Blessure

Deux ans et demi auparavant.

Le coup violent me projette la tête la première sur le tatami. 

— Merde ! éructé-je, en me relevant avec difficulté.

Puifai me regarde, un air narquois sur le visage. Son corps svelte et féminin, ses longs cheveux clairs et ondulés ne présagent pas de sa force physique. Elle paraît douce et tendre, mais se révèle tout le contraire. Je me positionne à nouveau face à elle, dans une position de défense, les bras serrés contre mes flancs, les poings devant le visage. Je reste mobile, pour réagir au moindre de ses mouvements. 

Je m'entraîne avec ardeur depuis des mois et je fais deux têtes de plus qu'elle. Pourtant, pas une seule fois, je n’ai réussie à la vaincre au combat rapproché. Cette fois-ci, c’est moi qui aurais l’avantage, j’en suis sûr. Elle initie un mouvement vers moi, j’esquive et glisse sur sa gauche, pour la prendre à revers. Mais à nouveau, elle est plus rapide. Elle me fait un croche-pied qui me déséquilibre, empoigne mon poignet et d’un mouvement des hanches me fait valser au-dessus d’elle. Le choc de mon corps contre le tapis me coupe le souffle. Je tape trois fois sur le tatami, pour signifier ma défaite. Je laisse tomber. 

— Mauviette ! lance-t-elle en se penchant sur moi. 

Je n’arrive même pas à lui répondre, tant je peine à reprendre une respiration normale. Mais, par fierté, je tente une dernière tactique. Dans un mouvement rotatif, mes jambes entourent les siennes. Je crochète mes pieds autour de ses hanches et donne un coup sec qui l'entraîne inexorablement vers le sol. Je lève le poing en signe de victoire, toujours incapable de parler, alors qu’elle est allongée à mes côtés. 

— C’est de la triche ! Le combat était terminé, me houspille-t-elle en enfonçant ses doigts dans mes côtes.

Elle se lève d’un geste leste, cette fille est une vraie panthère, et revient avec une serviette qu’elle me jette en plein visage. Je n’ai pas bougé d’un millimètre, essoufflé, les bras en croix sur le sol. Tout mon corps est douloureux. 

— Lève-toi, fainéant ! l'entraînement n’est pas terminé !

Je secoue la tête pour refuser. J’ai mon compte pour la journée.

— Hé ! Les gars ! Écoutez ça, lance Mild en augmentant le son de la télévision. 

Le virus Covid 19, venu de Chine a officiellement envahi le monde entier. Les cas de contamination s'élèvent à 200 000 pour 10 000 victimes. Les autorités appellent à la vigilance et vont mettre en place une période de confinement pour endiguer la pandémie. Le laboratoire KlaxoSmithGlare Vaccines vient d'annoncer qu'un vaccin est en cours d'élaboration et sera disponible prochainement. C'est une lueur d'espoir pour la population…

J'arrache la télécommande des mains de Mild pour éteindre ce ramassis de conneries. Il proteste, mais abandonne face au regard glacial que je lui lance. La rage, ma vieille amie, refait surface. Il me tarde d'aller sur le terrain pour enfin trouver les preuves contre les salauds qui ont assassiné mes parents et lâché ce virus dans la nature. Je me tourne vers Puifai, qui m'observe, silencieuse.

— On y retourne, lancé-je en jetant la serviette au sol.

Mes douleurs et ma fatigue n'ont aucune importance. Seule compte ma vengeance. 

****

— Run ?

Il s'efface, l'air penaud, pour nous laisser entrer. Il arbore, comme à son habitude, un masque avec une bouche pulpeuse. Mais cette fois-ci, c'est loin de me faire rire. Je me plante au milieu de la pièce, les bras croisés et toise, tour à tour, Gulf et Run.

— Je veux des explications ! exigé-je, à bout de nerfs.

Run se triture nerveusement les doigts, pendant que Gulf m'observe intensément. Je perds patience devant leur mutisme. 

— Maintenant  ! 

Gulf se tourne vers Run, en m'ignorant complètement. 

— Où est-elle ? demande-t-il d'un ton calme, qui me hérisse encore plus. 

— Au laboratoire, répond Run, en baissant les yeux vers le sol.

Elle ? Le laboratoire ? Je ne comprends rien et ça me rend dingue. Gulf reporte son attention vers moi.

— Va la rejoindre, j'ai besoin de lui parler seul à seul, ordonne-t-il à mon collègue, sans me quitter des yeux. 

Run hoche la tête et se hâte de quitter la pièce. Nous sommes seuls. Nous nous affrontons du regard. Il n'est pas question que je capitule, ma colère est bien trop vive. 

— Tu es blessé… murmure-t-il d'une voix douce, en faisant un pas vers moi.

Je ne comprends pas de quoi il parle. Je fronce les sourcils, sur la défensive. Il désigne ma main des yeux et je réalise que je ressens une douleur diffuse depuis que je l'ai frappé. J'y jette un coup d'œil et découvre une plaie sanguinolente. La colère et l'adrénaline avaient neutralisé la douleur. 

— Laisse-moi te soigner. 

