Chapitre 5
Je sors de mes pensées lorsque j'entends le bruit d'une vaisselle qui tombe un sol. Fronçant les sourcils, je me précipite vers le son où je découvre que Judith en pleure. Gregory, en colère, affronte la vieille femme en lui assenant des paroles tranchantes. Sa fiancée se tient le ventre arrondi que je n'avais pas remarqué. Elle est enceinte ! Mon frère ordonne à la marâtre de disparaitre et de s'installer dans la maison d'hôte le plus vite possible. Cela ne semble pas réjouir cette dernière. Elle tourne la tête vers moi en plissant les yeux, puis quitte la pièce. Gregory se rapproche de Judith pour la réconforter. Mes autres frères ne sont pas ici, ni mère. Où sont-ils donc ?
Je m'approche du couple en m'assoyant sur la table basse. Des larmes dévalent le long des joues de ma belle-sœur. Je suis triste pour elle et j'ignore pourquoi. La vieille tante, lui a-t-elle dit quelque chose. Je suis en proie de doute.
— Cette femme est abjecte, dit-il en colère, n'écoutez pas ce qu'elle a dit.
— Et si c'était vrai ? sanglote ma belle-sœur. Cela fait trois fois que cela arrive. Je ne pourrais jamais m'en remettre.
— Tout va bien se passer cette fois-ci.
Je n'ose pas demander ce qui s'est passé dans le passé, car je crains de connaitre déjà la réponse. Je reste en silence et je lui prends une main avec compassion. Judith est comme une sœur que je n'ai jamais eue. Grandir avec des garçons à des bénéfices, mais aussi des inconvénients. Personne n'ose vous approcher ou même vous regardez. On doit constamment demander la permission à l'un de mes frères pour venir me parler. Sebastian est le seul garçon qui n'a rien fait de tout cela. Il se moquait de leurs avis et même de leurs menaces. Bien sûr, ces derniers lui ont fait relever des défis que Sebastian a su réussir avec brio. Bien que je sois en colère contre ce dernier, je me demande ce qu'il peut faire. Est-il dans les champs ? Trait-il les vaches ? Nous sommes partis en mauvais terme et je ne peux pas lui raconter ce qui se passe à la maison, lui qui sait toujours tout. Néanmoins, cela n'est mieux que ce dernier ne soit pas mis au courant.
Ma main, toujours dans celle de ma belle-sœur, je vois Gregory nettoyer les débris de la tasse de thé, éclater au sol quelques instants plutôt, et s'absente un moment. Judith sèche ses larmes du revers de la main et me confie sans même me regarder :
— Nous voulions attendre avant de l'annoncer. C'est le premier qui s'accroche aussi longtemps. Nous n'en avons parlé à personne. J'ai fait trois fausses couches.
— Je suis désolée.
— Cette femme est ignoble.
— Qu'a-t-elle dit ?
— Que je le perdrais une nouvelle fois! Je ne le veux pas, Jenny.
— Ne vous préoccupez plus de cette femme, très vite elle retournera chez elle.
— Chez elle ? Répète Grégory en revenant dans le salon, vous ne savez ce que vous dites. Cette vieille femme sortie de nulle part arrive subitement et dicte ce que nous devons faire. Sommes-nous certains qu'elle fait partie de la famille de père ?
— Hélas ! mon frère, j'en ai bien peur.
— Et où est père ? Je ne l'ai pas vu ressortir de son bureau.
— Ils l'ont emmené pour le faire emprisonner.
— Pardon ! Où ?
— Je l'ignore, mais je compte bien le découvrir.
— Mais pourquoi cette femme est-elle venue ici ?
Dois-je lui révéler ses motivations, même si je n'en ai pas vraiment l'exactitude ? Je sais qu'il y a un rapport avec moi, sur ma naissance et le fait d'être une fille. Je dois en découvrir plus. Connaitre l'endroit où l'on a amené père et retrouver se livre. Qu'arrivera-t-il demain ? Devrais-je aller à l'école ? Faire comme si de rien n'était ? Le comté s'apercevra-t-il de cette présence indésirable ?
— Je l'ignore, mon frère. Nous devons nous préparer pour la moisson. Tout doit se dérouler comme tous les ans.
— Tu ne crois pas qu'ils ne se feront pas remarquer ? demande mon frère, tu as vu dans quelle étoffe ces hommes sont vêtues. Un sans-abri ne se vêtit même pas de la sorte.
