Chapitre sans titre 20
Caden est surpris. Il n'était même pas au courant qu'une sorcière de son monde se promenait dans le mien. Combien d'autres encore se sont retrouvés là-bas ? Je fais toujours les cent pas, tandis que ce dernier attend une réponse.
— Comment se fait-il qu'Ilda fût dans l'autre monde ? J'exige une réponse. Lui grogne Caden.
— Ilda accompagnées de la femme d'un chasseur ont trouvé une brèche, il y a quelques années. Une brèche que je n'ai pas réussi à refermer après ma fuite avec Jennyfer.
Donc, ils n'ont pas traversé avec lui la première fois. Cela s'explique, maintenant.
— Je n'aurais jamais cru qu'elles s'installeraient dans le même petit village que moi. Et pour ta marque, me dit-il, je n'en sais rien. Ilda fait toujours des choses étranges. Cette fois-ci, je crains bien que ça ne soit pas de bon augure pour toi.
— ...
— Dans notre monde, enchaîne Kildan, Ilda est une servante de la lune, comme un intermède. Il faut croire que la lune a décidé de jouer un peu. Cependant, je crains de comprendre ta réaction Jennyfer. Je n'étais pas au courant de tout cela. J'ai besoin de digérer moi aussi ce que je viens d'attendre.
Je hoche la tête. Son compagnon l'a laissé dans la confidence. Et quant à son demi-frère, il lui a également caché volontairement des détails. Ne voulant pas rester une minute de plus, ce dernier s'éclipse de la pièce sous les protestations de mon père. Je reste donc seule avec Caden, l'une des personnes que je ne veux pas voir ni me rapprocher. L'espoir que Sebastian vienne me secourir est encore là, mais diminue chaque jour passé ici. Pourquoi laisser mon père en liberté, s'il lui donnait une fille ? Que gagnait-il ?
— Quel était cet artéfact ?
— Je sais que tu te poses des questions...
— Qui sont légitimes, le coupé-je, cette femme avec qui il m'a conçue est-elle toujours en vie ?
— Non. Secoue-t-il la tête. Elle est morte quelques années plus tard, lors de la grande sécheresse qui s'est abattue sur notre royaume.
— Et l'artéfact ?
— Je suis le seul au courant. Les anciens de notre peuple ont cru l'avoir perdue lors de la soif de sang. Une guerre qui a permis à mes ancêtres de prendre Lustopale par la force. Rattachée à cet artéfact, il y avait une prophétie dont je ne me souciais guère.
— Pourquoi ?
— Elle ne m'interpellait pas... Pas à ce moment-là.
— Qu'est-ce qui a changé ?
— De t'avoir vu avec le chasseur. Voir que tu l'aimes lorsque c'est moi que tu devrais aimer. Moi, qui ai donné une partie de mon âme pour que tu puisses vivre.
— Il est impossible de diviser une âme... Vous divaguez.
Caden s'approche de moi en me regardant droit dans les yeux. Je vois son regard faire des aller-retour entre ma bouche et mes yeux. Que compte-t-il faire ? Je me sens comme une petite souris dans un piège. Maintenant, je réalise les paroles de cette sorcière. Je suis sa proie. Il ne me lâchera jamais avant d'atteindre son but. Mais quel est-il vraiment ? Je ne sais pas quoi penser. Je me sens bouleversée lorsque je me tiens près de lui. Tous mes sens se réveillent. Je ne me sens ni bien ni mal, mais je le crains parfois lorsqu'il est en colère. Une partie de moi voudrait découvrir ce que ce dernier attend de moi, mais une autre veut s'échapper de ce monde qui n'est pas le sien. Je souhaite partir, ah oui, de tout mon cœur, mais j'ai l'impression que quelque chose me retient. Bien que j'eusse plusieurs occasions de m'enfuir en deux semaines, j'étais incapable de faire un pas de plus. Comme si une personne dans ma tête m'en dissuadait. Je suis peut-être devenue folle.
Néanmoins, je le regarde droit dans les yeux sans fléchir. Sa tête bouge légèrement, mais se ravise au dernier moment. La colère passe sur son visage pendant un moment avant de froncer les sourcils. J'ignore ce qui se passe dans sa tête, mais cela me perturbe.
— Viens te promener dans mon jardin. L'air doit t'avoir manqué. Je sais que tu n'aimes pas être emprisonnée entre des murs.
