Effleurement
Qu'est-ce qu'il fait ici ? Interloqué face à son regard joyeux, un sentiment de contrariété me noue l'estomac. Je suis maudit, j'ai passé l'après-midi à l'ignorer et il se trouve là, en face de moi, comme si de rien n'était.
— Tu me suis, ou quoi ? grogné-je.
Il s'esclaffe.
— Pas du tout, je viens d'emménager.
— Ici ?
Je suis abasourdi. De tous les immeubles appartenant à KSG Vaccines, il faut que ce soit le mien dans lequel il emménage. Et pire, il se trouve sur le même palier.
— Tu ne m'avais pas dit que, toi aussi, tu habitais dans un logement de fonction...
Son ton est doux, il ne me reproche rien, il constate juste que j'ai omis un détail. Ce que j'avais fait sciemment. Je ne sais pas quoi répondre. Je baisse les yeux, penaud, en haussant les épaules. Pourquoi je réagis ainsi avec lui ? Nous n'allons pas arrêter de nous croiser, au travail et même ici. Je ne peux pas l'éviter éternellement. Ce serait puéril de ma part. J'inspire un grand coup, je vais devoir m'habituer à sa présence. Il suffit juste que je garde mes distances.
— Viens, je t'offre un verre, me propose-t-il en faisant un pas vers moi.
Je recule d'instinct, je suis noyé de sueur. Réalise-t-il le danger de s'approcher de moi à cet instant ? Sans parler de l'infraction pénale que représente son invitation.
— C'est le couvre-feu, nous ne devrions pas...
— On habite le même palier, nous ne risquons pas de nous faire contrôler. C'est pour fêter mon emménagement et mon premier jour de boulot. Je ne connais personne ici, dit-il d'une petite voix.
Ses yeux innocents, braqués sur les miens, me supplient d'accepter.
— Ok... soufflé-je
Quoi ?! qu'est-ce que je viens de dire ?!
— Je prends une douche et je te rejoins, marmonné-je.
Les mots semblent sortir tout seuls de ma bouche. Je ne suis qu'un idiot... Pourquoi je n'arrive pas à me contrôler avec lui ? Il saute quasiment de joie devant moi.
— C'est au numéro treize, je t'attends.
Il me lance un immense sourire qui étire son masque et fait plisser ses yeux, puis se détourne pour se diriger vers son appartement. Je reste figé en le regardant s'éloigner. Je ne comprends pas ce qui se passe depuis ce matin. Comme un zombi, j'entre chez moi. Je me déshabille dans un état second. Je lance mes vêtements, souillés de ma sueur, dans le lave-linge et programme le lavage à soixante degrés pour éliminer toutes traces éventuelles du virus.
L'eau froide, qui coule sur mon corps, me sort de mon hébétude. Je ne me reconnais pas. Je plaque les mains sur la paroi, la tête baissée et laisse l'eau détendre les muscles tendus de mes épaules. Je dois être honnête avec moi-même, Gulf est séduisant. C'est tout à fait mon type d'homme. Cela fait tellement longtemps que je n'ai pas ressenti d'attirance pour quelqu'un. Mais je ne dois pas me laisser distraire. C'est bien trop compliqué, bien trop dangereux de se laisser aller à ce genre de sentiment et ça ne me mènera nulle part. Je reste immobile un long moment, essayant de reprendre mes esprits.
Je finis lentement de m'habiller. Je recule le plus possible le moment de le rejoindre, mais je ne peux pas faire semblant plus longtemps. Le cœur battant, les mains moites, le masque vissé sur le visage, je m'approche silencieusement de son appartement. Je lève la main pour frapper, quand je réalise que la porte est entrouverte. Du bout du pied, je pousse le battant, qui coulisse en grinçant. Il est debout, face au frigo ouvert. Il semble chercher quelque chose.
