— C'est différent pour un mortel. Finit-il par dire. Vous n'avez pas tout d'abord conscience... C'est comme un germe de fleur qui grandit en vous. Au début, vous savez que c'est là, mais ignorez ce qui va en sortir. C'est lorsque les pétales éclosent que vous réalisez de plein fouet ce qui arrive. Pour certains, c'est tellement frappant qu'ils se suicident et d'autres embrassent cette émotion qui les submerge. Cependant, les émotions peuvent être destructrices ou bien être, le contraire.

— Si ce germe ne germe pas ?

— Pour les mortels cela peut prendre des années avant d'en prendre conscience. Parfois, il est trop tard.

— Trop tard ?

— Le mortel meurt.

— Oh. Vous deux, vous en déjà vu des couples d'âme sœur ?

Évidemment, Caden baisse la tête en secouant la tête. En premier lieu, s'il a utilisé l'artéfact c'est parce que ce dernier y croit. Si cette histoire fait partie des légendes, c'est parce que leurs rencontres sont rares. Est-il possible que le dernier couple soit le vrai roi et sa reine ?

— Il y a des années, répond Kildan, ensemble ils étaient beaux à voir, mais également terrifiants. J'étais jeune à l'époque, je ne comprenais pas bien, mais je suppose que cela est formidable.

— Vous n'êtes pas l'âme sœur de mon père ?

— Bien sûr que non ! J'aimais ce qu'il me faisait ressentir...

— Plus maintenant ?

— J'ai l'impression de ne plus le connaitre. Mes sentiments commencent à changer et il le sait. Je lui serais toujours fidèle d'une certaine manière, mais je ne pourrais plus m'afficher avec lui. Je n'ai pas été seule durant les dix-neuf dernières années, me faisant en clin d'œil, j'ai eu maintes de femmes et d'hommes dans mon lit et je ne m'en cache pas.

— Oh.

C'est fou comme Kildan pour être libertin ; chose que je ne suis pas. Je croyais à tort que mon père était son seul compagnon. Cependant, je sais qu'il existe des gens, loin qui de leur partenaire cherchent réconfort auprès d'autres personnes. Caden est né bien avant moi, est-il possible que ce dernier ait connu cette forme de libertinage ? Je balaie cette idée de la tête et m'assois. J'ai toujours pensé que je finirai avec Sebastian. Nous avions grandi ensemble et c'est le seul parmi tous les autres de notre âge qui me donnait de l'importance. Il savait ce que j'étais censée devenir et pourtant, mon ami m'avait laissée croire en un avenir ensemble. Est-ce que j'aurais vraiment eu cette vie que j'idéalisais ou j'allais connaitre un tout autre sort? Une minime part de moi, vouloir y croire, gardant espoir que Sebastian soit toujours le même ; pas celui qu'on me dépeignait d'un chasseur.

— Je crois qu'il est temps de retourner à l'intérieur. Suggère Kildan. Cela sera plus confortable.

Pour une fois, il a raison et nous descendons de l'arbre l'un après l'autre. Caden est le dernier à fermer la marche derrière moi, mais je sens son souffle dans mon cou en ralentissant mon pas. Je reste surprise de sa proximité tout en essayant de ne pas le lui montrer. Lorsque nous entrons, Alissa nous informe que le repas est servi et que nous pouvons passer à table. Cette dernière se joint à nous à cette grande table un peu trop grande peu le nombre de personnes. Caden est à une extrémité, Kildan à sa droite, Alissa à ma droite et moi à l'autre extrémité. C'est la première fois en quelques jours que je ne m'interroge pas si le repas est empoisonné. Je mange sans calculer personne et je gémis presque de plaisir à chaque morceau de viande qui entre dans ma bouche. Je trouve tellement cela bon que j'en ferme les yeux. Lorsque je les ouvre, c'est une Alissa avec le regard amusé qui m'observe. J'avale ma dernière bouchée en déglutissant tranquillement et en jetant un regard à l'autre extrémité de la table. Kildan parle avec son frère qui m'observe affaler dans sa chaise se frottant le menton.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demandé-je tout bas à Alissa.

— Disons que tu nous offres un spectacle divertissant.

— Désolée.

— Il y a longtemps que je n'ai pas vu une personne de constitution normale manger avec tant d'appétit.

— De constitution normale ?

— Hmm... Une personne sans magie.

— Ah. Disons, malgré mon bref séjour chez la reine, j'ai consommé très peu de nourriture.

— J'ai entendu parler ta tentative d'empoisonnement. Tu as eu un bon sens de ne pas accepter ce gruau.

