Distance


Trois jours auparavant. 

Mew referme la porte doucement derrière lui. Je reste seul, en boxer, hagard au milieu du salon. Tout se passait bien, nous avions commencé à nous confier l'un à l'autre. J'ai tenté de pousser un peu plus loin mon petit jeu en lui demandant s'il était gay. Mais, j'ai la désagréable sensation de m'être piégé moi-même. Sa bière a atterri sur la table basse et je me suis retrouvé noyé. Il a complètement paniqué et m'a déshabillé de force pour ne pas risquer que je sois contaminé par sa salive.

Je suis sous le choc. Pas du danger que je viens de frôler, le risque de contamination est infime. Ce qui me fige sur place, ce sont les sensations qui m'ont parcourue le corps pendant que ses mains s'agitaient sur moi. J'ai aimé ça... Je sens encore les frissons d'excitation qui courent sur ma peau, là où ses mains aux larges paumes et aux doigts agiles m'ont effleuré. Qu'est-ce qui me prend ? Je me dirige vers la douche, l'esprit en vrac.

Je suis paumé...

Une longue douche est nécessaire pour me remettre les idées en place. Avant que j'arrive à la salle de bain, mon téléphone vibre. Je le récupère sur la table et réponds immédiatement. Je sais qui m'appelle.

— Tu l'as ferré ?

Puifai n'y va pas par quatre chemins.

— C'est en bonne voie.

Je refoule la culpabilité grandissante qui me serre la gorge.

— C'est pour demain soir.

Merde ! Déjà !

— J'ai besoin de plus de temps...

— On n'a pas plus de temps, tu le sais. Soit tu lui subtilises par la douceur, soit par la force, mais on a besoin de son badge demain soir !

Je souffle.

— Ok pour demain soir, je réponds, dépité.

Elle raccroche sans plus de cérémonie. Je laisse retomber mon bras le long de mon corps et me masse les tempes d'une main. Je vais devoir lui faire carrément du rentre dedans si je veux l'approcher suffisamment et lui prendre son badge sans qu'il ne s'en aperçoive. J'ai l'estomac complètement retourné, mais je décide d'ignorer les signes que m'envoie mon corps. J'ai un objectif, rien n'a d'importance à part ça. Je me dirige vers la douche, résolu.


****


Gulf est contre moi, ses lèvres sur les miennes. Pourtant, ce qu'il vient de m'avouer me bouleverse encore. J'ai besoin d'y voir plus clair. Je romps notre baiser et pose mon front contre le sien.

— On va y aller doucement, d'accord ? murmuré-je, en plongeant dans son regard.

J'y lis une pointe de déception. J'ai envie de lui, moi aussi, tellement fort. Mais, il n'a eu aucune expérience avec un homme, je ne veux pas le brusquer ou l'obliger, malgré moi, à faire quelque chose qu'il pourrait regretter. Il ne répond pas tout de suite, il ferme les paupières et frotte son front contre mon visage. Il se détache de moi et ouvre les yeux.

— Ok. Mais... ne pas avoir d'expérience, ne veut pas dire que j'ai peur, affirme-t-il, sûr de lui.

Je le regarde intensément, j'ai une envie folle d'envoyer balader ma conscience et de reprendre là où nous en étions. Je fais un pas en arrière, s'il me touche, je ne pourrais pas me contrôler.

— Je ne veux pas que tu regrettes après coup. Tu dois être sûr de toi, avant que nous... dis-je, en prenant mes distances.

Il ouvre la bouche pour protester, se fige un instant, semblant réfléchir puis acquiesce lentement de la tête. Sa réaction me conforte dans ma décision. Mon coeur lui est déjà acquis, je suis prêt à lui offrir mon corps. Est-ce pareil de son côté ? Il doit en être certain. Je ne supporterai pas qu'il me repousse.

— Nous ferions mieux de nous concentrer sur ce qui va se passer ce soir, tu dois sûrement avoir beaucoup de choses à préparer ? lui demandé-je, en essayant de reprendre contenance.

Parler de sa mission refroidit immédiatement mes ardeurs, il est préférable qu'il se prépare pour mener au mieux l'attaque de ce soir. Je récupère mon t-shirt, l'enfile et lui tend le sien. Je le questionne du regard, attendant sa confirmation. Il baisse les yeux en s'habillant, mal à l'aise

— Eh bien... répond-il, Puifai doit me contacter dès que tout le monde a quitté l'immeuble, pour que je la rejoigne. Jusque-là, il faut juste attendre...

Juste attendre... Nous nous observons comme deux chiens de faïence. Je déglutis difficilement. Comment vais-je passer une journée entière, seul avec lui, sans que cela ne dérape ? Sans parler de la peur qui me tenaille les entrailles et qui me donne juste l'envie de me blottir contre lui, pour profiter au maximum de sa présence avant son départ. Je dois trouver une diversion à la tension qui s'intensifie entre nous. Mon cerveau semble s'être déconnecté. Je n'arrive qu'à me concentrer sur Gulf, sur ses yeux pétillants braqués sur moi, sur ses lèvres rougies par nos baisers, sur sa poitrine qui bouge au rythme de sa respiration... Merde !

