... avant la tempête
Deux jours auparavant.
Je tambourine sur sa porte depuis dix bonnes minutes, mais il fait la sourde oreille.
—Mew ! S'il te plaît. Ouvre-moi, je sais que tu es là.
Je ne sais même pas pourquoi je suis là, exactement. Je ne devrais pas être là.
— Mew... je suis désolé.
Mais qu'est-ce que je fous, bordel. Je viens de pirater le laboratoire K2. J'ai réussi à m'y introduire sans la carte d'accès de Mew. Malheureusement, je n'ai pas eu le temps de télécharger tous les dossiers, avant qu'un vigile ne soit sur le point de me trouver.
— Je suis le seul responsable. Pardonne-moi. Je n'ai pas pu résister...
Je continue de le supplier de m'ouvrir ou au moins de me parler, devant cette foutue porte. Pourquoi ? J'étais dissimulé dans les vestiaires, je savais qu'il était encore là. J'aurais dû fuir immédiatement, ne pas prendre de risques. Il est arrivé et je n'ai plus pensé à rien d'autre qu'à lui. Au fait qu'il m'avait ignoré toute l'après-midi. Je l'ai enlacé, je l'ai caressé... Oh ! seigneur... J'ai cru perdre l'esprit...
— Je sais que j'ai été trop loin avec toi, mais je te jure que ce n'était pas un jeu morbide ou pour tester tes limites, c'est juste...
Je sens encore ses formes sous mes doigts. Sa chaleur, son odeur sont encore imprégnées dans ma chair. Je pose le front sur le battant.
— C'est plus fort que moi... j'ai voulu t'approcher, te toucher à la minute où je t'ai vu pour la première fois. Je te jure que c'est vrai...
Je mens... encore. Ou peut-être pas... Je me retourne et me laisse glisser le long de la porte, pour m'asseoir sur le palier, les paupières fermées.
— Je ne veux pas te faire prendre des risques, ni t'exposer à des problèmes. Je ne te toucherai plus, je te le jure...
Je dois prendre mes distances, arrêter ce petit jeu. Je le mets en danger, lui, mais aussi toute l'opération. Au lieu d'être assis contre cette porte, je dois contacter Puifai pour savoir exactement ce que j'ai réussi à télécharger et à lui envoyer. Savoir si nous avons enfin trouvé des preuves tangibles pour mettre fin à tout ça. Je dois organiser la suite, je dois rester concentré sur mon objectif.
— Quand nous aurons trouvé un vaccin, peut-être que toi et moi...
Cette phrase me fait immédiatement oublier tout le reste. Mon cœur saute littéralement dans ma poitrine. Lui et moi...Serait-ce possible ?
— Tu es sérieux ?
Je sais que c'est dément. Je sais que c'est impossible. Mais j'ai besoin qu'il me le confirme. Je me contenterai d'une lueur d'espoir, pour me permettre de diminuer un peu le poids si lourd que j'ai sur la poitrine. Je me tourne vers la porte, le cœur battant. Juste un peu d'espoir.
— Je suis sérieux.
Je pose la main sur la porte, un soupir de soulagement passe la barrière de mes lèvres.
— Je vais mettre les bouchés doubles dès demain au boulot.
Il rit de ma plaisanterie. C'est le plus beau son que j'ai jamais entendu.
— Tu crois que ça va être long ? On va devoir attendre longtemps ?
Je serre le poing. Je simule, je reste dans mon rôle de Gulf le laborantin. Mais mon cœur saigne de devoir lui mentir, alors qu'il s'ouvre à moi.
— Impatient ? Me taquine-t-il.
— Tu n'as pas idée !
Et ça, c'est la stricte vérité !
— Pour l'instant, les essais ne donnent rien. Les chercheurs espèrent trouver un traitement donnant une immunité temporaire dans les semaines qui viennent. Ce serait toujours une petite victoire. Mais nous sommes loin d'un vaccin réellement efficace pour endiguer la pandémie. Il va falloir être patient.
Si je pouvais lui dire la vérité. Lui dire que tout ça n'est qu'une mascarade macabre dans le seul but de faire un maximum de profits. Je serre les lèvres pour retenir la vérité qui ne demande qu'à sortir.
— En attendant que ça arrive, on pourrait apprendre à mieux se connaître, comme des amis ?
Je n'ai plus besoin de lui pour la suite de la mission, mais je ne veux pas m'éloigner. C'est peut-être même le dernier échange que nous aurons, lui et moi. Si les preuves sont suffisantes, je retournerai au QG cette nuit.
— D'accord...
J'aimerais tellement que tout ça soit vrai, que nous puissions vraiment être amis.
— Merci infiniment, Mew...
