Infiltration


Deux jours auparavant.

Puifai m'observe tourner en rond comme un lion en cage. Elle souffle, agacée devant mon impatience.

— Je me doutais bien que quelque chose de pas net se passait entre vous.

— Je vais y retourner...

Elle se lève précipitamment quand elle m'entend dire tout haut ce que je me répète en boucle depuis que j'ai laissé Mew dans cette prison.

— Sûrement pas ! Tu es dingue ! On doit suivre le plan. C'est notre dernière chance ! J'ai réussi à modifier le manifeste de sortie pour que tu ne sois pas inquiété et à faire porter les soupçons sur Run. Mais si tu y retournes, tu vas tout foutre en l'air.

— Je ne peux pas le laisser, s'ils le transfèrent à l'hôpital, il sera à nouveau contaminé et je ne pourrais pas l'aider cette fois.

Elle me foudroie du regard, mais ma décision est prise. Je ne laisserai pas Mew crever comme un chien. Pas après ce que nous avons vécu, pas après lui avoir promis de revenir.

— J'ai un plan. Je vais délivrer Run en même temps, je sais où ils l'ont enfermé. Tous les soupçons se porteront sur lui. Notre couverture sera sauvegardée et nous sauverons deux innocents.

— Innocents ! Laisse-moi rire, Run est tout sauf innocent. Il ne s'est pas gêné pour revendre des informations top secrètes aux concurrents ! Il peut moisir dans sa crasse ! Et que feras-tu si tu es démasqué ? C'est bien trop de risques pour rien !

Je serre les poings et crispe les mâchoires.

— Ce n'est pas rien ! Mew n'est pas rien à mes yeux !

Elle me dévisage, stupéfaite.

— Tu as des sentiments pour lui... murmure-t-elle, avant de se retourner dans un mouvement de colère et de déambuler nerveusement dans la pièce. Tu l'aimes ! Mais, c'est pas vrai, Gulf ! On ne doit pas mélanger les sentiments et le travail. Rien n'est plus important que notre objectif ! Je ne te laisserai pas tout gâcher pour une amourette à la con !

Elle me crie dessus, hors d'elle. Mais la rage et une sensation d'impuissance me poussent à lui répondre avec autant d'énergie.

— Oui ! Je l'aime ! Je ne l'abandonnerai pas, c'est au-dessus de mes forces. Il est la seule chose qui m'apporte un peu de sérénité et de bonheur dans ma vie. Je vais finir cette mission ! Je donnerai ma vie s'il le faut pour arrêter ses connards, pour venger mon père et l'enfer qu'a vécu ma mère ! Mais, je ne le laisserai pas mourir.

Elle s'est immobilisée, légèrement essoufflée après son coup de sang. Elle me fixe, les sourcils froncés. Je ne sais pas ce qui passe dans sa tête et je m'attends au pire, bien décidé à ne pas céder.

— Ok.

J'ai du mal entendre. Je m'attendais à tout sauf à ce qu'elle capitule aussi facilement.

— Oui, tu as bien entendu, je suis d'accord. Ça ne va pas être simple et tu vas devoir y aller seul. Je ne dois pas compromettre ma couverture. L'arrestation de Run a ralenti leur volonté de transférer les données, mais avec sa disparition et celle de Mew, ils vont s'y mettre immédiatement.

Elle recommence à marcher, les yeux dans le vague. Je pourrais presque voir les rouages de son cerveau se mettre en branle pour échafauder un nouveau plan.

— Il leur faudra au moins vingt-quatre heures pour préparer le transfert sécurisé des données. Demain, nous devons absolument agir avant qu'il ne commence. Sinon nous perdrons trop de preuves. ça va être très serré.

— Merci...

C'est la seule chose que j'arrive à lui dire. J'espère qu'elle peut lire dans mon regard, toute la gratitude que je ressens pour elle à cet instant. Un léger sourire me répond.

— Ne perdons pas de temps en sensiblerie, on a ton chéri à sauver...

****

Je m'assois, tremblant, face aux écrans, où les images des rues de Bangkok défilent à la vitesse des foulées de Gulf. J'entends sa respiration rythmée, mais je n'ose pas dire un mot, de peur de le déconcentrer.

— Tu peux me parler, tu sais.

Comment fait-il pour lire en moi aussi facilement, alors qu'il ne me voit même pas ?

— Pourquoi veux-tu que je te parle ? Grouilles-toi, je t'attends au point de rendez-vous.

La voix de Puifai me fait sursauter. Je ne m'attendais pas à partager la discussion avec elle.

— Je parle à Mew...

— Oh ! Mew est de la partie. Bonsoir Mew.

