Chapitre 15



Je ne me souviens pas quand mes jambes ont été endolories après une chevauchée. Je ne sens presque plus mes jambes et j'ai de la difficulté à trouver une position confortable. Trop avant. Trop en arrière. Trop collée à lui. J'envie mon père d'avoir une monture pour lui seul. De plus, j'ai tellement faim que j'en ai des vertiges. J'aurais dû manger quelque chose. J'ai été sotte de refuser. Ce qui ne m'aide pas, c'est ce maudit soleil qui est plus chaud que dans les hautes saisons de mon monde. Je ne me sens pas vraiment bien. Mon corps penche soudainement vers le côté de manière involontaire et je sens qu'on me retient. Je suis déjà partie ailleurs. J'ai l'impression d'entendre que des échos des voix qui m'entourent. Je sens tout de même qu'on me soulève et qu'on m'allonge dans l'herbe.

Que se passe-t-il ? Qu'avez-vous fait à ma fille ? demande mon père avec une pointe de colère dans sa voix.

Rien. En tout cas, pour l'instant, je ne lui ai rien fait.

Elle n'a jamais fait cela. Ce n'est pas normal.

...

Caden, a-t-elle mangé, ce matin. Demande Kildan.

Non. Elle n'a pas voulu.

Comment as-tu pu laisser faire ça ?

Cette chose est une vraie tête de mule... Je le lui ai proposé, mais elle n'a pas voulu.

Oui, mais même. Tu aurais dû la forcer à manger au moins quelque chose. Si elle n'a rien mangé, Jennyfer est en faiblesse et notre soleil est plus chaud que le sien. Ça ne m'étonne pas qu'elle soit dans un état pareil.

Je vais voir s'il n'y aurait pas des fruits dans la forêt.

Et un peu d'eau.

Je n'entends plus rien par la suite. Pourquoi Kildan se préoccupe-t-il de mon sort ? Je ne comprends pas. Je dois surement divaguer. Cela prend plusieurs minutes quand j'entends à nouveau la voix de Caden. Une nouvelle chaleur m'enveloppe lorsqu'on me prend dans les bras. À qui appartiennent-ils ?

— Tout va bien aller maintenant.

C'est lui. C'est sa voix. Pourquoi me semble-t-elle si douce ?

— Mange, bichette. Tu dois reprendre des forces.

Bichette ? Encore ce surnom ridicule. J'ai envie de lui mettre une gifle, mais je n'en ai pas la force. L'odeur de framboise me vient soudainement au nez. Mes lèvres s'humidifient et ma bouche s'ouvre machinalement. Tranquillement, on y insère les petits fruits que je savoure. Les baies me font du bien, plus que je le pensais. Vient au tour de l'eau. Mon Dieu ! Comme cela me fait du bien. Cela revit mon corps. Après un certain temps, je finis par ouvrir les yeux, la migraine est toujours là, mais beaucoup moins affreuse. Mon regard se pose sur Caden, dont le visage semble – inquiet ? Ses yeux reluisent d'un effet doré pendant une seconde. Ai-je rêvé ?

— Comment vas-tu ? me demande-t-il.

— Hmm... Mieux.

— Bien.

Nos regards restent accrochés un moment, je ne comprends pas vraiment ce qui se passe, mais je sais que je me sens étrange. Une émotion que je ne connais pas veut prendre le contrôle, ce que je refuse. C'est le raclement de gorge de Kildan qui nous fait détourner le regard ; surtout moi.

— Il serait sage de camper ici, pour ce soir.

— Hors de question, proteste Caden, il reste quelques heures avant...

— Nous n'arriverons que demain soir quand même. Il serait imprudent de reprendre la route. Si elle tombait de cheval pour de bon ? Vaut mieux préparer un feu et chasser quelque chose. Tout le monde aura repris ses forces.

— Hmm...

— Tu sais que j'ai raison, Caden.

— Et je déteste vraiment ça.