J'essaie de contrôler tant bien que mal l'émotion qui me submerge, un mélange de culpabilité, de reconnaissance et de désir...
— J'ai presque oublié comment c'était avant...
Et moi donc... Ma vie, avant ce fameux coup de téléphone de mon père, qui m'a fait basculer dans l'horreur, me semble floue, lointaine, comme un rêve.
— Moi aussi... Tout était si simple... On rencontrait quelqu'un, on flirtait et on faisait l'amour, sans se poser de question et sans mettre sa vie en danger... J'aurais tellement aimé te rencontrer avant...
Je suis sincère. Une douce chaleur se répand dans mes reins, je caresse doucement le bois qui nous sépare. J'aimerais tellement pouvoir le voir et le toucher une nouvelle fois...
— J'aurais pu toucher ta peau nue sans crainte, j'aurais pu... te faire l'amour, longuement... t'embrasser, te caresser des heures durant...
— Gulf...
Mon prénom murmuré entre ses lèvres suppliantes est une torture. Je serre les poings pour me retenir de défoncer cette porte.
— Excuse-moi... soufflé-je, j'ai tellement envie de te toucher...
— Moi aussi... Pourrons-nous être juste des amis ?
— Je ne sais pas... Mais nous n'avons pas d'autres choix. Je te promets de faire mon possible pour ne pas te toucher.
Je dois me reprendre. Si je continue, je vais le faire souffrir inutilement.
— Ok... Rentre maintenant, tu vas finir par attirer l'attention en restant comme ça devant le pas de ma porte.
Je souffre... Tout ça est faux... Je lui mens. Tout ce qu'il croit est une illusion. Et pourtant, je reste là, immobile, incapable de partir. Je sens mon portable vibrer dans ma poche, me rappelant mes obligations. Avec regret, je me relève. Je pose ma main sur la porte, un poids énorme sur la poitrine. Peut-être ne le reverrais-je plus jamais.
— À demain...
Ce sont les seuls mots que j'arrive à prononcer, avant de m'éloigner.
****
Je jette un nouveau coup d'œil à l'horloge qui trône dans le salon. La journée s'est écoulée bien trop vite. Les minutes s'égrènent pendant que mon angoisse ne cesse de grossir dans ma poitrine. Depuis presque une heure, Gulf et moi avons à peine échangé un mot, comme si mettre des mots sur ce qui va se passer est inutile. Son comportement s'est peu à peu transformé, au fur et à mesure de la soirée. Je l'ai vu se métamorphoser en un combattant au regard dur et déterminé. Il se lève soudain et me tend la main.
— Viens. Il est bientôt l'heure, je dois me préparer.
Mon cœur tambourine entre mes côtes. Je pose ma paume moite entre ses doigts et me laisse guider vers le sous-sol dans un état second. Une envie soudaine de le retenir par la force me traverse l'esprit. Et si je le séduisais dans le but de baisser sa garde, pour l'enfermer ou le ligoter. Après tout, ce serait un juste retour des choses. Mais, je sais que je ne peux pas, qu'il ne me le pardonnera jamais, que ce qu'il s'apprête à faire est nécessaire... Alors, je ne fais rien, me contentant de le suivre.
Nous arrivons au sous-sol, où, il y a à peine quelques heures, nous avons connu un moment de tendresse et de communion charnelle. Les images de nous, intimement liés, me reviennent en mémoire. Nous avons pu enfin nous découvrir, nous savourer sans barrière et sans crainte. J'ai l'espoir que c'était plus que du sexe. Pour moi, en tout cas, ce fût un des moments les plus intenses de ma vie. Il lâche ma main pour se diriger vers un vestiaire. Je reste immobile, engourdi par le stress et l'observe se changer, incapable de dire ou faire quoi que ce soit.
Il enfile un pantalon, un t-shirt et une veste noire. Il ferme la fermeture éclair en s'approchant d'un des murs pour décrocher une arme à feu. Il fait coulisser le chargeur, pour vérifier s'il est plein, le replace, enclenche la sécurité et fait glisser l'arme dans son étui. Je suis pétrifié. L'homme qui se tient devant moi ne peut pas être Gulf. Cet homme est sûr de lui, il manipule des armes avec la dextérité et l'assurance de celui qui sait les manier et n'hésitera pas à les utiliser pour tuer. Je déglutis difficilement. Cet homme me fait peur. Je n'ai pas peur qu'il me fasse du mal... J'ai peur qu'il ne recule devant rien pour sa mission, pour sa cause et qu'il soit prêt à offrir sa vie pour en sauver d'autres... des millions d'autres. Il se tourne vers les écrans de contrôle, appuie sur un petit renflement de son gilet et aussitôt l'image de la pièce où nous nous trouvons apparaît sur l'écran. Il ouvre une petite boîte sur le bureau, dans laquelle il prend, délicatement, une minuscule oreillette qu'il insère dans son oreille droite.