— Bonsoir...

Mal à l'aise et trop angoissé pour engager une conversation, je marmonne un unique mot.

Je fixe mon regard sur les images mouvantes qui me relient à Gulf. Il avance vite, je reconnais les ruelles que nous avons parcourues ensemble la veille.

— J'ai neutralisé les caméras. Sept gardes armés dans l'immeuble et quatre dehors.

La voix de Puifai rompt le silence. Onze gardes... Onze... La peur me serre la gorge. Je frotte nerveusement mes mains moites sur mon pantalon, le regard ne quittant pas une seconde l'écran. Je le vois ralentir et s'accroupir à l'angle d'une rue.

— Point d'entrée en vue.

Je reconnais à peine la voix de Gulf. Elle semble blanche, sans timbre. Je crispe les poings. Mon rythme cardiaque s'accélère. Je découvre la face sud de l'immeuble de KlaxoSmithGlare Vaccines. Il n'y a pas d'entrées sur cette façade, seules des vitres donnent sur un parterre fleuri.

— Dans dix secondes...

Je ne comprends le sens de la phrase de la jeune femme que quand je vois un vigile passer dans le champ de vision de la caméra. Celui-ci ralentit et se tourne vers l'endroit où se trouve Gulf, qui se recule précipitamment. Je retiens mon souffle sans même en avoir conscience.

Gulf tente un coup d'œil, mais le garde n'a pas bougé, observant la ruelle où se trouve Gulf.

— Merde... souffle-t-il. Qu'est-ce qu'il fout...?

Après de longues secondes interminables, le garde reprend son chemin et tourne enfin à l'angle du bâtiment. Gulf s'élance, sans hésitation, vers une des fenêtres qui est entrouverte.

Il se glisse avec aisance dans l'ouverture et referme, sans un bruit, derrière lui.

— Je suis à l'intérieur.

— C'est parti...

Je suis sidéré d'entendre le ton presque joueur de sa partenaire. Elle semble impatiente, comme si elle commençait un jeu particulièrement amusant. Gulf ouvre la porte et vérifie l'absence de gardes, avant de s'engager dans le couloir. Il progresse vite et en toute discrétion. Il doit se rendre au troisième étage. Je suis certain que les ascenseurs et les escaliers sont bien gardés. Quand je le vois se diriger vers la cage d'escalier, je m'écrie :

— Attends !

Il s'immobilise immédiatement.

— Quoi ?

— Il y a un autre moyen de monter dans les étages.

— Comment ça ?

— Il y a un monte-charge qui a été rénové il y a quelques années, dans l'optique de faire transiter les fioles à étudier. C'est étroit, mais je suis sûr que tu peux y entrer.

— Il n'est pas sur les plans.

— Non, parce que l'idée a été abandonnée. Les fioles de sang contaminé étaient trop dangereuses pour être transportées de la sorte. Mais le monte-charge existe toujours.

— Où se trouve-t-il ?

— Dans notre salle de travail.

— Puifai ? Tu as entendu ?

— Oui, mais tu seras à l'aveugle jusqu'à là, je ne sais pas quelles sont les rondes dans cette partie de l'étage.

— Ok... je vais le tenter.

Il se retourne et part dans la direction opposée. Je prie silencieusement pour qu'il ne rencontre aucun vigile. Mais ma prière n'a, de toute évidence, pas été assez efficace. Il tourne à droite et tombe nez à nez avec un garde. Il réagit en un quart de seconde. Son poing bouge aussi vite qu'un éclair. Le garde se retrouve avec le nez en sang, complètement étourdi. Gulf lui arrache son arme et enroule la lanière autour de son cou. Je presse mon poing devant ma bouche pour ne pas crier, pendant que je l'observe resserrer l'étau autour de la gorge de l'homme ensanglanté qui finit par s'écrouler, évanoui. Enfin... je l'espère. Tout s'est passé sans un bruit et en quelques secondes. Gulf ouvre une porte et traîne l'homme inanimé dans la pièce.

— Un garde HS.

— Bien reçu, nous avons moins de dix minutes avant que l'alerte soit donnée. Grouille...

Gulf se faufile à nouveau dans les couloirs et arrive sain et sauf dans ma salle d'analyse. Je ne peux retenir un soupir de soulagement et tente de le guider du mieux que je peux.

— Le monte-charge se trouve sur le mur derrière ton poste de travail. Ça ressemble à une armoire, avec une poignée en argent.

Il se dirige dans le fond de la pièce.

— J'y suis, dit-il en ouvrant le battant. Il mène où ?

— Dans la pièce de stockage, attenante au K2.

— Je t'y rejoins, murmure Puifai.