Il s'approche, mais je recule d'autant. 

— J'ai besoin que tu me parles, pas que tu me soignes ! 

Il me sourit tendrement, ce qui me fait l'effet d'un poignard dans le cœur.

— Je peux faire les deux.  

Il me contourne et ouvre une armoire, d'où il sort une trousse à pharmacie. Il m'invite à m'asseoir et s'installe face à moi.

Il enfile des gants et sort des compresses. 

— Je peux le faire moi-même ! protesté-je.

Il tend la main vers moi, dans l'attente de ma coopération. 

— Tu veux des réponses ? demande-t-il en haussant un sourcil. Laisse-moi te soigner et je te répondrai. 

De mauvaise grâce, je pose ma main meurtrie entre ses doigts. 

— Tu ne prends pas plus de précautions ? 

Nous ne portons même pas de masques. 

— Je te l'ai dit, c'est inutile. Tu n'es pas malade, répond-il calmement, en commençant à me soigner. 

— Mais comment ?

Je hausse le ton, les nerfs tendus. Rester dans l'ignorance commence à me faire perdre patience. Il quitte des yeux ma main et plonge son regard dans le mien. Il resserre sa prise sur mes doigts, comme pour m'empêcher de fuir. 

— Les données que j'ai volées au K2, nous ont permis de synthétiser un traitement qui détruit le virus. Je te l'ai administré dans ton café.

— Quoi ? Je suis abasourdi. Quel traitement ? Le vaccin n'est pas encore au point ! 

— Ce n'est pas un vaccin, c'est un traitement curatif. Il détruit le virus, mais ne stimule pas l'immunité. Tu peux être à nouveau contaminé. 

J'ai un mouvement de recul, mais il me maintient fermement et applique un pansement sur la plaie. 

— C'est impossible ! Si un tel traitement existait, il serait déjà sur le marché !

Il soupire et me regarde droit dans les yeux, ses doigts ne me lâchent pas. 

— Ce n'est malheureusement pas dans leur intérêt…

Je me dégage brusquement pour me relever et commencer à marcher nerveusement dans la pièce. 

— Je ne te crois pas ! Je me tourne vers lui, furieux. Pour qui travailles-tu ? Tu n'es qu'un salopard d'espion ! Tu fais ça pour l'argent ! 

Je crie de plus en plus fort, la colère et l'incompréhension m'aveugle. Il me regarde d'un air compatissant et ça me rend fou de rage. 

— Je ne fais pas ça pour l'argent…

MENTEUR ! Tu m'as menti ! Tu m'as manipulé ! 

Je me prends la tête entre les mains. Toute cette colère, cette souffrance sont en train de me submerger.

— Tu m'as approché pour mieux me contrôler, tu m'as séduit pour faire tout ce que tu voulais de moi ! Tu n'es qu'un enfoiré de MENTEUR ! 

Je hurle à m'en arracher les cordes vocales. Il se lève d'un bond et m'enlace avec force. 

— Lâche-moi… 

Je me débats furieusement, mais il resserre son étreinte. 

— Tu es peut-être plus baraqué que moi, mais je suis mieux entraîné. 

LÂCHE-MOI !

NON ! Je t'ai menti, c'est vrai ! J'avais une mission ! Mais ce que je ressens pour toi est vrai, je te le jure ! 

— Tu mens ! 

Ma voix perd en puissance, la souffrance comprime ma gorge. Je résiste contre son étreinte, mais il ne bouge pas d'un centimètre. 

— Laisse-moi ! Tu n'es qu'un menteur ! J'essaye de toutes mes forces de le faire lâcher prise, mais il me bloque contre le mur.

— Tu m'a fait croire que tu étais attiré par moi, je t'ai laissé me toucher… dis-je, avec de plus en plus de difficultés.

Les larmes envahissent mes yeux. Je lutte pour ne pas craquer. 

— Tu t'es servi de moi, de mes faiblesses, de mes sentiments… Tu m'avais promis de ne pas me mentir… Comment as-tu pu… ?

Ma voix se brise et les larmes inondent mon visage. 

— Comment as-tu pu me faire ça… ?

Je bascule la tête contre le mur et ferme les paupières. Je n'arrive plus à contenir les sanglots de détresse qui secouent ma poitrine. Il enfouit son visage dans mon cou et murmure contre ma peau :

— Je t'ai promis que je ne te ferais jamais de mal et que mes sentiments pour toi sont sincères. Et c'est la stricte vérité. Je te le jure.

Je reste silencieux pendant de longues secondes, laissant tous les tourments s'écouler dans les gouttes salées qui s'échappent de mes paupières. Mais la profondeur de ma douleur est abyssale. Il m'a menti, il m'a détruit. 

— Plus jamais, je ne pourrais te faire confiance.

Il se crispe à ses mots et se redresse, relâchant son étreinte. Je le fixe sans ciller. Ses paroles ne sont que du poison. Je ne me laisserai plus avoir par ses serments. Quelqu'un se racle la gorge derrière nous, pour attirer notre attention, mais nous ne nous quittons pas des yeux.

— Excusez-moi… Je vous dérange ? lance une voix féminine. 












Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top