— Qui vous a dit que c'était du gruau ? Je ne l'ai dit à personne.

Alissa se pince les lèvres comprenant qu'elle venait de dire quelque chose que cette la sorcière ne pouvait pas savoir. Je me souviens de l'avoir mentionné, mais pas avec quel ingrédient. Serait-ce Athan qui lui en aurait soufflé mot ? Elle regarde Caden avant de chuchoter :

— Je l'ai su quelques minutes plus tard. On m'a avertie.

— Athan.

Elle hoche la tête.

— C'est comme cela qu'ils ont réussi à me retrouver, soufflé-je, ils ne pouvaient pas savoir où j'étais.

— Pas que. La ficelle que Caden a utilisée pour t'attacher lui a été offerte par le sorcier, il y a plusieurs années. Pour qu'il puisse s'en servir, notre ami ici présent doit utiliser des mots.

— Mais Athan l'a fait...

— Oui, mais il n'en avait pas de besoin puisque c'est lui qui l'a créé. C'était pour faire une diversion au cas où tu t'échapperais. J'ai tout de suite su qui t'avais prise à moi. Cependant, Caden n'est revenu que tard dans la nuit. C'est qu'au petit matin que nous avons pu envoyer un message à Athan qui l'a reçu un peu plus tard.

Ce matin-là, je combattais la reine. Il ne pouvait pas recevoir ce message. Comment ce dernier l'a-t-il reçu ? Je sais que je me suis endormie, fatiguée, de mon combat. Au total, il y aura fallu trois jours pour me retrouver. Qu'auraient-ils fait si j'étais morte ? Un massacre ? Je n'ose même pas l'imaginer.

Je pousse un soupir. La sorcière m'offre un sourire sincère en continuant de manger son plat composé de salade et de fruits. Tout à coup, je n'ai plus vraiment faim. Je jette un regard à Caden qui me regarde toujours. D'où je suis, je ne peux pas entendre ce que son frère lui dit, mais cela ne semble pas être si important. Son regard est rivé sur moi et je n'y lis aucune expression.

— Quelque chose a changé chez toi, enchaine Alissa en brisant le silence, mais je ne saurais dire ce que c'est exactement.

— Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?

— Lorsque je t'ai vu la première fois, ton aura était différent. Tu avais une énergie calme, mais aujourd'hui, je la sens écrasante. Comme si quelque chose s'attachait à toi et essayait de fusionner son aura à la tienne. Je n'ai jamais vu cela.

— Vous êtes une liseuse d'aura... Est-ce que vous êtes capable de lire leur aura ?

— Bien sûr. Elle tourne la tête vers les deux hommes. Kildan, disons que c'est un arc-en-ciel, ouvert de toutes les manières qu'il soit. Plus libertin. Caden, c'est plutôt orange, nuancé de plusieurs rouges.

— Nuancé ?

— Son tempérament colérique à s'emporter pour rien, tu dois l'avoir remarqué. Et son amour. Bien sûr, son aura d'amour est plus forte que la tienne vu que tu es mortelle et que tu n'as pas accepté le lien qui vous unit.

— Qu'arrivera-t-il si je ne l'acceptais jamais ?

Son visage devient triste en se tournant vers moi. Je ne suis pas comme elle, je ne peux pas lire les gens, mais je sais que cette dernière se préoccupe de son ami. J'ignore comment ils sont grandis ensemble et quels sentiments ces derniers ont pu éprouver, mais il est certain que ces gens-là ont un profond respect l'un pour l'autre.

— L'agonie d'un loup est lente et déchirante. Rares sont ceux qui dépassent le premier stade. Tu sais Caden, malgré son air de brute c'est une personne au grand cœur. Comme tout le monde, on a tous un mauvais côté au fond. Le seul conseil que je pourrais te donner est de lui donner un peu de temps. Tu ne le regretteras pas.

Silencieusement, je hoche la tête en recueillant le conseil qu'elle me donne. Je jette un regard à Caden. Pourquoi devrais-je vraiment les prendre en considération ? Dans quel but ? Son but n'est pas le mien. Certes, j'ai toujours voulu connaitre le grand amour. Décider pour moi-même qui sera plus apte à me mériter. C'est toujours ce que je veux, mais j'ai l'impression d'espérer quelque chose qui n'arrivera jamais. Sebastian est toujours présent dans mon esprit en tant qu'idéal pour moi, mais est-ce que c'est parce qu'il est la seule personne que j'ai connue ? Je ne sais plus quoi penser. Tout arrive tellement vite.