Je l'observe, médusé. Il est grand et élancé. Tout à l'heure, son corps svelte était camouflé par sa blouse. À présent, son jean slim et son t-shirt près du corps ne cachent rien de ses courbes masculines. Mon regard glisse sur sa silhouette. Ses bras sont fins, ses muscles déliés, ses épaules larges et sa taille fine. Il est superbe dans la lumière éclatante du réfrigérateur. Je ne peux pas m'empêcher de jeter un coup d'œil sur ses fesses. Elles sont rondes et fermes. Je déglutis péniblement à cette vision.
Il se retourne, me faisant sursauter violemment. Confus, je me sens rougir de l'avoir reluqué de cette manière. J'espère qu'il ne s'en est pas rendu compte...
— Te voilà ! Entre, je t'en prie, m'invite-t-il gaiement.
Intimidé, je pénètre chez lui, en retirant mes baskets. C'est propre et bien rangé. Je dirais même que c'est un peu vide, impersonnel. Il semble remarquer mon étonnement face à son intérieur minimaliste.
— Je n'ai pas encore amené toutes mes affaires de chez mes parents. Je ne me sens pas encore tout à fait chez moi, mais ça va venir, explique-t-il en me faisant un clin d'œil.
Mon cœur rate un battement. Je n'arrive pas à définir si c'est dans son caractère d'être taquin ou si c'est plus que ça. Je le connais à peine, après tout. Il m'invite à m'asseoir à même le sol, à côté de sa table basse, seule table présente dans sa salle à manger.
— Tu veux une bière ? Elles sortent juste du frigo.
J'acquiesce d'un hochement de tête. Vu la chaleur, une boisson fraîche est la bienvenue.
Il se penche pour déposer la canette sur la table. Il me frôle à nouveau et son odeur me submerge. Machinalement, mon corps bondit pour m'éloigner. Mais il ne semble pas s'en offusquer.
— Les lingettes désinfectantes sont dans la boîte rouge à côté de toi, m'informe-t-il.
Je m'empare de ladite boîte, sort une lingette et commence à nettoyer ma canette avant de pouvoir l'ouvrir. Il m'observe pensivement et semble se souvenir de quelque chose. Il s'approche rapidement de la fenêtre pour l'ouvrir. Je sais que son geste n'est pas dans le but de nous rafraîchir, mais bien pour renouveler l'air et nous permettre de retirer nos masques. Je le remercie à voix basse pour ce geste attentionné, avant de me libérer de ma protection faciale. Il s'installe face à moi et d'un mouvement vif, enlève son masque et le dépose sur la table. À nouveau, sa beauté me saute au visage. Ses traits gracieux, ses lèvres pleines et brillantes lui donnent un air angélique. Il lève ses yeux en amande vers moi. Je suis subjugué.
— C'était tellement plus simple avant... dit-il doucement, un éclair de nostalgie assombrissant ses prunelles.
Je ne sais pas exactement à quoi il fait allusion et je préfère ne pas le savoir, mais c'est la première fois que je le vois afficher une expression différente de son éternelle gaieté.
— Je peux te poser une question personnelle ? lui demandé-je subitement.
Il me regarde avec étonnement, puis lentement, un sourire coquin se dessine sur son visage.
— Ok, si je peux t'en poser une aussi.
Ma bouche s'assèche, m'obligeant à boire une gorgée de bière pour cacher mon trouble. Je me racle la gorge avant de me lancer.
— Comment fais-tu pour être... enfin... Pourquoi es-tu toujours aussi... joyeux ?
Il reste silencieux quelques secondes, surpris par ma question, que j'ai eu bien du mal à exprimer, avant d'éclater de rire. Cela fait deux fois dans la même journée que j'entends le rire de quelqu'un, alors que ce son magnifique s'était tu depuis longtemps. Et les deux fois, c'était grâce à Gulf.
— Je ne savais pas qu'être de bonne humeur pouvait poser problème, dit-il en reprenant difficilement son souffle.
— Ce n'est pas un problème, c'est juste... rarissime de nos jours.