— J'ai une micro-caméra embarquée. Elle te permettra de suivre ma progression. Nous pourrons communiquer grâce à ça.
Il désigne son oreille du doigt.
— Tu pourras me guider dans les locaux. Je connais les plans par cœur, mais c'est toujours mieux d'avoir quelqu'un qui connaît bien le site pour me guider...
Il se tourne vers moi, devant mon mutisme et m'observe. Ma peur doit se lire sur mon visage, car il s'approche et m'enlace.
— Tout va bien se passer...
Mes bras encerclent sa taille et je plonge le visage dans son cou pour m'imprégner de son odeur, cherchant un peu de réconfort.
— Tu sais très bien que tu ne peux pas me l'affirmer.
Ma voix est étouffée, mais cela m'importe peu, je sais qu'il a compris quand il resserre son étreinte.
— Je peux te promettre une chose : Demain, quand tout sera terminé, une nouvelle vie s'offrira à nous... à l'humanité. Nous redonnerons l'espoir à des millions de gens, qui pourront enfin embrasser leur proche, sans avoir peur de mourir. Ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais l'espoir permet de continuer à vivre. Mais tu dois, toi aussi, me promettre que, quoi qu'il arrive, tu resteras ici. Promet-le-moi, Mew...
Je cache mon visage dans le creux de son épaule et acquiesce de la tête, les mains agrippées à sa veste. Je sais qu'il a raison et pourtant une larme s'échappe de ma paupière et tombe sur sa peau. Il y a tellement de choses que je voudrais lui dire, j'inspire profondément pour trouver le courage de le faire.
— Tout ce que je veux, c'est pouvoir t'embrasser demain et tous les jours d'après... J'ai peur pour toi. J'ai peur que notre histoire ne se termine à peine commencée. Je ne sais pas comment je survivrais s'il devait t'arriver quelque chose.
J'ai la gorge tellement serrée que c'en est douloureux. Mais je veux qu'il sache ce que j'ai moi-même découvert, il y a quelques heures à peine.
— Je... je t'aime Gulf.
Mes derniers mots ne sont qu'un murmure tremblotant. Il reste immobile quelques secondes. J'ai même l'impression qu'il a arrêté de respirer. Puis, lentement, il pose une main sur mon visage pour m'obliger à relever la tête et à le regarder. Ce que je lis dans ses prunelles étincelantes fait redoubler les larmes qui ravagent mes joues. De la tendresse, de l'espoir, de la détermination et surtout de l'amour... Il pose son front contre le mien, ses doigts se perdent dans le torrent salé qui dévale mon visage et il chuchote, en souriant tendrement :
— Je ne le dirai pas maintenant. Quand je rentrerai, sain et sauf, quand tout sera fini, je te répéterai, sans jamais m'arrêter, ce que je ressens pour toi...
Je m'agrippe à lui de toutes mes forces, laissant toute la peur, l'angoisse et l'amour que je ressens pour lui s'exprimer dans les sanglots qui parcourent mon corps. Je ne veux pas le perdre. Une vibration sonore vient rompre notre étreinte. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Je sais qui appelle et mon sang se glace quand je croise les yeux redevenus froids et résolus de l'homme que j'aime. Il décroche en se séparant lentement de moi.
— Oui ?...
Il hoche la tête.
— Ok, j'arrive...
Il raccroche. Ma poitrine est tellement compressée en cet instant que j'ai du mal à respirer. Il ancre ses yeux aux miens, ses doigts effleurent tendrement ma joue. Il se penche et pose délicatement ses lèvres sur les miennes. C'est un baiser tendre et amoureux. Mon corps réagit et se colle littéralement au sien. Je ne veux pas qu'il parte, je veux le garder en sécurité dans mes bras, je veux le garder pour toujours avec moi. Alors, j'entrouvre la bouche et l'invite à m'offrir une fusion complète de nos êtres. Ses bras m'étreignent avec force, pendant que sa langue part à rencontre de la mienne. Son étreinte est si forte que je n'arrive pas à reprendre mon souffle. Mais je m'en fiche, je peux mourir si je suis dans ses bras. Mes doigts s'agrippent avec désespoir à son cou, le suppliant de ne pas m'abandonner.
Mais, il le fait...
Lentement, il rompt notre baiser et fait un pas en arrière. Ces quelques centimètres entre nous sont comme un précipice, dangereux et insondable. Je ne peux pas quitter ses yeux, qui, à nouveau, se transforment. La lueur qui les habite me glace d'effroi, autant que la distance entre nous. Sans un mot de plus, il se détourne et me quitte, pour aller risquer sa vie.
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