La bataille
L'alarme me vrille les tympans, mais ne semble pas déstabiliser Gulf et Puifai. Ils s'y attendaient, de toute évidence. Je les vois sortir de leur poche et s'équiper de masques qui me paraissent étranges. Ils sont semi-rigides et ornés d'alvéoles. Des masques à gaz... Puifai dégaine une arme et hoche la tête vers Gulf. Ils vont sortir. Une suée glacée me traverse, j'ai peur pour eux. Je ne sais pas ce qui les attend derrière cette porte. Ils s'approchent de la sortie. Gulf pose la main sur la poignée, entrouvre rapidement le battant, permettant à Puifai de jeter un coup d'œil dans le couloir, avant de le refermer d'un coup sec.
Elle acquiesce de la tête, Gulf ouvre en grand la porte et ils sortent de la pièce.
Puifai se retourne et tire sur le boîtier numérique qui sécurise l'accès du laboratoire, empêchant quiconque d'y pénétrer.
Des hurlements nous parviennent et se rapprochent rapidement. Ils ne bougent pas, scrutant la direction d'où proviennent les cris. Je crispe les doigts sur le bord de la table. Pourquoi ne fuient-ils pas ? Je réalise avec horreur qu'ils vont rester devant cette porte jusqu'à ce que toutes les données soient téléchargées. Ils doivent tenir cinq minutes... Cinq minutes où tout peut se passer, où ils vont mettre leur vie en danger pour leur mission. À cet instant, leur dévouement total à leur cause prend tout son sens.
Un premier vigile déboule au bout du couloir. Puifai et Gulf, toujours immobiles, se parent d'une paire de lunettes sombres, lèvent leurs pistolets d'un même mouvement et tirent sur les luminaires, les plongeant dans le noir. Je devine un geste de Gulf, lançant quelque chose au sol. Une fumée épaisse envahit le couloir, recouvrant les nombreux gardes qui disparaissent dans le nuage sombre. Je ne vois plus rien. C'est une torture, mon coeur bat à cent à l'heure. Les cris sont tout proches maintenant, des détonations éclatent. Des éclairs déchirent l'obscurité, les balles fusent. Je ne sais absolument pas qui tire et surtout qui est touché.
Subitement, un garde surgit juste devant Gulf. J'entends un bruit sourd d'impact, avant que Gulf ne se plie en deux et expire d'une traite tout l'air de ses poumons. Il a dû se prendre un sérieux coup de poing dans l'estomac. Rapidement, il se relève et balance son poing en plein visage du garde, qui recule de plusieurs pas. Le vigile revient à la charge et se jette sur Gulf qui tente d'esquiver, mais pas assez vite. Il reçoit un coup violent dans le flanc, lâchant un grognement de douleur. Chaque coup, chaque blessure que reçoit Gulf est comme un poignard qui me transperce le cœur. Je le regarde, impuissant, se prendre plusieurs coups violents avant qu'il ne réussisse à neutraliser la brute face à lui. Les échanges de tirs reprennent. Les corps des gardes jonchent le sol, mais ils me paraissent toujours aussi nombreux à affluer vers Gulf et Puifai. Une légère sonnerie retentit et une lumière verte s'illumine sur le bracelet de la jeune femme.
— C'est bon, on décolle ! lance-t-elle.
Aussitôt, Gulf et elle font volte-face et courent vers le bout du couloir qui donne sur une fenêtre. Les balles sifflent autour d'eux. Je supplie le ciel qu'ils s'en sortent indemnes. Gulf tire dans la vitre qui éclate en mille morceaux. Il fixe un crochet sur le rebord et saute sans hésitation dans le vide. Une corde se déroule dans un bruissement métallique le reliant au mur. Il descend rapidement la façade en rappel.
— Puifai !
Son cri me fait réaliser qu'elle ne le suit pas, une bagarre semble avoir éclaté devant la fenêtre. L'angle de la caméra ne me permet pas de voir ce qu'il se passe réellement plus haut. Subitement la tête de sa coéquipière apparaît dans l'embrasure, une main agrippant ses cheveux. Elle résiste en hurlant, mais l'homme qui la maintient pousse sur son crâne pour approcher son visage des bouts de la vitre brisée, coupant comme des rasoirs.
— Puifai ! crie Gulf, avant d'actionner son harnais et de remonter vers sa partenaire.
— Sauve-toi, c'est un ordre ! ordonne-t-elle, avant de hurler de douleur, le verre pénétrant dans sa pommette.