— Je n'ai pas toujours été comme ça, tu sais. Il y a encore quelques années, j'étais plutôt introverti, j'avais beaucoup de mal à aller vers les autres. J'étais carrément timide, s'exclame-t-il en riant. Et le Covid a débarqué, lui et toutes ses conséquences. Mes parents ont perdu leur travail, certains de mes proches sont morts... Je me suis retrouvé face à un choix : soit je sombrais dans la peur et la mélancolie, soit je luttais contre mon tempérament et apprenais à être heureux malgré tout. J'ai choisi la deuxième possibilité.
Cette confession me touche profondément et me comprime la poitrine. Il a choisi le bonheur, alors que moi, j'ai préféré la solitude et la méfiance. Nos regards se soudent, je plonge dans ses pupilles étincelantes. Un dialogue silencieux s'installe entre nous. Comprend-il que ses paroles font écho en moi ? Son expression grave se transforme en une moue espiègle.
— À mon tour... souffle-t-il dans un immense sourire.
Mon rythme cardiaque s'accélère. Je ne sais pas ce qu'il va me demander, mais je sais déjà que ça ne va pas me plaire. J'attrape ma bière pour la porter à mes lèvres. Tout est bon pour se donner une contenance.
— Tu es gay, n'est-ce pas ?
Sa question me fige instantanément, la canette glisse entre mes doigts crispés et heurte violemment la table avant d'éclabousser, dans une explosion de mousse, tout ce qui se trouve autour et surtout Gulf. Il se lève en sursaut, les vêtements noyés.
— Waouh, tu ne m'as pas loupé ! s'exclame-t-il, hilare, en secouant son t-shirt qui goutte sur le sol.
Je suis tétanisé, mais soudain, je réalise la gravité de la situation. Je bondis littéralement sur lui.
— Déshabille-toi ! lui ordonné-je en agrippant l'ourlet du tissu pour lui enlever de force.
Il me regarde ébahi.
— Quoi ? Mais pourquoi... ?
Je panique complètement. Je suis si proche de lui, mes doigts effleurent sa peau, mais peu importe, je dois agir rapidement.
— J'ai bu dans la canette ! hurlé-je. Enlève tes vêtements, vite !
Je m'attaque au bouton de son jean et le fais glisser le long de ses jambes le plus rapidement possible. J'attrape les vêtements humides, me rue vers la machine à laver et les lance brusquement à l'intérieur, refermant d'un coup sec le hublot. Je reste immobile, le souffle court, fixant les vêtements imbibés de bière et de ma salive. La terreur et l'adrénaline courent dans mes veines, jusqu'à l'extrémité de mes doigts qui fourmillent désagréablement.
— Mew ? murmure Gulf d'une voix douce et apaisante. Ce n'est rien, tout va bien.
Je sens qu'il s'avance vers moi, mais je ne peux toujours pas bouger, mes jambes sont parcourues de tremblements qui empêchent tout mouvement.
— Les risques sont infimes... Tu n'as aucun symptôme, tu as à peine touché à ta bière, continue-t-il en s'approchant encore.
Je ferme les paupières, tentant de calmer les spasmes nerveux de mon corps. Il franchit le dernier espace entre nous. Il est juste derrière moi, je sens son souffle sur ma nuque. De nouveaux frissons me parcourent, mais ce n'est plus de la peur cette fois. Avec une infinie douceur, il pose sa main entre mes omoplates. Malgré le tissu qui sépare sa peau de la mienne, la chaleur de sa paume me transperce. Je retiens un gémissement en mordant ma lèvre.
Cette sensation... Je réalise seulement maintenant à quel point elle m'a manqué.
Je m'empêche de me laisser aller contre sa main pour intensifier le contact. Je sens que je vais perdre pied, il faut que j'arrête ça et tout de suite. Je me détourne lentement, sans le regarder, pour récupérer mon masque, que je replace sur mon visage et me dirige vers la porte.
— Prends rapidement une douche avec du savon désinfectant. Demain avant de commencer ta journée, j'effectuerai un test salivaire, dis-je sans me retourner.
Ma voix est atone, je me sens vide... ou trop plein... Je ne sais plus. La porte se referme en grinçant légèrement. Je sens encore la chaleur de sa main sur moi et je sais qu'elle n'est pas près de disparaître.
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