Amis
Le bilan s'alourdit, nous venons de dépasser la barre des cent cinquante millions deux cent mille décès dans le monde, depuis le début de l'épidémie. La Thaïlande, à elle seule, compte...
Toc toc toc.
J'essaie d'ignorer la personne qui tape à ma porte depuis dix bonnes minutes. Allongé sur mon lit, je focalise mon attention sur les informations du soir.
Il est vital de respecter les gestes barrière pour limiter la propagation du virus. Nous rappelons qu'il est obligatoire de porter le masque dans tout l'espace public et dès lors que deux personnes habitent un même foyer. Les contacts physiques, première source de contamination, sont strictement interdits, passibles d'une amende et d'une peine de prison...
Les paroles du présentateur me ramènent inexorablement une heure plus tôt, quand Gulf a posé ses mains sur mon corps. Je sens encore avec vivacité, chaque caresse, chaque sensation que cela a fait naître en moi. À aucun moment, il n'a touché ma peau nue, les risques de contaminations sont minimes et notre test du matin même était négatif. Je ne m'inquiète pas pour ma santé. Mais nous avons enfreint la loi, nous avons pris un risque inconsidéré pour nous et pour les autres. Nous ne savons pas quand nous pouvons être contaminés, le virus est là, partout, tapi dans l'ombre. Attendant patiemment que notre vigilance se relâche pour contaminer une nouvelle personne, puis deux, puis des dizaines.
— Mew ! S'il te plaît. Ouvre-moi, je sais que tu es là...
Je ne veux pas lui faire face. Mon corps est encore trop plein de son odeur, de sa chaleur. J'étais à deux doigts d'aller plus loin. Je voulais tellement qu'il me touche. Ma peau délaissée depuis si longtemps avait soif de caresses, de baisers et de plus encore. Sans le réaliser vraiment, mes doigts glissent sous mon t-shirt et retracent les sillons brûlants laissés par les mains de Gulf. Mon corps est avide de ses touchers, de sa présence. Si je ne garde pas mes distances, je ne pourrai pas résister. J'éteins la télé et me frotte le visage des deux mains, comme pour effacer tout ce désir qui palpite en moi.
— Mew... je suis désolé.
Sa voix, étouffée par la cloison, semble résonner avec force dans mon appartement.
— Je suis le seul responsable. Pardonne-moi. Je n'ai pas pu résister...
Sa voix contrite me serre la poitrine, je m'approche sans bruit de la porte.
— Je sais que j'ai été trop loin avec toi, mais je te jure que ce n'était pas un jeu morbide ou pour tester tes limites, c'est juste...
Je pose une main sur le panneau de bois, comme pour l'inviter à continuer. Une tristesse lancinante me vrille l'estomac. Je réalise que je ne suis pas le seul à souffrir de cette situation. Tout ça me paraît tellement injuste.
— C'est plus fort que moi... J'ai voulu t'approcher, te toucher à la minute où je t'ai vu pour la première fois. Je te jure que c'est vrai.
Un bruit sourd vibre dans la porte et glisse jusqu'au seuil, comme s'il s'était assis en s'appuyant contre le battant. J'imite sa position et m'assois en tailleur, le dos contre la porte.
— Je ne veux pas te faire prendre des risques, ni t'exposer à des problèmes. Je ne te toucherai plus, je te le jure.
Sa voix tremblante se répercute au plus profond de mon âme. Il ne me touchera plus, il l'a juré. Je devrais être soulagé, mais au lieu de ça, le chagrin m'envahit. J'enfouis mon visage entre mes mains. J'ai envie... non, j'ai un besoin viscéral de ses mains sur moi. Je veux retrouver ce sentiment intense, cette chaleur, ce bonheur d'être touché. Chaque centimètre de ma peau hurle au désespoir. Une lueur d'espoir est indispensable à mon équilibre, si je ne veux pas sombrer définitivement dans les ténèbres, je dois chercher la lumière au bout du tunnel. Alors, j'articule ces quelques mots :
— Quand nous aurons trouvé un vaccin, peut-être que toi et moi...
Je sens qu'il remue.
— Tu es sérieux ?
Sa voix est plus forte, il a dû se retourner. Je l'imagine le front contre la porte, le visage grave, mais le regard étincelant d'espérance. Je bascule la tête en arrière pour prendre appui.
— Je suis sérieux.