— Il faut leur trouver des vêtements, renchérit Judith, qu'est-ce que les gens vont penser de nous ?
— Gregory, passez le mot aux garçons. Regarder dans vos garde-robes des habits qui pourraient leur convenir, je le lui ordonne. Je m'occupe du reste.
— Et mère ?
— Je m'en occupe. Soyez rassuré.
Mère est de loin le dernier de mes soucis. Si je dois quitter ce monde alors, j'irai à ce bal qu'elle tient tant, J'espère cependant qu'il se déroulera plus vite que prévu. Si je me fie aux premiers signes, je crains que cela ne soit pas le cas.
Je délaisse donc mon frère et ma belle-sœur de ma présence pour aller à la recherche de mère. Je la trouve aux cuisines, rare endroit où elle met les pieds. Ses mains coupent rageusement les carottes. Dois-je sourire ? Je m'approche tranquillement, tandis que mère plante son couteau sur le plan de travail juste devant moi. Au début, elle semble ailleurs, puis reste surprise un moment :
— Pardonnez-moi, je ne vous avais pas vu.
— Cela ne fait rien. Comment allez-vous ? Je me renseigne auprès d'elle.
— Comment voulez-vous que j'aille ? Une femme arrive tout droit de nulle part pour dicter notre conduite et maintenant, votre père qui n'a jamais eu un mot de déplacer, ose me remettre à l'ordre. Je suis peut-être une femme, mais je ne me laisserais pas marcher sur les pieds.
— Vous avez tout mon soutien, mère.
Son regard se plisse, comme si ce que je viens de dire n'arbore pas à mes paroles habituelles. C'est vrai que je ne suis presque jamais en accord avec mère, mais je veux que tout se déroule bien. Si je dois partir pour une destination inconnue, vaut mieux que nos derniers moments ensemble soient agréables.
— Nous sommes rarement du même avis, me rappelle-t-elle, n'êtes-vous pas fiévreuse, Jennyfer ?
— Non, mère. Tout comme vous, je n'aime pas cette femme. Elle possède un je ne sais quoi qui me trouble.
— Dieu merci, je ne suis pas la seule.
— Gregory leur a ordonné de déménager dans la maison d'hôte.
— Une sage décision. Nous ne l'aurons plus dans nos jambes. Et votre père, où est-il passé ?
— Je ne sais pas. La dernière fois que je l'ai aperçue, il prenait la direction de son bureau.
— Bien. Qu'il y reste. Je ne souhaite pas le revoir immédiatement après son affront.
— Mère ?
— Oui.
— Je suis d'accord pour aller au bal.
Pour la première fois depuis longtemps, son visage s'illumine. Je comprends maintenant que cela lui tient vraiment à cœur de cette histoire de bal. Je ne protesterai pas, je ferais de mon mieux pour ne pas me moquer des coquetteries des autres filles de mon âge.
— Cela fait plaisir à entendre.
Je lui souris avant de partir de la cuisine. J'ignore ce que je dois faire à présent. Je sais qu'il y a beaucoup à faire, comme : retrouver père, chercher ce livre et peut-être me renseigner comment se déroulera la journée de demain. J'aimerais tant parler avec Sebastian. Lui raconter ce que je vis en ce moment dans la maison, mais je ne peux pas. Nous nous sommes quittés en froid. Une dispute idiote. Des illusions d'amours. Des promesses qui ne verront jamais le jour. Je le déteste pour tout cela, mais je l'aime également. Entre la haine et l'amour, la ligne est mince.
******
La nuit tombe, mais je ne trouve pas le sommeil. Assise sur le rebord de mon lit, je regarde le coin de ma chambre où cette vieille femme s'est tenue plutôt dans la journée. Heureusement, cette dernière n'a pas eu le temps de défaire ses valises. Pourquoi père ne les a pas invités dans la maison d'hôte plutôt ? Pourquoi les voulaient-ils dans la maison ? Pour garder un œil sur eux ? J'ai beau y réfléchir, mais je ne le connais pas assez bien pour répondre à mes questions. En fait, toute notre vie a été un mensonge. Qu'est-ce qui le lui a pris ?
