions...

Ses mots meurent dans un sanglot. Mes doigts serrent tellement mon téléphone que mes jointures blanchissent.

— Nous pensions travailler pour un nouveau traitement, mais ils nous ont dupés. Le virus va être lâché sur la population... Il y aura des milliers de morts...

J'entends, impuissant, mon père s'effondrer en larmes, à l'autre bout du fil. Les larmes inondent mon visage.

— Tu es en danger, continue-t-il, avec difficulté. Quitte la maison sur-le-champ.

Je sens mon portable vibrer à nouveau, signe de l'arrivée d'un message. Mais, je l'ignore, trop concentré sur mon père.

— Je t'ai envoyé une adresse. Vas-y tout de suite !

— Mais Pa...

Je le supplie de m'expliquer, de ne pas raccrocher, je ne comprends pas. J'entends des bruits sourds résonner derrière lui, comme si quelqu'un essayait de défoncer la porte.

— Je suis tellement désolé, mon fils, gémit-il, pitoyable. Je t'aime.

Les cris se rapprochent.

— Pa, Parle-moi. Papa !

— Sauve ta vie, promets-moi de survivre...

Des coups de feu retentissent et se répercutent jusqu'au plus profond de mon âme.

PAPA !

Je hurle toute mon angoisse, ma peine et mon incompréhension. Une tonalité vide me répond. Je suis paralysé par la terreur, le visage dégoulinant de larmes. Je fixe, pendant de longues minutes, la petite enveloppe sur l'écran de mon téléphone, le dernier message de mon père...Recroquevillé sur mon lit, le corps parcouru de longs sanglots déchirants, je me sens seul et complètement perdu. Ses mots résonnent en moi. Peu à peu la réalité immonde s'impose à moi. Mon père est mort... Et certainement ma mère aussi...

Que dois-je faire? Il a perdu la vie pour me prévenir d'un danger. Il m'a supplié de survivre. Je serre mon portable dans mon poing. La rage et la détermination apaise légèrement le désespoir. Si je veux honorer sa dernière volonté, je dois mettre de côté ma souffrance et agir...

Tout de suite...

****

Gulf m'entraîne dans les rues désertes. Je ne sais pas où nous allons. Je suis trop sonné pour réagir. Je viens de le voir assommer un gardien tellement facilement qu'il semblait savoir faire ça depuis toujours. il m'a affirmé que je n'étais plus contaminé. Il m'a touché, m'a embrassé pour le prouver. Mais c'est impossible. Toutes ses pensées confuses se bousculent dans ma tête. Je dois obtenir des réponses. Je m'arrête net, dégageant ma main de son emprise. Il se retourne aussitôt.

— Mew ! grogne-t-il, en tendant la main pour m'attraper le poignet. Nous devons faire vite, nous y sommes presque. Viens !

Je me dérobe en faisant un pas en arrière.

— Qui es-tu ?

Ma voix est rauque et assurée.

— Mew, s'il te plait... se plaint-il, comme si je faisais un caprice.

La colère enfle en moi.

QUI ES-TU ?

Je hurle. Je me fous qu'on nous poursuive, je me fous du danger. Je veux des réponses. Il soupire bruyamment.

— Je ne bougerai pas tant que tu ne m'auras pas expliqué ce qui se passe ! affirmé-je, en me campant sur mes deux jambes, face à lui.

Il se passe nerveusement la main dans les cheveux.

DIS-MOI !

Je lui crache ma rage et mon incompréhension au visage.

— D'accord ! D'accord...

Il capitule en s'approchant encore, mais je ne le laisserai pas me distraire et recule pour laisser une distance entre nous. Il semble hésiter.

— Je suis un agent infiltré...

Ces quelques mots me font l'effet d'un coup de poing en plein ventre et me coupent le souffle.

— J'avais pour mission de t'approcher pour obtenir l'accès au K2.

Une nausée me tord l'estomac. Il m'a menti depuis le début. Une douleur atroce me déchire les entrailles, m'obligeant à me plier en deux.

— C'est toi... hier... C'est toi qui...

Je n'arrive même plus à aligner deux mots, la bile me remonte dans la gorge.

— Oui. Je suis désolé.

Je me détourne pour vomir le maigre contenu de mon estomac. Il pose une main sur mon épaule, pour me soutenir. Mais je ne veux pas de son soutien. Il m'a menti, il m'a utilisé. Il m'a séduit pour atteindre son but. Je crache, avant de m'essuyer la bouche du dos de la main. Je serre les poings, submergé par la rage. Ses doigts sur moi me brûlent. Je les écarte violemment d'un mouvement d'épaule, avant de lui faire face et de lui envoyer mon poing dans la figure. Il chancelle de quelques pas en arrière, stupéfait par mon geste. Il porte sa main sur sa lèvre tuméfiée et observe le sang sur ses doigts, avant de lâcher dans un sourire :

— Je l'ai bien cherché celle-là.

— Tu t'es servi de moi ! Tu m'as menti !

— Oui...

La fureur me donne envie de le frapper encore et encore. Il lève les mains pour m'apaiser.

— Calme-toi, Mew, s'il te plait. Tu es en danger ! Nous sommes en danger. Laisse-moi te mettre à l'abri et je te dirais tout ce que tu veux savoir. Et si tu veux me frapper encore, je te laisserai faire.

Je n'arrive pas à réfléchir clairement. Mais la proximité d'un danger imminent me calme suffisamment pour me reprendre et hocher la tête pour lui signifier que je vais le suivre. Quand il essaie de prendre ma main à nouveau, je le repousse avec violence.

— Ne me touche plus jamais ! sifflé-je, entre mes dents comprimées.

Un éclair de tristesse traverse ses prunelles, avant qu'il ne se détourne et se remette à courir. Nous parcourons la ville, Gulf privilégiant les ruelles sombres où il n'y a pas de caméra et de patrouille. Il semble savoir exactement quelle rue emprunter pour ne pas être repéré. Tout son être respire la virilité et l'assurance qu'offre un entraînement intensif. Comment ai-je pu être si facilement berné ? Il a su, dès les premiers instants, jouer sur mes faiblesses pour m'approcher et me séduire. Tout ce que nous avons partagé était calculé, faussé, pour abattre mes réserves et faire de moi son pantin. Une nouvelle vague de nausée me soulève l'estomac. Mais je la repousse en respirant profondément.

— Nous y sommes, m'informe Gulf.

Il traverse une petite rue avant de s'arrêter devant une vieille bâtisse, entouré d'un jardin en broussaille. Cette maison délabrée à l'air abandonnée depuis longtemps. Il frappe doucement à la porte, en jetant de fréquents coups d'œil derrière nous, pour être sûr que personne ne nous ait suivis. Au bout d'un temps qui m'a paru une éternité, la porte s'entrouvre dans un grincement. Je scrute, les yeux écarquillés, la personne en face de nous. Je lève l'index pour la désigner et lance, interloqué :

— Toi ?

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