Cela est vrai, mais je ne lui ai jamais dit. Comment peut-il savoir ce détail ? Je ne crois pas que ce dernier ait parlé avec mon père lors de ces deux dernières semaines, car mon géniteur ne me connait à peine. Toutefois, pour une obscure raison, j'acquiesce silencieusement, comme si l'on me poussait à le faire. Il m'offre son bras que je refuse de prendre, car pour l'instant je ne veux aucun contact avec lui. Caden reste impassible et nous sortons de la tour. Nous passons par ses appartements et j'ai un frisson qui longe ma colonne vertébrale. De son balcon, nous prenons un escalier qui nous mène à son jardin de ronces. Pourquoi la nature semble-t-elle morte ? Un jardin ne doit-il pas être fleurissant ? Les paroles de mères résonnent soudainement dans ma tête. Pour qu'un jardin fleurisse, vous devez lui donner de l'amour. Est-ce qu'il ne lui en a jamais donné ? Même le banc de pierre qui du point de vue de la chambre semblait en bon état est effrité. Seule, une statuette de femme dans le centre sous un seul pleureur est de bonne condition. De vieux bouquets de fleurs reposent à ses pieds. Je présume donc que Caden n'est pas venu ici depuis un moment, même si je me réfère aux paroles du roi. Il y a bien plus d'un an que ce dernier est venu en ces lieux.
— Pourquoi est-ce si triste ? le lui demandé-je, soudainement sans réfléchir.
— Ne peux-tu pas profiter du grand air ? rétorque Caden, comme s'il était attaqué.
— J'aime certes le grand air, mais ce jardin est affreux.
— Comme le monstre que je suis...
Je me pince les lèvres. Je l'ai traité de monstre et Caden l'a encore sur le cœur. N'est-ce pas ce qu'il est ? Je veux me raviser ; dire que je suis désolée, que je le pensais pas, mais rien ne sort. Je le pensais que trop bien à ce moment-là. Je me contente de soupirer et de regarder la statue de cette femme. Qui fut-elle, elle est très belle. Cette femme est-elle un amour perdu, ce qui expliquerait l'état du jardin ? Je suppose qu'il doit avoir eu plusieurs amantes à son bras.
— C'est une représentation de notre déesse. Souffle-t-il, hésitant.
— Votre Déesse ?
— La Déesse de la lune.
— Régente-t-elle sur toute le royaume ?
— Non, seulement sur mon peuple et celui des chasseurs.
— Votre peuple ? Qui est-il ? Kildan me parlait de son peuple, mais ne m'a jamais expliqué ce qu'il était.
— N'as-tu pas remarqué l'emblème lors de notre arrivée ?
— Les drapeaux avec des têtes de loups ? Et les deux énormes statues de loups aux portes du royaume ? C'est d'un délire.
— Pour toi, notre Déesse peut avoir les noms de : Séléné, Artmémis, Diane, Luna et même Hécate. Pour nous, elle se nomme Mani.
— Comme les Nordiques ? J'en ai entendu parler... Il en parlait vaguement.
— Nos deux peuples sont régis par elle, mais parfois, c'est nous qui la poursuivons. Si tu connais le peuple nordique comme tu dis, c'est parce qu'ils viennent de ce monde. Mon monde a laissé sa trace dans le tien à plusieurs occasions. Seulement, notre croyance ne se résume pas à la fin du monde et à ces dieux qui viennent pour nous punir.
— À quoi résume votre croyance dans ce cas ?
Il s'approche de la statue en cherchant les mots justes.
— Avant que Mani soit puni au ciel, elle aimait parcourir le monde avec son frère. Fascinée par les humains, celle-ci décida de se mêler aux mortels. Durant une promenade, Mani rencontra une louve qui venait de perdre son compagnon. Affligée par le spectacle qui s'offrait devant ses yeux, elle recueillit l'âme du loup. La louve à l'agonie rendit son dernier soupir dans ses bras. Afin qu'ils ne soient plus jamais séparés, elle façonna leur âme ensemble avant de les séparer. On raconte qu'une âme de loup doit trouver sa moitié pour devenir tout entière, sinon il mourra d'une longue agonie.
— Ce ne sont que des légendes. Des histoires d'âmes sœurs.
— Les histoires sont parfois empreintes de réalité, Jennyfer.
— Est-ce cela votre vérité ? Vous recherchez votre âme sœur ? C'est pour cela que vous avez utilisé l'artéfact. Vous avez divisé votre âme... Mais je ne suis pas votre âme sœur, m'exclamé-je ahurie.
— Nous avons tous un but. Toi aussi, tu voulais te marier; il n'y a pas si longtemps.
— Cela est encore le cas. Il viendra me chercher. Je partirais avec.
Caden se tourne vers moi, le visage déformé par la colère. Je lui dis ce qu'il ne souhaite pas entendre. Je ne vais pas me marier avec lui. Sebastien est celui qui fait battre mon cœur, pas ce rustre qui croit à des légendes aussi vieilles que le monde. Néanmoins, nullement perturbée par sa colère, je le défis du regard. Ses mains se lèvent, comme vouloir m'étrangler une seconde fois, mais il se ravise en fermant les poings et en frappant la base de la statuette. J'étouffe un cri lorsque ses iris sont soudainement rougeâtres. Avec quelle sorte de magie joue-t-il ?
— Écoute-moi bien, dit-il en grognant, je tuerais ce chasseur. Tu m'appartiens. Personne ne se mettra entre toi et moi. Si tu souhaites fuir, je t'attacherai de nouveau à moi... Tu ne sais pas ce que je suis prêt à faire pour arriver à mes fins.
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