Il remue encore et je l'entends distinctement soupirer de soulagement.
— Je vais mettre les bouchés doubles dès demain au boulot.
Sa réflexion me fait rire, apaisant la tension et l'angoisse qui m'habitaient.
— Tu crois que ça va être long ? On va devoir attendre longtemps ?
Il est adorable. Un sourire ému étire mes lèvres et réchauffe mon cœur malmené.
— Impatient ? le taquiné-je.
— Tu n'as pas idée !
Je m'esclaffe à nouveau. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas ri. Le bien-être que cela me procure est incroyable. Une boule de chaleur bienfaisante remplace le nœud de tristesse dans mon ventre.
— Pour l'instant, les essais ne donnent rien. Les chercheurs espèrent trouver un traitement donnant une immunité temporaire dans les semaines qui viennent. Ce serait toujours une petite victoire. Mais nous sommes loin d'un vaccin réellement efficace pour endiguer la pandémie. Il va falloir être patient.
Un long silence me répond.
— En attendant que ça arrive, on pourrait apprendre à mieux se connaître, comme des amis ? continue-t-il, plein d'espoir.
L'idée me semble tentante. Nous allons nous croiser sans cesse, autant poser un cadre et s'y tenir ensemble. Gulf est entré dans ma vie, je ne me vois pas l'en exclure définitivement, plus maintenant.
— D'accord...
De longues secondes s'écoulent avant qu'il me réponde.
— Merci infiniment, Mew.
Je ne le vois pas, mais je sais qu'un immense sourire illumine son visage.
— J'ai presque oublié comment c'était avant...
La nostalgie transparaît dans ma voix.
— Moi aussi... Tout était si simple. On rencontrait quelqu'un, on flirtait et on faisait l'amour, sans se poser de question et sans mettre sa vie en danger. J'aurais tellement aimé te rencontrer avant, continue-t-il plus bas, pour être sûr que personne d'autre n'entende.
Sa voix profonde réveille le désir et la frustration dans mes reins.
— J'aurais pu toucher ta peau nue sans crainte, j'aurais pu...
Ces mots me grisent, je ferme les paupières, laissant sa voix pénétrer en moi.
— Te faire l'amour, longuement... t'embrasser, te caresser des heures durant.
Je serre les poings pour calmer les fourmillements qui parcourent mes bras, jusqu'au bout de mes doigts. Je me retiens de toutes mes forces de sauter sur cette porte, de l'ouvrir en grand et de laisser Gulf me faire tout ce dont il parle avec sa voix tentatrice et sensuelle.
— Gulf...
Ma voix n'est plus qu'un gémissement, le suppliant d'arrêter, de continuer. Une fois encore, il me fait décoller, m'embrase les sens alors qu'une porte nous sépare.
— Excuse-moi... souffle-t-il, j'ai tellement envie de te toucher.
Je l'entends à peine, mais une onde de chaleur m'inonde à ces mots.
— Moi aussi...
Je laisse tout le désir, l'impatience et la frustration s'écouler dans un long soupir, en serrant les bras autour de ma poitrine.
— Pourrons-nous être juste des amis ?
— Je ne sais pas...
Sa voix étouffée semble si triste et désespérée.
— Mais nous n'avons pas d'autres choix, reprend-il. Je te promets de faire mon possible pour ne pas te toucher.
— Ok... Rentre chez toi maintenant, tu vas finir par attirer l'attention en restant comme ça devant le pas de ma porte.
Je devine le sourire qui étire ses yeux magnifiques. Il doit partir, c'est le couvre-feu et en même temps, je veux qu'il reste, qu'il me parle toute la nuit de sa voix douce et ensorcelante.
De longues minutes s'écoulent dans le silence le plus total. Puis, je l'entends se relever.
— À demain...
Je ne lui réponds pas. Il s'éloigne le pas traînant. Je reste immobile, repliant les genoux contre mon torse et les entourant de mes bras, la tête basse. Moi qui me félicitais de bien vivre les restrictions, de n'avoir que moi à sauvegarder. Gulf est entré comme une tornade dans ma vie et a fait exploser mon semblant d'équilibre et de sérénité. Je ne sais pas comment gérer cette nouvelle donne dans mon quotidien. J'ai conscience que je me lance dans un défi difficile : me comporter comme un ami, alors que je crève de désir pour lui.
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