Douche chaude


Trois jours auparavant

Ma nouvelle mission commence officiellement aujourd'hui. Puifai et moi entrons, accompagnés par trois autres nouveaux, dans le complexe de KlaxoSmithGlare Vaccines. Nous connaissons nos rôles et sommes déjà en repérage du nombre de vigiles et des caméras. Les badges qui pendent à nos cous nous permettent d'entrer et sortir du bâtiment, mais c'est tout. Je dois approcher Mew Suppasit pour lui subtiliser son laissez-passer qui me permettra de pénétrer dans le laboratoire ultra sécurisé : le K2. Nous devons agir vite, nous avons trois jours maximum pour accéder à la base de données et télécharger tout ce que nous pourrons. Si tout se passe bien, il n'y aura pas de blessés et nous trouverons enfin des preuves tangibles.

J'ai déjà ma stratégie en tête pour le séduire et récupérer son badge. Je vais être direct et collant. Je serais partout où il sera. J'ai même loué un appartement sur le même palier que le sien. Je connais par cœur son emploi du temps et ses habitudes. Cela fait des jours que je l'observe et le suis pour être sûr d'avoir cerné le personnage.

Nous sommes accueillis par Run, un collègue laborantin, tout comme nous sommes supposés l'être. Il nous souhaite la bienvenue et nous fait visiter les premiers étages : le vestiaire, le parking, le réfectoire. Je connais déjà l'agencement des locaux, grâce aux plans que j'ai mémorisés, mais je vérifie mentalement que rien n'a été modifié dans l'immeuble. Il nous amène enfin à nos futurs postes de travail. Il me tarde de rencontrer ma cible et de me mettre au travail. Ce genre de tactique de séduction n'est pas dans mes habitudes. D'ordinaire, l'argent ou le chantage ont de bien meilleurs résultats, mais Mew Suppasit semble honnête et droit. Je suis prêt à tout pour atteindre mon but. Je vais l'amadouer pour mieux l'approcher et lui voler son badge sans qu'il ne se doute de quoi que ce soit. À partir de là, je pourrais récupérer les preuves. Je replacerai le badge et disparaîtrai.

Je refoule la pointe de culpabilité qui me susurre à l'oreille que c'est lui qui va porter le chapeau et que je vais bousiller sa vie. Je ne dois avoir aucun scrupule, l'enjeu est trop grand. Nous entrons dans la salle de travail à la suite de Run. Je le repère immédiatement. Les photos de lui ne lui rendent pas justice. Il est vraiment séduisant. Il se dégage de lui un calme et un charisme viril. Je me demande encore comment un homme comme lui a pu rester célibataire aussi longtemps. Il commence à parler. Sa voix est grave et profonde. C'est une voix mélodieuse, pourtant j'y retrouve cette fêlure, cette peine contenue que j'avais remarquées dans ses yeux sombres. Son regard balaie le groupe où je me trouve et s'arrête sur moi. J'ai attiré son attention. Je souris intérieurement.

Le séduire ne me semble plus si difficile.


****


L'eau glacée ruisselle sur mon corps et pourtant ma peau est brûlante. Le brasier dans mes reins ne semble pas vouloir s'apaiser. Je pose les paumes sur le carrelage et baisse la tête pour observer, frustré, mon membre gorgé d'attente et de désir.

— Merde ! soufflé-je.

Le baiser torride, que nous venons d'échanger avec Gulf, m'a laissé pantelant et fébrile. Si je ne me calme pas rapidement, je ne pourrai jamais sortir de cette douche. J'ai l'impression de sentir encore ses mains sur moi. Je réalise qu'il m'a vraiment touché pour la première fois. Cette sensation grisante de pouvoir être caressé sans danger est merveilleuse. Cela faisait tellement longtemps que des mains d'hommes ne s'étaient pas posées sur moi.

Et ce baiser...

J'étais... Nous étions si affamés de goûter l'autre. Après une telle étreinte, je ne peux plus douter des sentiments de Gulf à mon égard. Il me désire, c'est évident. Les images de notre baiser tournent en boucle dans ma tête. Ça m'obsède. Je soupire, la tension dans mon bas-ventre augmente. Si je veux pouvoir redescendre, je vais devoir évacuer ce trop-plein d'excitation. Je me retourne, le dos contre la paroi, augmente la température de l'eau et encercle mon sexe de mes doigts. Ça ne sert à rien de lutter. J'ai rarement été aussi excité, ce n'est pas une douche froide qui diminuera mes ardeurs.

Je commence un long va-et-vient. Un puissant éclair de plaisir me traverse, me faisant gémir. Les yeux clos, je visualise Gulf... Je le vois nu, au milieu du salon, baignant dans la lumière matinale, son corps svelte et humide. humm ! Il est tellement magnifique.