— J'ai quelque chose à te montrer, propose-t-il en tendant la main, m'invitant à le suivre.

Je suis reconnaissant de cette proposition qui me sort de mon tourment. Je prends la main qu'il me tend et le suis. Il m'entraine au bout du couloir, devant une petite porte qui ressemble à un placard sous l'escalier. Il appuie sur un bouton à peine visible et un panneau digital apparaît. Il tape un code, ce qui ouvre la porte dans un suintement. Un couloir étroit mène au sous-sol de la maison. Nous nous engageons dans l'ouverture et descendons les marches. Au fur et à mesure de notre avancée des lumières s'allument et éclairent nos pas.

Une nouvelle porte se tient devant nous. Elle semble épaisse et blindée. Je ne sais pas ce qui se cache derrière, mais c'est important de toute évidence. Gulf pose son doigt sur le mur, un faisceau lumineux balaie son index et la porte massive s'entrouvre. Il pousse la porte en me regardant, un large sourire sur le visage. Je détourne les yeux de lui pour découvrir l'intérieur de la pièce et ce que j'y vois me stupéfie sur place. Une immense salle s'ouvre devant moi, plusieurs écrans géants se dressent au centre de la pièce. Des images de l'extérieur de la maison y sont visibles. Je reconnais également les rues de la ville et les locaux de KlaxoSmithGlare Vaccines. Je le regarde sidéré. Il a l'air fier de son petit effet. Il m'invite à entrer. J'ai l'impression d'avoir été catapulté dans un film d'action, les murs sont recouverts d'armes en tout genre et une partie du sol est recouvert de tatamis.

— Quand je te disais que cette maison était sécurisée, ce n'était pas pour rire, lance-t-il, amusé.

— Mais comment... bafouillé-je, abasourdi.

— Nous préparons cette mission depuis longtemps. Tout a été calculé avec soin. L'emplacement de notre zone de repli, le déroulement de la mission, les personnes que nous allions approcher...

Mon coeur se serre. Je lui ai pardonné, mais évoquer la raison de notre rencontre et de ses tentatives de rapprochement me fait encore souffrir. Il s'en aperçoit et détourne une nouvelle fois mon attention en s'approchant des écrans.

— C'est d'ici que tu suivras l'avancée de notre infiltration de ce soir.

— Je pourrais tout voir ?

Il se tourne vers moi, me prends les mains, qu'il sert tendrement entre les siennes.

— Oui, tu seras avec moi tout le temps. Tu connais bien l'immeuble, tu pourras me guider. Ton aide sera précieuse.

Le soulagement doit se lire sur mon visage, car il dépose un baiser léger sur ma joue. Rien n'est plus horrible que l'attente sans savoir ce qui se passe. Il me donne l'impression d'être acteur, d'avoir ne serait-ce qu'un peu de contrôle sur la situation et je lui en suis reconnaissant.

— Merci...

J'entremêle mes doigts aux siens. Mon regard est à nouveau happé par ses prunelles lumineuses. Mon corps se penche instinctivement vers lui. Je peux voir ses iris lentement se dilater et sa bouche s'entrouvrir. Le temps se suspend. Il n'y a plus que lui et moi. Ses yeux se fixent sur mes lèvres, que j'approche sans même y penser. Je suis si proche que son souffle me caresse le visage. Plus qu'un petit centimètre et je pourrai à nouveau le savourer. Une vibration déchire le silence de la pièce et nous ramène au présent. Gulf soupire d'agacement en sortant son portable de sa poche. Il l'observe, les sourcils froncés.

— C'est Puifai... Elle m'informe que la sécurité a été renforcée depuis hier. Le fait que Run et toi ayez disparu les ont mis sur les dents.

— Ça va rendre ton infiltration plus dangereuse ? M'exclamé-je, le cœur serré.

— Ils sont limités en gardes armés et ils ne veulent pas faire appel à la police. Ils doivent garder une image sans défaut. Et nous avons un avantage. Nous avons un agent infiltré et pas n'importe lequel. C'est la meilleure !

— Puifai ? Elle paraît tellement menue.

Il s'esclaffe.

— Elle est capable de me mettre KO en deux minutes. Pas plus tard qu'hier, elle m'a immobilisée en une minute trente sur ses tatamis.

Je jette un coup d'œil aux tapis sur le sol.

— C'est là où vous vous entraînez ?

— Oui, tous les jours. L'entraînement est indispensable dans notre activité.

Une idée germe dans mon esprit. J'ai besoin de me défouler pour ne pas penser au danger qui attend Gulf. Il a l'air confiant et serein face à ce qui l'attend, mais pas moi. Je suis mort de peur. Je me tourne vers l'espace d'entraînement.

— Apprends-moi ! lancé-je, les yeux rivés sur les tatamis.

— Quoi ?

Il me fixe, surpris.

— À me battre, apprends-moi ! ordonné-je, en le regardant droit dans les yeux.

Il m'observe stupéfait, puis lentement un sourire carnassier étire ses lèvres. Je viens de réveiller le guerrier...

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