Kildan hausse les épaules en souriant. Je me demande ce qu'ils sont vraiment. Ce dernier n'agit pas comme avec mon père. On dirait plus des interactions fraternelles. Je peux peut-être me tromper, mais cela peut-il être possible ? Caden se lève, je dois rester droite par moi-même et j'ai soudain froid.

— Je vais préparer le feu. Dis ce dernier.

— Parfait, je vais aller chasser.

Caden me jette un regard et Kildan pose une main sur son épaule en disant :

— Elle ne peut aller bien loin, dans son état. Et Andras s'occupera de sa fille, si tu y tiens. Il sait que c'est impossible de fuir.

Mon ravisseur ne dit pas un mot et se contente de hocher la tête. Kildan finit par disparaitre dans les broussailles, tandis que je me prends la tête à deux mains. Je n'ai peut-être plus de vertige, mais j'ai toujours ce petit mal de tête. J'ai été idiote de ne pas manger avant de partir. Je soupire et une main se pose sur mon épaule. Je reconnais la délicatesse de père, mais je ne suis tout même pas rassuré de sa présence. Je ne sais plus quoi penser de tout cela. Si Sebastian n'arrivait pas à nous rejoindre ? Si je ne réussissais pas à m'enfuir ? Je ne connais pas les conditions de vie de ce monde à part le fait que les filles de la lignée de mon père ne me sont pas très favorables. Que vais-je devenir ?

— Princesse, dit mon père, vous avez été idiote de ne pas manger ce matin.

— Je le sais, je rétorque, il n'est pas nécessaire de me faire plus de remontrances. J'ai juste voulu lui tenir tête.

— Vous n'êtes pas en position de marchander quoi que ce soit. Nous ne sommes pas dans l'autre monde. Il y a des lois strictes.

— Auxquelles je dois me plier parce que votre sang coule dans mes veines. Je l'ai très bien compris.

— Je ne crois pas que vous ayez vraiment saisi, ma fille.

— Expliquez-moi, je ne demande que cela.

— Hélas, nous sommes en terrain hostile. Si nous n'avons pas encore été attaqués, c'est parce que personne n'est au courant que le futur roi est aux alentours. Ce n'est pas tout le monde qui aime...

— Mais l'aubergiste le savait.

— Il y a quelques partisans un peu partout, mais ils sont peu nombreux. Avez-vous lu le livre, entièrement.

— Je n'ai pas eu le temps.

— Alors... Vous ne savez pas tout. Il fallait que vous le lisiez.

Pardonnez-moi si j'avais mieux à faire. Ai-je le goût de lui répondre, mais je me tais. Je ne pouvais pas rester plantée là à lire quand je ne savais pas ce qui se passait au-dehors. Je devais faire semblant que tout allait bien aller. Ne soucie-t-il donc pas du sort de mère ou même de mes frères ? À croire que maintenant, rien ne compte pour lui.

Je grimace en détournant la tête et observe Caden essayer d'allumer un feu. Comme cela il ne prendra jamais. Je me lève et m'agenouille à ses côtés en creusant un peu la terre avant d'installer des pierres pour monter le feu. Ce dernier me regarde en fronçant les sourcils. J'avais pris l'habitude d'en faire avec Sebastian et seule parfois lorsque je me rendais à la plage. J'installe quelques brins d'herbes et d'écorces ramener par ce dernier, mais je n'ai rien pour faire des étincelles. Tout de même, c'est comme cela que je lui dis :

— C'est comme cela qu'un feu se construit. Je n'ai rien pour l'allumer en revanche.

Silencieusement, il hoche la tête et tend une main vers le feu. Tout bas, Caden dit :

Yol-aidu !