Ma main monte et descend, m'envoyant des décharges d'extase dans les reins. Je vois encore les gouttes qui tombent sur son torse et qui roulent lentement sur son ventre, jusqu'à la limite de sa serviette. J'imagine les recueillir du bout des lèvres. Je pourrais presque sentir la chaleur de sa peau. J'accélère le mouvement, me mordant la lèvre pour m'empêcher de gémir trop fort. Je revis ce baiser bestial, ses lèvres pulpeuses qui me dévoraient littéralement, sa langue chaude et humide s'enroulant autour de la mienne.

La chaleur qui part de mon bas-ventre augmente à chaque mouvement de mes doigts sur ma hampe et se diffuse dans mon corps tout entier. Je sens la pression augmenter. Une boule brûlante grossit entre mes hanches, qui accompagnent le mouvement de ma main. J'aimerais tellement que Gulf soit là, dans cette douche, avec moi. J'aimerais tellement qu'il me touche. Mes gestes deviennent frénétiques. Je veux encore sentir ses mains sur ma peau, sa langue dans ma bouche. Je veux sentir Gulf en moi...

Je veux Gulf... Gulf... Gulf...

L'orgasme explose, fort et puissant. Les spasmes de plaisir s'éternisent, faisant trembler mon corps. Je m'avachis contre le mur, à bout de souffle. Je réalise que ma rencontre avec lui a réveillé mes besoins charnels. Je les avais enterrés profondément, pour ne pas souffrir de l'interdiction de contact. J'ai la sensation qu'ils se sont réveillés encore plus forts et exigeants. Tout est décuplé, amplifié avec Gulf. Rien que son image dans ma tête me fait ressentir des sensations extrêmes. Il va falloir que je me contrôle, que je garde la tête froide. La situation reste dangereuse et complexe. Je ne sais même pas exactement quel danger pèse sur nous et quel est le plan de Gulf pour arriver au bout de sa mission.

Maintenant plus calme et serein, je prends le temps de me laver, et de m'habiller, avant de redescendre. J'entre en silence, dans la pièce principale, mais je m'immobilise immédiatement à l'entrée de la salle. Gulf et sa mère sont enlacés, se chuchotant des mots de réconfort. Leurs visages reflètent un mélange d'inquiétude et de peine. Je ne veux pas les interrompre. Ils me donnent l'impression de se dire adieu pour toujours. Mon coeur se serre. Je ne sais pas où elle va, ni dans quel but. Je ne sais pas grand-chose, en fait...

Run se tient à l'écart, l'air embarrassé. Pourquoi doit-il l'accompagner ? Je dois obtenir plus d'informations de Gulf. Qu'il le veuille ou non, j'obtiendrai des réponses. Un bruit de moteur vient rompre leurs adieux. Ils se séparent, à regret, mais leurs regards ne se quittent pas. La force de leur lien est bouleversante. Gulf s'empare d'une valise et d'un sac, lance un regard froid à Run, qui courbe les épaules, avant de lui fourrer dans les bras. Il ouvre la porte, mais reste caché derrière le panneau. Sa mère s'avance vers le seuil, accompagnée de Run. Avant de sortir de la maison, elle se tourne une dernière fois vers Gulf.

— Je t'aime mon fils... Sois prudent.

Il hoche la tête, une expression émue sur le visage. Ils rejoignent rapidement la voiture, qui démarre immédiatement. Gulf referme la porte en silence et y pose son front. Je n'ose pas m'approcher. Il semble si vulnérable.

— C'est la première fois en trois ans que je peux la prendre dans mes bras.

Il parle d'une voix basse et chevrotante. La douleur s'entend dans son timbre grave. Je m'approche lentement.

— Je ne sais même pas quand je vais la revoir. Si je la revois un jour...

Ses mots meurent dans un murmure alors que ses épaules s'affaissent. Je pose une main entre ses omoplates. Il souffre, je le vois, je le sens. Je ne sais pas comment l'aider. Alors, je reste à ses côtés, silencieux, essayant de le réconforter de ce simple contact. Il finit par se redresser et se tourner vers moi. Son front plissé, ses yeux humides, sa mâchoire crispée me fendent le cœur. Alors, j'ouvre les bras et l'accueille contre moi. Je le serre fort. Je veux qu'il comprenne que je suis là avec lui. Les questions viendront plus tard. Le plus important, à cet instant, c'est de lui donner tout le réconfort que je peux. Il entoure ma taille de ses bras, niche son nez dans mon cou et agrippe mon t-shirt.

Nous restons l'un contre l'autre pendant longtemps. Inconsciemment, j'ai commencé à le bercer doucement. Nous nous réconfortons l'un l'autre dans une bulle de douceur et de tiédeur. Il finit par se redresser, ses bras toujours autour de ma taille. Il plonge son regard dans le mien. La douleur et l'émoi se reflètent encore dans ses prunelles. Mais j'y lis aussi de la reconnaissance et une autre émotion que je n'arrive pas à défricher.

