L'attente
Nous nous activons en silence à nettoyer les dernières traces de notre...
Je ne trouve pas les mots pour définir ce moment que nous venons de vivre avec Gulf. Nous nous sommes offerts l'un à l'autre, sans pudeur et sans honte. Mon esprit est encore saturé de son image angélique, du bruit de sa respiration haletante, de ses gémissements enflammés.
Son visage reflétant son excitation extrême, ses pupilles dilatées de désir, sa peau se teintant de pourpre, signe de la montée en puissance du plaisir, tout en lui m'a ensorcelé. Je me sens calme et comblé. Mon corps nage encore dans les brumes de la jouissance, me permettant provisoirement de garder éloigné la peur et l'angoisse. Le silence n'est pas pesant, nous sommes juste apaisés d'être près l'un de l'autre. Nous n'avons pas besoin de mettre des mots sur ce que nous ressentons.
J'achève de désinfecter la vitre de séparation, quand je perçois qu'il ne bouge plus et m'observe. Je me redresse et laisse mon regard glisser sur son corps. Il s'est rhabillé, comme moi, mais sa chemise n'est pas boutonnée. Je me délecte de la vision de son torse dénudé. J'en suis déjà accro. Pourrais-je un jour caresser sa peau, la goûter, m'en repaître jusqu'à l'overdose ?
Mon cœur se contracte. Comment une chose aussi simple et essentielle que de toucher l'homme qui m'attire peut être à ce point inaccessible. La bulle de sérénité, dans laquelle je baignais, vient d'éclater. La monstrueuse réalité s'impose de nouveau à moi.
Gulf s'en aperçoit immédiatement et s'approche de moi.
— Mew ?
Il m'appelle de sa voix douce et rassurante. Au lieu de m'apaiser, le nœud dans ma poitrine se resserre. Je ne pourrais jamais l'embrasser, apprécier sa saveur, me coller contre son corps nu... Ma respiration devient difficile, tant ma gorge est comprimée.
— Mew !
Son appel ferme me ramène à lui. Les paumes à plat sur la surface vitrée, il tente de capturer mon regard.
— Reste avec moi, s'il te plaît...
Il est inquiet, je le sens dans ses intonations. Je respire profondément pour ne pas sombrer dans l'angoisse. Je plonge dans ses prunelles étincelantes. Il est mon ancre. Lui seul peut m'aider à surmonter cette épreuve.
— Tu dois être fort, Mew. Pour moi... pour nous...
Nous...
Ce petit mot réussit à lui seul à réchauffer mon corps gelé. Une petite lumière s'allume au bout du long tunnel empli de ténèbres. Si je survis, il y aura un Nous...
— Je vais devoir te laisser...
Non !
L'idée de me retrouver seul sans lui, fait resurgir l'angoisse. À nouveau, il sait ce que je ressens et m'empêche de me noyer.
— Regarde-moi ! m'invective-t-il. Je te promets de revenir très vite. Jure-moi de tenir bon jusqu'à mon retour.
Ses yeux m'implorent de l'attendre. Je hoche la tête. Je dois me focaliser sur lui, sur tout ce qu'il m'apporte et me fait ressentir. Je ne me suis jamais senti aussi vivant, grâce à lui, alors que je n'ai jamais été si proche de la mort. Il effleure la paroi qui nous sépare, me regardant intensément. Je peux lire sur son visage que ces mots sont sincères, il reviendra, il me l'a promis. Sans me quitter des yeux, il reboutonne sa chemise et positionne son masque. Il pose une dernière fois ses doigts sur la surface vitrée avant de se retourner et de faire quelques pas vers la porte. Il s'arrête, la main sur la poignée et se retourne.
— Je ne t'abandonnerai pas ! lance-t-il d'une voix vibrante d'émotions. Je ne vois plus ma vie sans toi, Mew, aie confiance.
Il tourne la poignée et ouvre la porte. Il se retrouve face à face avec notre collègue venu m'apporter les résultats du test. Ils se saluent de la tête et Gulf s'efface pour le laisser entrer. La mine déconfite du nouvel arrivant n'est pas de bon augure. Il s'approche de la séparation, mais reste à une distance raisonnable, comme si le virus pouvait le contaminer à travers la paroi.
— Mew, je suis désolé...
Il n'ose même pas me regarder dans les yeux.
Le verdict est tombé.
Mes oreilles bourdonnent, je n'entends pas la suite de sa phrase. Une onde glacée coule dans mes veines, malgré mon rythme cardiaque qui pulse frénétiquement. Mon regard cherche désespérément le visage de Gulf qui est resté en retrait. Il me fixe avec une expression que je n'arrive pas à déchiffrer. Je le supplie en silence de rester. Je veux passer mes derniers instants avec lui. Je suis terrifié à l'idée de mourir seul. Pourtant, il me jette un dernier regard, se détourne et s'en va, sans un mot.
****
Les heures s'écoulent. J'attends que l'on me transfère à l'hôpital, ou plutôt au mouroir. Je sais très exactement ce qui m'attend. Tous les hôpitaux et cliniques ont été submergés de malades, dès le début de l'épidémie. Pas un seul lit de réanimation n'a été créé depuis des mois, malgré l'afflux massif de patients en déficience respiratoire. Sauver des vies coûte cher et ne rapporte rien. L'argent est bien mieux investi dans les laboratoires pharmaceutiques, tel que le mien. Le retour sur investissement est faramineux. Alors, même si une simple assistance respiratoire peut sauver une vie, l'état préfère proposer un vaccin, qui lui, rapporte beaucoup d'argent.
