... à fleur de peau

Un an plus tard

Tu me manques...

Je resserre ma poigne sur le parapluie qui nous protège de l'averse. Une pluie diluvienne s'abat sur le cimetière. Le ciel est le triste reflet de mes sentiments. Pourtant, rien n'aurait pu m'empêcher de venir le voir, en ce jour de l'anniversaire de sa mort. La douleur de son absence est si vive encore. J'observe, la gorge serrée, la pierre tombale grise et froide. Les fleurs recouvrent presque entièrement la tombe. Toutes ses couleurs vives adoucissent un peu l'austérité du lieu. C'était quelqu'un de profondément joyeux. Il n'aurait pas aimé passer une éternité dans la grisaille et l'obscurité. Ma mère presse doucement mon bras. Nous partageons la même douleur, le même manque. Nous avons tous les deux perdu quelqu'un de cher. Je suis heureux qu'elle soit à mes côtés, saine et sauve. Nous restons silencieux, plongés dans nos pensées, récitant une prière muette.

Tu me manques tellement... Chaque jour, tu me manques un peu plus. J'aimerais que tu sois là. La vie n'est plus la même sans toi à mes côtés. Tu t'es battu, jusqu'au bout... pour me protéger. Je t'en suis reconnaissant, mais en même temps... Je ne peux pas m'empêcher d'être en colère, de me sentir coupable. Si seulement... Si seulement tu étais là...

J'essuie rapidement une larme solitaire qui pointe au coin de mes yeux. Je ne veux pas que ma mère s'aperçoive de mon émotion. Je dois être fort pour elle. Alors, je me raccroche à ce qui m'a fait tenir toutes ses années : la vengeance.

Tu sais, ces salauds vont payer. J'en fais le serment ! Pour que tu ne sois pas mort en vain... Une vie meilleure nous attend.

Je cherche un peu de réconfort dans cette constatation. Le simple fait de venir se recueillir sur sa tombe sans masque est déjà une victoire en soi. Un procès est en cours où tous les salauds qui ont fomenté ce plan machiavélique ont été incriminés. Le chef d'accusation invoqué : Crime contre l'humanité.

Quand la réalité a été révélée, des émeutes ont éclaté dans le monde entier. Tous les gouvernements ont été mis en péril. Le monde a connu des mois d'anarchie. Plusieurs laboratoires pharmaceutiques ont été saccagés, des dirigeants lynchés. La rage, la haine et la frustration se sont exprimées de façon soudaine et violente. Malheureusement, le Covid a fait des ravages, profitant du relâchement des gestes barrières. Il a fallu des mois pour apaiser la population et mettre en route la fabrication du traitement. Aujourd'hui, le C119 tue encore, mais beaucoup moins. Le port du masque et l'interdiction de contact ont été abrogés. La lumière au bout du long tunnel sombre, a, bel et bien, été allumée.

— Rentrons, murmuré-je à ma compagne de toujours.

Lentement nous remontons les allées.

— Ton père aurait été si fier de toi, dit-elle d'une voix tremblante, où perce l'émotion.

Je me contente de poser ma main sur la sienne et la presse tendrement. Les mots sont inutiles.

*****

J'observe, l'esprit absent, les gouttes d'eau qui s'écrasent contre la vitre, le cœur lourd de ce passage au cimetière. À chaque visite, j'ai la sensation qu'il s'éloigne un peu plus. Même son image devient floue parfois. Je ne veux pas perdre ses souvenirs si importants à mes yeux.

Le procès qui juge, en ce moment même, les responsables de la crise sanitaire mondiale du Covid 119, vient de connaître un nouveau rebondissement. Le président de KlaxoSmithGlare Vaccines, Mr Maleenon, mystérieusement décédé quelques heures avant la divulgation des preuves sur la création de toutes pièces du virus, vient d'être désigné comme unique responsable de ce sombre complot. En effet, les preuves apportées par les accusés montrent...

J'écoute d'une oreille distraite la télévision, dégoûté par la nature humaine. Ces salopards vont tout faire pour s'en sortir indemnes. Ils ont tué des millions de personnes et continuent de nier, coûte que coûte. Deux mains masculines glissent sur mes flancs et m'enlacent. Un sourire grandit sur mes lèvres. Un corps svelte et musclé se colle au mien, pendant qu'un souffle chaud caresse ma nuque. Je ferme les yeux et me laisse aller contre cet homme que j'aime, pour profiter de ce moment de douceur, qui illumine un peu la noirceur de cette journée.

— Je suis désolé n'avoir pu être là pour toi aujourd'hui, murmure-t-il.

Il pose ses lèvres douces juste sous mon oreille, sur cette zone si sensible qui me rend dingue. Je recouvre ses mains qui commencent à glisser sur mon ventre et entrelace nos doigts. Je remarque qu'il porte, à son pouce, la bague en argent que je lui ai offerte. Je l'effleure du bout du doigt, hypnotisé par son éclat. Elle met en valeur ses larges paumes et ses longs doigts. J'aime qu'il la porte, comme si une partie de moi ne le quittait jamais. J'ai perdu mon père, mais pas lui... Il m'est revenu, ma prière a été entendue.

*****

Un an auparavant.