— Tu dois avoir faim, me demande-t-il doucement.

Je réalise qu'effectivement, je meurs de faim. Je n'ai quasiment rien avalé depuis mon petit déjeuner de la veille. Il me prend la main et m'emmène jusqu'au frigo. Il l'ouvre, nos doigts toujours entrelacés. Il attrape une assiette recouverte de cellophane et me la tend. Je l'attrape de ma main libre, en souriant. Je trouve ça adorable qu'il ne veuille pas me lâcher ne serait-ce qu'une seconde. Il en prend une seconde et referme le frigo du pied. Toujours main dans la main, nous nous asseyons côte à côte à table.

Manger de la main gauche n'est pas une partie de plaisir. Mais pour rien au monde, je ne le lâcherai. Son pouce me caresse lascivement. Je tente de me concentrer sur ma nourriture, plutôt que sur la chaleur qui irradie de nos paumes soudée l'une à l'autre. Je m'émerveille de pouvoir de nouveau tenir la main de quelqu'un sans avoir peur. Et mon bonheur est d'autant plus grand que c'est Gulf à mes côtés. Cela me ramène à ce qui nous a menés ici. Je lui jette de fréquents coups d'œil. J'ai tant d'interrogations. Mais je n'ose pas aborder le sujet. Il finit par poser ses baguettes et se tourne vers moi.

— Vas-y, parle... Je t'écoute.

Je reste sans rien dire, ne sachant pas par quoi commencer...

— Où sont-ils partis ?

— Au quartier général...

J'écarquille les yeux, ébahis. Ils ont un quartier général ? Il sourit devant ma réaction naïve.

— Je ne peux pas te donner trop d'informations... Sache juste que je travaille pour une cellule secrète de niveau international qui a été créée pour surveiller les grands groupes pharmaceutiques.

Il reprend ses baguettes et avale une nouvelle bouchée.

— Ils ont pris énormément de pouvoir ces dernières décennies. Au point d'être au-dessus des États eux-mêmes. L'argent, c'est le pouvoir... continue-t-il en mâchant. Et l'argent coulait à flot pour eux. Enfin jusqu'au passage de leurs plus importants médicaments dans le domaine public. Tu connais la suite...

Il reprend une bouchée et poursuit :

— Je ne suis pas seul sur le coup. C'est une opération coordonnée au niveau planétaire. Donc nous devons agir vite et bien pour ne pas être repérés. Si un des agents est démasqué, ce sont des dizaines d'autres, partout dans le monde qui seront en danger...

Il me débite tout ça comme si c'était la chose la plus naturelle au monde, alors que ses paroles me glacent le sang.

— Puifai doit agir avant ce soir, c'est notre dernière limite...

Il se tourne vers moi, soudain grave.

— Je devais mettre ma mère en sécurité, au cas où cela tournerait mal...

Il me fixe intensément. Je sens confusément que ce qu'il s'apprête à me dire ne va pas me plaire.

— Tu pars, toi aussi... dans une heure, le temps d'organiser ton extraction.

J'ai un mouvement de recul, je lâche sa main.

— Non... soufflé-je, estomaqué. Et toi ?

Il détourne le regard.

— Je vais rester ici, jusqu'à ce que Puifai termine la mission. Je suis son binôme, je vais la guider d'ici.

— Tu mens... murmuré-je.

Je le sens, il me ment pour ne pas m'inquiéter. Il va y retourner. Il ne me regarde pas, il en est incapable.

— Tu mens, n'est-ce pas ?

Je hausse le ton, la peur affole les battements de mon cœur. Il ne me répond pas. Je me lève brutalement, faisant tomber ma chaise.

— Je ne partirai pas ! Pas question ! Je t'empêcherai d'y retourner, c'est trop dangereux !

Il se lève à son tour et pose ses mains sur mes épaules.

— Mew, c'est mon devoir, ma mission ! C'est plus important que tout. Plus que ma vie, plus que... nous...

Mon cœur se brise. Je sais qu'il a raison, je comprends l'enjeu et pourquoi il fait tout ça. Je lui ai même pardonné sa trahison. Car, oui, je lui ai pardonné. Mais je ne l'accepte pas ! J'ai peur pour lui... J'ai peur qu'il disparaisse de ma vie... J'ai peur de le perdre, parce que... Parce que...

Ça me saute au visage comme une évidence. C'est trop tard, il s'est inséré dans mes veines comme une drogue. Il est devenu indispensable à ma vie. Je ne pourrais plus revenir en arrière. Je ne veux plus d'une vie vide et solitaire. Je le veux, lui... parce que...

Je l'aime...

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