Et le vaccin n'existe même pas encore. Donc, même si mon état nécessite un respirateur qui pourrait me sauver la vie, j'ai peu de chance d'y avoir accès. C'est la cruelle réalité. Je soupire bruyamment, allongé sur le lit, à l'écoute de mon corps et du moindre symptôme. À part l'estomac noué par l'angoisse, je ne ressens aucun mal-être. Cela fait pourtant douze heures que j'ai été contaminé. Mais, ce n'est plus qu'une question d'heures.
Tout est calme à l'extérieur de la pièce. Tous mes collègues ont dû rentrer chez eux, pour reprendre leur semblant de vie normale. Gulf n'est pas réapparu. Je lutte contre moi-même pour ne pas céder à la terreur et pour garder l'espoir. Il m'a promis qu'il reviendrait. Ses mots tournent en boucle dans ma tête:
Je ne t'abandonnerai pas ! Je ne vois plus ma vie sans toi, Mew... Aie confiance...
Il m'a promis. Je cache mon visage derrière mes bras. La colère remplace momentanément l'angoisse. Où est-il ? Pourquoi n'est-il toujours pas revenu ? Je commence à douter qu'il ait pu ressentir de quelconques sentiments pour moi. Je sais que je le connais à peine et pourtant, il a pris une importance démesurée dans ma vie. J'ai érigé des murs infranchissables autour de moi et il les a franchis en à peine quelques jours.
Les larmes que je refoule de toutes mes forces, finissent par envahir mes yeux. Je me sens tellement seul et abandonné. Je connais la solitude. Elle est ma compagne depuis de nombreuses années. Mais Gulf m'a donné ce sentiment d'être important pour quelqu'un, d'avoir une personne chère à mes côtés. Ce n'était qu'une illusion... Une goutte salée quitte ma paupière et trace un sillon humide sur ma joue. J'ai essayé de résister, de ne pas céder à l'angoisse et la panique, mais sans lui, je m'enfonce dans un trou sans fond.
Des détonations retentissent dans le couloir. Je me redresse, alerte. Des bruits de lutte me parviennent depuis le couloir. Ce n'est pas normal, il se passe quelque chose. Je me lève et m'approche de la paroi vitrée, inquiet, le cœur battant. Soudain la porte s'ouvre violemment, Gulf s'engouffre dans la pièce, le visage sombre, le regard dur et déterminé.
— Gulf ! Mais qu'est-ce qu...
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'il se jette sur la porte de ma cellule, déverrouille la serrure et rentre dans l'espace de confinement.
— NON ! hurlé-je devant son geste insensé.
Je bondis à l'autre bout de la pièce, il ne doit pas m'approcher. Mon cerveau turbine à cent à l'heure devant ce qui se passe et que je n'arrive pas à comprendre. Il est inconscient, je suis contaminé, il s'expose inutilement, je ne porte même pas de masque. Je lève les deux mains pour l'arrêter, il ne doit pas me toucher.
— Arrête, Gulf !
Il ne m'écoute pas et avance vers moi, sans aucune hésitation.
— Je t'en supplie, recule...
Mon corps se met à trembler, ma voix n'est plus qu'un murmure. Je ne veux pas qu'il me touche, je ne veux pas qu'il lui arrive quoi que ce soit. Je me colle contre le mur, tentant désespérément de m'éloigner de lui, mais il franchit le dernier mètre qui nous sépare et m'enlace de toutes ses forces. Je ne peux plus parler, je ne peux plus respirer. Je suis sidéré par son geste.
A-t-il perdu la raison ?
Non ! je dois résister, je dois l'empêcher de commettre l'irréparable. Alors, avec l'énergie du désespoir, je le repousse, je me débats. Mais il résiste. Je pensais être plus fort que lui et pourtant il me maintient sans aucune difficulté contre lui.
— Par pitié, éloigne-toi... je le supplie dans un sanglot.
Mon poing se referme sur sa chemise que je serre comme un damné.
— Tout va bien, Mew.
— Non... je gémis piteusement, secouant la tête, désespéré.
Il pose sa main sur mon visage et m'oblige à le regarder. Ses doigts caressent ma peau nue. C'est un ravissement, un bonheur indescriptible de sentir sa peau contre la mienne. Mais c'est un cadeau empoisonné.
— Arrête...
Ma voix se brise, les larmes inondent mes joues et coulent sur ses doigts qui glissent avec délicatesse sur mes lèvres. Je n'arrive pas à croire qu'il fait ça, alors qu'il connaît les risques. C'est insensé, c'est tout simplement du suicide.
— Fais-moi confiance, tout va bien, susurre-t-il en resserrant son étreinte.
Sa main quitte mon visage pour enlever son masque. Je suis tétanisé, les yeux fixés sur sa bouche parfaite qui s'approche de moi. Je ne suis plus capable de réfléchir, je n'ai plus de volonté, plus de force. Je ne suis plus qu'une petite chose fragile et haletante dans ses bras. Mon corps tremble de façon incontrôlable, mes mains agrippent désespérément ses épaules.
Ses doigts glissent sur mon cou et agrippent ma nuque, m'empêchant de faire le moindre mouvement. Comme au ralenti, il réduit l'espace entre nous. Ses paupières se ferment. Mon cœur semble éclater dans ma poitrine quand il pose ses lèvres sur les miennes.
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