Je nage dans un brouillard épais, mais je ne veux pas me réveiller, ne voulant pas faire face à la vérité. Mon corps affaibli n'a pas supporté ce que j'avais sous les yeux : Mew agonisant sur cette civière. Je suis allongé, les yeux clos. Je n'ai absolument aucune idée du temps pendant lequel je suis resté inconscient. Un silence lourd règne dans la pièce. Je n'ose pas ouvrir les paupières. Je redoute plus que tout ce que je vais découvrir en les ouvrant. Je bouge légèrement et réalise que l'on m'a posé une perfusion. Un froissement attire mon attention, c'est tout près de moi. Je tourne la tête pour déterminer la provenance du bruissement, sans ouvrir les yeux. La terreur qu'il puisse ne plus être là me comprime la poitrine. L'idée même qu'il n'ait pas survécu m'est insupportable. Je préfère rester immobile et me laisser mourir à petit feu. Je sais que je ne pourrais plus me battre sans lui, toute ma volonté de vivre s'est évaporée quand son cœur s'est arrêté. Un nouveau bruissement se fait entendre et me fait froncer les sourcils. Je n'arrive pas à savoir d'où, ni de quoi provient ce bruit.

— Gulf...

C'est à peine un murmure, mais cet appel me fait ouvrir grand les paupières. C'est Mew... Il est à un mètre de moi, sur la civière. Son visage est à peine visible sous le masque à oxygène, mais ses yeux fiévreux sont fixés sur moi. Il est vivant... Le soulagement et une joie immense me parcourent comme des vagues de douce chaleur.

— Mew...

Les larmes coulent le long de mes joues. Je tends la main vers lui. Je voudrais le toucher pour m'assurer que je ne rêve pas. Il est là, tout près de moi. Il tend sa main à son tour. Nous sommes trop loin, l'un de l'autre, pour que nos doigts se touchent, mais cela m'importe peu. Il est là, avec moi. Malgré l'émotion qui me comprime la gorge, je ne veux plus perdre une seconde, je veux lui dire haut et fort, ce que je j'aurais dû lui dire bien avant. Je veux qu'il entende enfin ce que je ressens pour lui. Je veux qu'il sache à quel point je tiens à lui. D'une voix tremblante, je lui avoue enfin mes sentiments.

— Je t'aime, Mew...

****

Un an plus tard.

— Je t'aime, Mew.

Je sens qu'il sourit contre ma peau.

— Te lasseras-tu de me le dire un jour ?

— Je t'avais promis que quand je reviendrais sain et sauf de cette mission, je te répéterai, sans jamais m'arrêter, ce que je ressens pour toi.

Je me tourne vers lui et plonge mon regard dans ses yeux de braise. L'anniversaire de la mort de mon père me rappelle avec force que j'ai failli le perdre aussi. Je l'ai vu mourir sur cette table, puis revenir à la vie, grâce à l'acharnement de ma mère et de Puifai. Elles m'ont donné la chance de pouvoir lui exprimer mon amour et je compte bien le faire chaque jour de ma vie. Je pose mes mains sur ses épaules et les fais glisser jusqu'à sa nuque. Je me délecte de sentir ses muscles sous mes doigts. Doucement, je commence à masser son cou à la naissance de ses cheveux.

— Je t'aime... soufflé-je, en réduisant un peu plus l'espace entre nous.

Un sourire ému s'épanouit sur son visage. Une de ses mains glisse sur mes hanches, tandis que l'autre se pose sur ma joue.

— Je t'aime aussi...

Délicatement, il m'embrasse. C'est un baiser plein de douceur et d'amour. Je me revigore dans cette étreinte. La tristesse laisse place à la reconnaissance. Toute cette tragédie aura au moins eu un aspect positif. Un nouvel amour est né dans la tourmente. J'enfouis mon visage dans le creux de son épaule, me gorgeant de sa chaleur et de son odeur masculine.

— Comment s'est passé le procès ? demandé-je contre sa peau.

Il resserre son étreinte, me caressant doucement les cheveux.

— Mal... Ils vont tout faire pour être acquittés. Les salauds... Heureusement, les preuves sont irréfutables. Ils paieront. Je te promets qu'ils paieront pour leur crime.

Je pose doucement mes lèvres sur sa peau. Je suis tellement heureux qu'il soit là avec moi, pour affronter cette épreuve. Ce procès risque d'être bien plus long que l'épidémie elle-même.

— Comment se porte ta mère ? Cette journée a dû être difficile pour elle aussi.

— Elle va bien. Son état s'améliore de jour en jour. Elle boite un peu moins grâce à la rééducation.

Nous n'avons toujours pas bougé, se berçant mutuellement dans les bras de l'autre, silencieux. Je n'ai besoin de rien d'autre que son corps contre le mien, que ses mains caressant doucement mes cheveux, que son odeur me réconfortant.

— Tu m'as manqué aujourd'hui... murmure-t-il en laissant glisser ses doigts le long de mon dos.

— Tu me manques à chaque seconde quand tu n'es pas avec moi, affirmé-je, avant de goûter la peau fine de son cou.

Il penche légèrement la tête, m'invitant à continuer ma douce caresse. Comme chaque jour depuis notre rencontre, je me sens irrémédiablement attiré par lui. Il m'est devenu indispensable à mon équilibre. Je crois vraiment que je n'aurais pas survécu s'il ne s'en était pas sorti, ce jour-là. Quand je repense à ces quatre années d'horreur, je remercie le ciel de m'avoir envoyé Mew. Je peux enfin me reposer dans ses bras, sa présence panse mes plaies, son amour allège un peu l'absence de mon père.

Plus jamais, je ne veux être loin de lui.



** Fin **

C'est ici que s'achève cette histoire 🥺💔

Nous disons aurevoir à Mew et Gulf... Ils vont tellement me manquer...😭😭 ) 

J'espère que vous aurez apprécié votre lecture et que cela vous donnera l'envie de partir à la découverte de mes autres histoires. 😊

Merci encore de votre présence, de tous vos likes et vos commentaires. ❤️❤️❤️

A bientôt dans de nouvelles aventures ! 

Marilou. 😘

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