Chapitre 5 : Gâchette Fleurie
Notre arrivée chez Manneville se fit dans la discrétion. Vivant dans une magnifique villa –il devait être grassement payé par Dante- il dormait au bord de sa piscine, baigné par la lueur du crépuscule. Du moins, c’était ce que je croyais, jusqu’à ce qu’il pointe un fusil à pompe sur son employeur, à deux mètres de lui.
-Oh, monsieur Thurston… Navré, s’excusa-t-il en abaissant le canon vers le sol. Madame Valens…
-Appelle-la la « Gâchette Fleurie » .
-Dante !
-La « Gâchette Fleurie » ? Mais pourquoi ?
Le vampire désigna le pistolet dans ma main, puis ma robe à fleurs.
-Je vois, fit placidement le notaire. Je ne vous pensais pas capable d’user de ce type d’arme, madame Valens.
-Mon père était un sociopathe paranoïaque. J’ai eu droit à une éducation quelque peu spéciale.
Pour sûr. A quinze ans, je savais utiliser les couteaux, les sabres, les bâtons, les fusils à pompe, les mitrailleurs, les pistolets, enfin, bref, toutes les armes usuelles ou improvisées possibles et imaginables. J’avais même joué avec un lance-roquette, pour mes dix-huit ans. Mais ça avait pris fin au début de mes études de bibliothécaire. Ma nature calme avait repris le dessus, aussi avais-je coupé les ponts avec mon père dérangé.
-Je ne vous poserais aucune question, continua Manneville en nous conduisant dans sa demeure. Au moins j’en sais, au moins je risque d’en dire.
Wow. Je n’avais jamais rencontré un notaire avec une telle conscience professionnelle. Quoique, je n’avais jamais rencontré quelqu’un avec un tel arsenal chez lui, non plus. Outre mon père.
-Vous êtes vraiment notaire ? m’étonnai-je.
Des dizaines d’armes à feu ornaient les murs de la petite pièce, au cœur de la maison. Mal éclairée, avec des doublures en bois pour dissimuler l’armement, elle ne payait pas de mine au premier abord. Jusqu’à ce que l’on découvre les rangées de fusils, de couteaux à cran d’arrêt et autres pistolets.
-Être l’employé d’un homme aussi riche que monsieur Thurston incite à cumuler certaines compétences, madame Valens. Vous préférez quel type d’arme ?
Dante choisissait déjà un pistolet capable d’arracher la tête d’un homme adulte. Il vérifia la sécurité, les balles, le mécanisme, avec une efficacité étonnante.
-Heu… Je ne sais pas… Un petit calibre, mais pas trop, sinon je ne pourrais pas me débarrasser de… Heu… Nos problèmes.
-Gâchette Fleurie est une véritable experte en la matière, lança Dante.
-Oh, toi, le mort de garde, ne la ramène pas !
-Voici, nous coupa Manneville. Maintenant, passons dans mon bureau. Les documents sont prêts.
-Les do… Ha oui, c’est vrai. Hé, mais pour le moment, je suis plus riche que toi, Dante !
Il m’adressa un grand sourire en nous emboîtant le pas, vers l’autre partie de la maison.
-Je serais ravi de devenir ton gigolo.
-Mais bien sur…
En entrant dans le bureau de Manneville, avec une fontaine murale prenant tout un coté de la pièce, je dissimulai mon malaise. Car je n’avais toujours pas répondu à sa question. Et même s’il ne me l’avait pas posée de nouveau, je la voyais au fond de ses yeux, guettant la moindre de mes réactions.
Bon sang, j’étais mariée !
-Madame Valens ? Pouvez-vous signer les papiers ? De cette façon, vous rendez tout ce qui était en la possession de monsieur Thurston avant sa mort.
-Oui, pas de probléme…
Je m’installai derrière l’énorme bureau en chêne vernis, devant des liasses de papier. Dante avait déjà commencé à les signer, me les donnant au fur et à mesure pour que j’en fasse de même.
-Tu as de la chance que je ne sois pas vénale, remarquai-je au bout de la vingtième signature.
Le notaire vérifiait, en bout de chaîne, que nous ne nous étions trompés nul part. Dante, lui, son pistolet posé sur la table, était d’un calme souverain, contrairement à mon cerveau partit à la dérive.
-Effectivement. C’est justement une des choses que j’aime chez toi.
-Ne dis pas de bêtise.
-Je n’en ai encore proféré aucune.
Je me murais dans le silence face à cette attaque en règle.
-Tu vas rester avec moi jusqu’à nouvel ordre, continua Dante. Visiblement, ils te veulent pour pouvoir me manipuler. Or, j’ai la capacité de te protéger.
-Je sais me battre.
-Moi aussi.
-Depuis ce matin, ricanai-je en apposant mes initiales sur le papier blanc. Tu ne sais même pas utiliser ce pistolet !