Soudainement, j'entends un bruit qui provient de dehors et me presse à regarder par la fenêtre. L'un des hommes qui accompagnent cette vieille femme entre dans la grange. Que peut-il bien y faire et surtout à cette heure ? Je décide donc de me chausser et de sortir discrètement de la maison. Inutile de prendre un fanal, je ne veux pas qu'on s'aperçoive de ma présence. Je ne vois rien d'anormal et les animaux semblent tous calmes à part le border colley. Il gratte le sol frénétiquement à un endroit. Je m'approche tranquillement en essayant de le calmer, mais cela ne fonctionne guère. Butch continue de gratter et se met à japper. Il va attirer l'attention. Je tire sur son collier, mais sa force est trop grande. Habituellement, je ne rencontre aucune difficulté à le faire bouger. Tout à coup, des planches bougent. Une trappe ? Je ne l'ai jamais vu. Je ne comprends pas. Je la soulève et le chien arrête tout mouvement avant d'essayer de m'y pousser avec son museau. J'ignore ce qu'il lui prend, mais j'ai besoin de savoir. Je m'y glisse. Je me fais toute petite et lorsque j'entends la voix de la vieille tante, je me cache dans un coin sombre.
— Alors, Andras. Vous refusez toujours de parler.
— Je n'ai rien à dire.
— Où est le livre ? hurle-t-elle.
— Je ne sais pas. Même si je le savais, je ne vous le révèlerais pas.
— J'ai tué des gens et des créatures pour bien moins que cela.
— Pauvre Jasper, n'est-ce pas, ironise père, toujours été le préféré et le premier à être tué de vos propres mains. Dites-moi quel plaisir avez-vous eu d'avoir tué votre propre fils ?
— Silence.
Un des hommes approche un bâton de fer brulant et le colle à la peau de père. J'étouffe un cri en l'attendant gémir de douleur. L'odeur de chair brulée me force à me pincer le nez. L'action se répète plusieurs fois avant que mon père perde connaissance. La vieille tante hurle de colère. Sa canne frappe l'une des poutres avant de la lancer non loin de moi. Instinctivement, je me recule en l'attendant à leur donnée un ordre.
— Qu'est-ce que vous attendez ? Allez la chercher !
C'est le deuxième qui n'a rien dans les mains qui vient dans ma direction. Je suis dans la pénombre, mais je crains que cela ne suffise pas. Ce dernier s'avance, prend la canne et reste quelques secondes immobile. Je suis certaine qu'il m'a vue, mais étrangement cet homme ne parle pas. Pourquoi ? Qu'est-ce qui l'empêche de me déclarer ? Je reste tout de même à ma place, jusqu'au temps je ne les vois plus. Certaine qu'ils sont partis, je sors de ma cachette en me précipitant vers mon père. Doucement, je lui relève la tête en essayant de lui parler. Ils l'ont enchainé, les bras dans les airs. Impossible pour moi de les enlever, elles sont trop hautes et je n'ai rien pour grimper.
— Jennyfer, souffle-t-il, allez-vous-en.
— Non, pas sans vous. Il faut juste que j'arrive à vous délivrer de ces maudites chaines, essayant de tirer, nous allons partir ensemble.
— Non.
— ...
— Jennyfer. Partez ! m'ordonne-t-il. Il ne faut pas qu'ils vous trouvent près de moi.
— Pourquoi ? Pourquoi vous faire subir de telles horreurs ?
— Parce que... argg... Nous sommes trop différents. Il faut que vous partiez. Trouvez le livre. Il vous donnera les explications que vous cherchez.
— J'ignore où il se trouve.
— Lorsque nous n'en avons pas de besoin, il ne se montre pas. Lorsque vous en avez besoin, il peut apparaitre à un endroit insolite.
— Je n'ai pas le temps de jouer à la cachette. Je dois vite comprendre.
— Un temps pour chaque chose, ma princesse. Seulement, je dois vous mettre en garde.
— Je sais. Je ne dois pas m'approcher de la vieille tante.
— Non. Ne vous approchez pas du Duc. Il est mauvais... Il...
Soudain, la trappe s'ouvre à nouveau et nous pouvons entendre la vieille maudire l'échelle. Avec le cœur lourd, je dois laisser père à son sort. Ce dernier me chuchote qu'il y a une sortie dissimulée derrière lui entre les planches. Je l'enlace une dernière fois avant de m'y faufiler. Je ne me retourne pas. Il hurle et cela me déchire le cœur. Je rampe et j'ignore où cela me mène, car cela me semble être une éternité.
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