Des étincelles se forment sous les branches. Comment a-t-il pu faire cela ? Est-ce de la magie ? Existe-t-elle dans ce monde ? Je reste fascinée devant l'ampleur que prend ce feu. On me fait reculer, lorsque je me rends compte que je suis trop près. Je ne me souviens pas de m'y être approchée autant. Caden et mon père me regardent bizarrement et j'ai de nouveau mal à la tête. Je vais m'asseoir à nouveau au pied de l'arbre en fermant les yeux. Les baies ne m'ont pas autant rassasiée que je le pensais.

Quelque temps plus tard, Kildan finit par revenir presque nu, ce qui est étrange avec cinq lièvres. C'est mon père qui les prépare ; dire que je ne l'ai vraiment jamais vu bouger le petit doigt pour aider à la maison. Ce monde-ci le transforme ou plutôt le fait redevenir lui-même.

Ce n'est qu'à la tombée de la nuit que nous mangeons. Tout est calme. Je n'aime pas vraiment cela. Depuis toujours, je dois supporter les commérages de mère lors des repas et les bagarres de mes frères pour les derniers petits pains. Et maintenant, rien. Même pas pour se jeter sur la dernière patte de cet animal.

— Nous devrions songer à dormir, un peu ? Suggère Kildan.

— Il est encore tôt, proteste père, il serait sage d'attendre. Nous ignorons ce qui peut se cacher dans la nuit.

— Il n'y a rien aux alentours. En chasse, j'ai prêté une attention particulière à ce qui a autour de nous.

— Il a raison Kildan. Nous devrions faire chacun un tour de garde.

— Et que fais-tu d'elle ? Rétorque l'ami de mon père en me désignant de la tête.

Sans même me regarder, je sens la colère de Caden. Je crois que c'est de la colère parce que je n'arrive pas à le déchiffrer.

— Elle pourra nous faire du tort, pendant la nuit. Continu Kildan comme si je n'étais pas là.

— Que voudrais-tu qu'elle fasse ? Ricane celui qui m'a kidnappée. Qu'elle me poignarde durant la nuit ?

— Ne la surestime pas. Elle était amie avec un chasseur.

Le mot chasseur, le fait sortir de ses gonds. J'ignore s'il connait les lois de ces derniers. Je devrais peut-être mourir par la main de mon meilleur ami ou pire, non je ne vois rien de pire. Caden se lève en grognant et me pousse à me lever en m'empoignant un bras. Je lutte comme je peux, mais il resserre son emprise sur moi. Mon père ne bronche même pas et je comprends que je suis seule dans ce monde étrange.

— Lâchez-moi, hurlé-je, vous me faites mal.

Ses sourcils se froncent et surpris, il me relâche. C'est comme si je venais de le brûler. Caden passe une main dans ses cheveux en disant :

— Couche-toi. Il faut que tu dormes.

— Je n'ai pas sommeil.

Au contraire, j'ai besoin de dormir, mais j'ai besoin de lui tenir tête.

— Ne me force pas.

— Sinon quoi ?

Soudain, je sens quelque chose d'étrange autour de moi. C'est comme si on essayait de s'introduire invisiblement dans mon espace vital pour me soumettre. Me soumettre à quoi ? Je lutte. La sueur perle sur mon visage et mes jambes flanche sous mon poids. Caden sourit en disant :

— Bonne fille !

Je ne suis pas une chienne ! ai-je le goût de lui crier dessus, mais les mots ne sortent pas. Non, quelque chose m'en empêche. Il s'agenouille devant moi et sort quelque chose d'une de ses poches. Une ficelle ? Caden noue un nœud à son poignet puis tend une main pour attraper le mien, mais j'ai un mouvement de recul. Il inspire, puis me force à lui tendre et noue l'autre extrémité à mon poignet.

— Comme ça, je sais que tu ne bougeras pas.

Je croise les bras sur ma poitrine et il sourit en retournant près du feu. La longueur de cette ficelle est impressionnante. J'essaie de défaire le nœud en discrétion, mais cela ne fonctionne pas. Je grince un peu de dents et me couche sur le dos. Je n'arriverais pas à dormir. 

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