Dante saisit son arme, enleva la sécurité et ouvrit le feu sur le mur d’en face, nous faisant sursauter, Manneville et moi. Le bois exotique s’insurgea avec un craquement sourd.
-Mais tu es dingue !
-J’ai le sang chaud, depuis ma résurrection, je te l’ai déjà dit, fit-il simplement en reposant le pistolet au canon fumant.
Le notaire s’abstint de tout commentaire –il avait bien dit ne rien vouloir savoir-. Je revins à mes signatures, non sans froncer les sourcils.
-Et depuis quand maîtrises-tu lesarmes à feu ?
-Depuis que j’ai servi dans l’armée.
-Quoi !? Toi, tu as fait l’armée !? Tu te moques de moi !? Tu es le type le plus pacifique que je connaisse !
Il ne broncha pas, m’offrant un profil impassible en ratifiant les documents. C’était une blague. Il ne pouvait pas… Puis le carnage de la rivière asséchée me revint. J’avais mis ça sur le compte de ses capacités vampiriques, mais… S'il avait fait l'armé, cela pouvait expliquer sa redoutable efficacité.
-Une déception amoureuse change un homme, Hélène. Je me suis engagé la dernière fois que tu m’as plaqué.
-Quand tu avais vingt ans ?
Un sourire illumina son profil, sans pour autant le déconcentrer de sa tâche.
-J’y suis resté trois ans. Je n’étais peut être pas le meilleur des soldats, mais cela m’a au final permis d’avoir de nombreux contacts dans l’armée. A ton avis, comment ai-je fait pour être riche si vite ?
Je battis des cils, stupéfaite. Mon Dante rêveur, outré par l’éducation donnée par mon père, avait été militaire ? Par ma faute ?
-Tu as des contrats avec l’armée ?
-Oui. L’entreprise Thurston ne fait pas que dans l’informatique civile, Hélène.
Une grande inspiration plus tard, je reposai mon stylo, la gorge nouée.
-J’ai besoin d’aller aux toilettes. Manneville, où sont-elles ?
Dès qu’elle disparut dans le couloir, Dante posa sa tête sur le bureau, avec un grognement dégouté.
-Ce n’est pas gagné, fit simplement le notaire.
-Ta gueule, Clément… Je sais bien, que ce n’est pas gagné.
-Pourtant, quand tu étais mort, on eut dit une veuve éplorée.
Le vampire leva un œil vers son ami, dont l’impassibilité lui arracha un claquement de langue irrité.
-Comment peux-tu me dire ça en étant aussi froid qu’un glaçon ? Bordel, j’aurais dû rester mort ! Elle m’aurait au moins aimé à titre posthume.
-Tout en se consolant dans les bras de son mari.
-Je te hais.
-A ton service.
Qu’est-ce qui lui avait pris de raconter cette histoire d’armée ? Il s’était juré de ne jamais lui en parler, d’emporter le secret dans la tombe ! Bon techniquement, il l’avait fait… Il n’avait simplement pas prévu d’en ressortir.
Oui, mais, et maintenant ? Il avait depuis longtemps décidé de laisser Hélène à son bonheur avec Lévine Valens. Mais le voilà obligé de la protéger d’une bande de zombies, bien décidés à l’utiliser contre lui, pour il ne savait qu’elle raison. Il ne pourrait jamais la côtoyer, pas même une journée, sans avoir envie de lui arracher sa petite culotte avec les dents.
Il ferma les yeux, se passa une main dans les cheveux avec un grognement désemparé. Comment allait-il pouvoir gérer cette situation de dingue ?
-Qu’est-ce que…
Il releva brusquement la tête. Manneville braquait son fusil à pompe, pupilles dilatées, sur… Dante plissa les yeux. Il faisait nuit, désormais. Alors, la forme blanchâtre qui se dessinait contre le mur-fontaine, c’était vraiment…
-Bien le bonsoir, monsieur Thurston.
-Et merde… Après des zombies, un fantôme…
La silhouette éthérée, dont les traits humains étaient aisément distinguables, lui sourit gentiment.
-Je viens vous dire qu’ils n’ont pas attrapé madame Valens.
-Quoi ?
A l’instant où la porte du bureau volait en éclat, le fantôme s’évanouit, faisant sursauter Dante. Manneville pointait maintenant son arme en direction de trois hommes et deux femmes, dont les pistolets se tournaient contre lui et le vampire.
Tous avaient un teint rosé de bon aloi. Aucune odeur de décomposition non plus. Des humains pur jus, donc.
-Vous êtes Dante Thurston ? demanda un petit bout de femme, armée jusqu’aux dents.
Le vampire se leva calmement, impassible, ses doigts frémissant d’attraper son pistolet.
-Effectivement.
-Vous êtes accusé de haute trahison.
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