Gulf se faufile, avec difficulté, dans l'espace étroit. Un gémissement de douleur lui échappe. Son équipement doit compresser durement son torse dans cette minuscule boîte.

— Gulf ? murmuré-je, inquiet.

— Ça va, ne t'inquiète pas.

Sa voix étouffée ne me rassure pas le moins du monde. Il referme la porte et tire sur les câbles pour actionner le monte-charge. La montée me semble durer une éternité. Arrivé à destination, je suis soulagé et heureux de découvrir le visage de Puifai derrière le panneau. Elle l'aide à s'extirper de son carcan. Gulf s'étire, engourdi par sa position inconfortable.

— Tu n'aurais pas pris du poids ? demande-t-elle, narquoise.

Un silence révélateur lui répond, j'imagine sans mal l'air blasé que doit avoir Gulf à cet instant. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres, qui disparaît bien vite quand elle recommence à parler.

— J'ai neutralisé deux gardes. Il ne nous reste plus beaucoup de temps. Quatre vigiles patrouillent devant le laboratoire. J'en prends trois, je te laisse le dernier ?

Comment réussit-elle à plaisanter dans un moment pareil ?

— Même pas en rêve, répond-il.

Sans même prendre le temps de vérifier ce qu'il se passe à l'extérieur de la pièce, ils se ruent dans le couloir. Les quatre gardes sont devant le laboratoire et se tournent, d'un même mouvement, vers eux, armes en mains. L'effet de surprise ne leur laisse que le temps de lancer une sommation, avant d'être violemment attaqué par les deux soldats surentraînés. Je voudrais fermer les yeux pour échapper à cette vision angoissante, mais mon regard reste happé par les mouvements rapides et assurés qui se déroulent sur l'écran.

Gulf tente d'esquiver le premier garde, qui lui assène un méchant coup de poing au visage. Gulf bronche à peine et le contourne, dans un geste, pour le frapper d'un coup violent sur le côté de la tête, faisant perdre l'équilibre à l'ennemi. Il ne perd pas une seconde. Il attrape, à pleines mains, le canon du fusil, pointée sur lui, pour dévier sa trajectoire et d'un demi-tour rapide, assomme le deuxième garde d'un coup du coude sur la tempe. Il se retourne, glissant sur le sol en dégainant son arme et tire sur le premier garde, qui avait retrouvé son équilibre. Celui-ci s'effondre dans un bruit sourd à côté des trois autres. Je reste là, les yeux écarquillés, le sang battant furieusement dans mes veines, à essayer de comprendre ce qu'il vient de se dérouler devant mes yeux. Tout s'est passé si vite, quasiment sans un bruit. Choqué par cette scène, je ne réalise pas tout de suite que Puifai a déjà ouvert la porte du laboratoire et se dirige, Gulf à sa suite, vers l'ordinateur central.

— Tu as perdu la main, ou quoi ? lance-t-elle en désignant le visage de Gulf du menton.

Il porte sa main à sa blessure et j'ai juste le temps de découvrir qu'il saigne quand son bras retombe le long de son corps, le bout des doigts ensanglantés.

— Juste une égratignure... précise-t-il à mon intention, plus que pour répondre à sa coéquipière.

Elle lui lance un boîtier noir. Il l'attrape prestement avant de bifurquer et d'ouvrir le boîtier d'un des serveurs alignés le long du mur. Il isole des câbles et clipse dessus la boîte noire.

— Port dérivatif actif, confirme-t-il à sa partenaire, avant de revenir vers elle.

— Le transfert n'a pas commencé, heureusement, lance Puifai en pianotant avec dextérité sur le clavier. Merde... Ils ont rajouté des pare-feu.

Gulf s'approche d'elle, pendant qu'elle appuie avec frénésie sur les touches.

— Ça y est ! Je suis entrée dans le système. J'active mon cheval de Troie.

Elle se mord la lèvre, ses doigts semblant avoir leur vie propre.

— J'installe le logiciel de transfert... C'est bon ! lance-t-elle en sautillant de joie.

Elle se redresse et fixe Gulf de ses yeux brillants.

— Il faut qu'on fasse diversion pendant cinq minutes, pour qu'on ait le temps de tout récupérer.

Je ne vois pas le visage de Gulf, mais je sais qu'il obtempère de la tête. Cinq minutes... Une éternité... Soudain une alarme retentit dans tout l'immeuble.

— On a été repéré, confirme Gulf en dégainant son arme et en déverrouillant la sécurité.

Mon cœur se ratatine dans ma poitrine, alors que Puifai affiche un large sourire satisfait.

— On va enfin commencer à s'amuser...

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