Faisant fi de l'ordre, Gulf continue son ascension pour secourir la jeune femme en danger. Deux détonations très rapprochées retentissent dans le silence de la nuit. Le temps semble s'arrêter. Mon cerveau enregistre chaque image comme si elles étaient au ralenti.
Je vois Puifai réussir à se redresser, la joue en sang et faire face à son agresseur. Le câble retenant Gulf se brise net, ses bras se balançant dans le vide pour tenter de se retenir. Un bruit que je n'oublierai jamais me transperce l'âme comme la balle qui a traversé le corps de l'homme que j'aime. Le sang gicle quand elle quitte sa peau recouvrant de gouttes vermillons l'objectif de la caméra. Puis, le temps reprend son cours, aveugle et sourd au drame qui se déroule devant mes yeux. Gulf tombe, de plusieurs mètres, en quelques secondes. Il s'écrase lourdement sur le sol, dans un fracas du tonnerre. Je n'ai même pas eu conscience que je m'étais relevé violemment, envoyant ma chaise valser à travers la pièce. Horrifié par ses gouttes de sang obscurcissant l'image face à moi.
— Gulf...
Ma voix n'est qu'un murmure. Il ne bouge pas, ne réagit pas...
— Gulf ! Réponds-moi !
Des bruits de pas résonnent dans la rue.
— Je t'en supplie, un garde approche...
Gulf ne donne aucun signe de vie. Soudain, un homme apparaît dans le champ de la caméra, un sourire mauvais étire ses yeux.
— Sale vermine, crache-t-il, avant de mettre Gulf en joue.
— NON !
Je hurle ma détresse et ma peur. Un coup de feu retentit, arrachant mon cœur de ma poitrine. Je ne peux plus respirer. Je ne peux pas croire ce qui se passe devant mes yeux. L'homme écarquille les yeux, vacille au-dessus de Gulf et finit par s'effondrer sur le trottoir.
Un gémissement de douleur et un mouvement de la caméra me sortent de ma tétanie. Il est vivant !
— Gulf ?
Les larmes roulent sur mes joues, mes jambes tremblent, le soulagement me submerge. Il est blessé, mais vivant.
— Je suis là...
Sa voix est faible et hachurée. Il souffre, c'est évident. Je ne réalise que maintenant que Puifai est toujours en plein combat avec son agresseur, mais Gulf n'est plus en état de la secourir.
— Gulf, tu peux te lever ?
Il se tourne lentement sur le côté, en grognant de douleur. Très difficilement, il arrive à se relever.
— Va te mettre à l'abri.
Je tente de le convaincre d'une voix suppliante.
— Je dois secourir Puifai...
Il ne peut même pas finir cette phrase avant de chanceler et de devoir se retenir au mur. Les bruits de lutte à l'étage supérieur nous parviennent toujours. Puifai semble en difficulté, mais Gulf ne peut plus intervenir. Il ne doit pas intervenir. Une main sur le mur, l'autre sur le genou, Gulf tente de reprendre une respiration normale. J'aperçois les gouttes de sang qui tombent une à une sur le sol.
— Je t'en supplie Gulf... tu es gravement blessé.
— Gulf, abandonne la mission ! C'est un ordre !
La voix essoufflée de Puifai, luttant comme une tigresse contre son assaillant, ordonne à Gulf de se mettre en sûreté. Mais il ne bouge toujours pas. Si un autre garde le trouve, il est mort, c'est certain.
— Gulf... reviens vers moi...
Je me fous de passer pour un faible ou un trouillard, je suis prêt à le supplier à genoux de se mettre à l'abri.
— Puifai... ?
Sa voix faible est une torture à entendre. Il semble demander confirmation à sa partenaire, mais je sens qu'il a conscience que son état l'empêche de faire quoi que ce soit.
— Il ne fait pas le poids, ce bâtard ! Pars ! Tout de suite !
Lentement, il se détache du mur, et commence à s'éloigner du bâtiment. Il se déplace difficilement, courbé, une main compressant sa blessure. Je n'entends que son souffle de plus en plus erratique. L'effort que lui demande sa fuite est trop important. Il n'y arrivera pas sans aide.
— Puifai.. il a besoin d'aide...
Je gémis d'impuissance et d'angoisse.
— Je suis... occupée, là...
Elle ne semble pas réussir à se débarrasser du vigile qui l'attaque. Gulf se déplace de plus en plus lentement, la respiration sifflante. Je ne peux pas rester là sans rien faire. Je ne peux pas le regarder se vider de son sang. Ses pas ralentissent, il respire de façon de plus en plus laborieuse. Je serre les poings tellement fort que ça en est douloureux, mais pas autant que de voir l'homme que j'aime souffrir sous mes yeux. Il se fige au milieu d'une ruelle, tentant de faire entrer un peu d'air dans ses poumons à l'agonie. Il fait un pas, vacille, se rattrape et tente un second pas.
Je ne le vois pas s'effondrer sur le sol. J'ai quitté en courant la sécurité relative de cette maison, le plus vite que je pouvais. Plus rien ne compte en cet instant que de secourir l'homme sans qui vivre n'a plus aucun sens...
****
Une brûlure intense me déchire le flanc. Chaque pas m'arrache un gémissement que je contiens difficilement. Heureusement, Puifai me soutient et m'aide à avancer. Le chemin qui nous ramène vers la maison me paraît une éternité. Ce qui nous aurait pris trente minutes en temps normal, nous prend des heures, ma blessure nous obligeant à nous arrêter régulièrement. Nous nous cachons soigneusement, la police a été mise sur l'affaire, l'alarme et les échanges de tirs ne sont pas passés inaperçus. Les patrouilles sillonnent la ville, compliquant un peu plus notre fuite.
Pourtant, je suis soulagé et heureux. Nous avons réussi ! Nous avons les données. Il me tarde de pouvoir les étudier pour être sûr d'avoir suffisamment de preuves pour faire tomber le groupe et rendre public le traitement qui sauvera énormément de vies. Cet espoir diminue légèrement la douleur qui traverse mon corps. Même si nous sommes loin d'être sortis d'affaire, notre mission est une réussite. Assis contre un mur, essayant de reprendre mon souffle, j'observe Puifai qui monte la garde. Son visage ensanglanté est tendu et concentré.
— On a réussi... murmuré-je, en plongeant mon regard dans le sien.
Une étincelle brille dans ses prunelles, je sais qu'elle ressent la même chose que moi. Comme toujours, elle refoule ses émotions et joue la dure.
— Pas le temps de se féliciter en se tapant dans le dos, on doit avancer. Avec un escargot comme toi, on n'est pas arrivé !
— Mew, j'arrive...
Pas de réponse. Il ne m'a donné aucun signe de vie depuis que j'ai été blessé. Je pense que la communication a dû être rompue pendant la bagarre. Mais, je préfère le rassurer, au cas où, lui, nous entendrait. Puifai m'aide à me relever et nous reprenons la route. Le pansement de fortune qu'elle m'a appliqué est déjà imbibé de sang. J'ai la désagréable sensation de sentir couler les gouttes poisseuses le long de mon torse et de mes jambes. Heureusement, nous avons tout le nécessaire médical à la maison et Puifai, en plus d'être une combattante hors pair est une excellente soigneuse.
— Comment as-tu fait pour te débarrasser du gorille ? lui demandai-je, curieux subitement et espérant que son récit me détourne un peu de la douleur.
— Ne parle pas, garde tes forces pour marcher... me houspille-t-elle sévèrement.
— Allez ! Explique tes exploits à un mourant.
Elle n'hésite pas à me frapper l'épaule, malgré mon état.
— Aïe !
Elle sourit en secouant la tête devant mon comportement puéril.
— Je lui ai mis un coup dans les couilles à ce con ! J'espère que je n'aurai pas de cicatrice, dit-elle, en effleurant la coupure, qui semble assez profonde, sur sa pommette. J'aurais dû les lui arracher et lui faire bouffer !
Un rire m'échappe, réveillant brusquement la douleur et me faisant gémir. Puifai me soutient de ses deux mains, l'air inquiet.
— Dépêchons-nous, je dois te soigner...
Nous reprenons la route en silence. Arrivés enfin à la maison, c'est avec soulagement, que Puifai me dépose sur une chaise. Elle s'étire en grimaçant, les coups reçus et le fait de me soutenir ont dû rendre son corps douloureux.
— Va chercher Mew. Il doit être en bas, lui demandai-je, impatient de le voir.
Elle s'exécute en vitesse, sachant très bien que je ne me laisserai pas soigner, tant que je ne l'aurai pas vu. Elle revient en courant.
— Il n'est plus là !
Je me relève rapidement, en chancelant.
— Quoi ?
Une peur panique me submerge, ma vision se trouble, une sueur glacée recouvre ma peau et se mélange au sang qui coule de ma blessure. Où est-il ? C'est la dernière chose à laquelle je pense avant de sombrer dans un trou noir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top