CHAPITRE 36

— J'ai besoin de me rafraîchir, un peu, dis-je.

Cela faisait une heure que nous avions repris la route, et chaque instant de ce moment passée ensemble était gravé dans ma mémoire, comme un rêve éveillé. C'était comme si je vivais sur un nuage, flottant dans un état de bonheur pur. Je me sentais si légère, si... je ne sais pas, spéciale. Une chaleur douce envahissait mon cœur, et un sourire se dessinait sur mes lèvres à chaque pensée qui me ramenait à lui.

Je croisai son regard, et je vis une lueur d'inquiétude mêlée à de la tendresse dans ses yeux. Il m'embrassa du regard, comme s'il voulait me garder près de lui, et s'apprêtait à me suivre, prêt à m'accompagner.

— Non, Weiss, je ne vais pas loin, je reviens, lui assurai-je.

L'envie était pressante, et je savais que je ne pouvais pas attendre plus longtemps. Il fallait que je soulage ma vessie. Je m'avançai dans le bois, mes pas feutrés sur le sol recouvert de feuilles mortes, à la recherche d'un endroit discret. Mes yeux se posèrent sur un tronc d'arbre, solide et large, qui ferait parfaitement l'affaire. Je m'approchai, soulagée à l'idée de pouvoir enfin me libérer de cette gêne.

Alors que je m'apprêtais à me soulager, un craquement retentit, un bruit distinct qui brisa le silence apaisant de la forêt. Mon cœur s'accéléra, et je me figeai sur place.

— Weiss ? appelai-je, espérant qu'il se trouvait à proximité.

Mais aucun son ne me parvint, hormis un autre craquement de branche, plus proche cette fois. Je me relevai rapidement, mon instinct de survie en alerte, guettant les alentours avec une attention accrue. La lumière de la lune filtrait à travers les arbres, projetant des ombres dansantes qui semblaient se mouvoir autour de moi.

— Weiss, ce n'est pas drôle, tu me fais peur, dis-je, ma voix trahissant une pointe d'angoisse.

Je scrutai les buissons et les ombres, mon cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. Chaque bruissement de feuilles, chaque craquement de branche me faisait sursauter. Soudain, sans pouvoir réagir à temps, ni crier, une main se referma brutalement sur ma bouche, étouffant tout son qui aurait pu s'échapper. L'autre main se posa fermement sur ma hanche, me maintenant en place avec une force écrasante. Mon esprit s'embrouilla, et je tentai de me débattre, mais c'était comme lutter contre un mur de béton. La panique s'empara de moi, et je sentis une douleur atroce me frapper à la tête, comme si un coup de marteau venait de s'abattre sur moi.

Tout devint flou, et je me retrouvai à tomber dans l'inconscience, le monde autour de moi s'évanouissant lentement dans un noir profond. Les derniers éclats de lumière dansaient devant mes yeux, et je me sentis glisser.

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J'ouvris les yeux avec difficulté, mes paupières pesant comme si elles étaient alourdies par des pierres. Une douleur lancinante pulsait à l'arrière de mon crâne. Je portai instinctivement une main à ma tête, et mes doigts rencontrèrent une texture collante et chaude. En les retirant, je découvris qu'ils étaient couverts de sang, le rouge vif contrastant avec ma peau.

Mes poignets étaient liés par une chaîne en métal rugueux, et je pouvais sentir le froid du métal contre ma peau. Mes jambes étaient également entravées, immobilisées par une autre chaîne qui me maintenait au sol. J'essayai de tirer dessus, mes muscles se contractant sous l'effort, mais c'était peine perdue. La chaîne était trop solide, et chaque mouvement ne faisait qu'accentuer la douleur qui irradiait de mes poignets.

Je pris un moment pour évaluer ma situation. J'étais dans une grotte, l'air humide et frais m'entourant, et tout était plongé dans une obscurité presque totale. Les parois de la grotte étaient rugueuses et froides, et je pouvais entendre le léger écho de gouttes d'eau tombant quelque part dans l'obscurité. L'odeur de terre humide et de pierre m'enveloppait.

Ou-est ce que j'étais ?

Soudain, des bruits résonnèrent dans l'obscurité, brisant le silence oppressant de la grotte. Mon cœur s'emballa, et je me reculai instinctivement contre le mur froid et humide, cherchant à me protéger en ramenant mes genoux contre ma poitrine. La pierre était glaciale contre ma peau, mais je n'y prêtais guère attention, trop préoccupée par l'inconnu qui approchait.

Un homme d'âge moyen apparut alors, émergeant des ombres. Ses cheveux, attachés en arrière, étaient légèrement grisonnants. Une barbe mal taillée encadrait son visage, ajoutant à son allure sauvage et négligée. Ses yeux, d'un bleu perçant, me scrutèrent avec une intensité qui me fit frissonner. Ils semblaient sonder mon âme, cherchant à déceler mes pensées les plus profondes.

Il s'avança lentement, ses pas résonnant sur le sol de pierre, et prit place sur un rocher face à moi. La lumière tamisée qui filtrait à travers les fissures de la grotte mettait en relief les traits marqués de son visage. Son regard me mettait mal à l'aise. Il y avait quelque chose de dérangeant dans la façon dont il me scrutait, une curiosité mêlée à une froideur qui me glaçait le sang.

Pourtant, en dépit de l'inquiétude qu'il suscitait en moi, son visage ne me semblait pas totalement inconnu.

— Je n'ai pas eu d'autre choix que de te rencontrer de cette manière, tu m'en excuseras, commença-t-il d'une voix grave, résonnant dans l'écho de la grotte. Ses mots étaient chargés d'une gravité qui me fit frissonner, comme si chaque syllabe portait le poids d'un secret lourd à porter. Il marqua une pause, me scrutant.

— Tu dois probablement te demander qui je suis ?

Je le fixai, incapable de prononcer le moindre mot. Mon esprit était en proie à un tourbillon de pensées, cherchant désespérément à comprendre la situation. Il éclata soudain de rire, un son qui résonna dans la grotte comme un écho sinistre.

— Ne t'inquiète pas, je ne suis pas ici pour te faire du mal, continua-t-il, son ton se radoucissant légèrement. Laisse-moi te raconter une histoire.

Il s'éclaircit la gorge, prenant un moment pour rassembler ses pensées.

— Il y a une bonne trentaine d'années, j'ai rencontré une femme d'une beauté incroyable. Une beauté si envoûtante qu'elle pouvait faire tomber n'importe qui sous son charme. Étrangement, cette femme est tombée amoureuse de moi, mais il y avait un problème : elle venait d'une famille puissante, une lignée dont personne n'osait s'approcher.

Les Amarokić, pensai-je, en me remémorant le sixième trône vide.

— « Notre histoire d'amour était vouée à l'échec, car elle ne pouvait pas renoncer à sa famille. Et pourtant, c'est exactement ce qu'elle a fait. Au début, nous étions heureux, mais je n'avais rien à lui offrir. Pas de terres, pas de titre d'alpha. À moins que je ne devienne un alpha moi-même, et il se trouve que j'avais un frère qui occupait ce rôle. »

Mon cœur s'arrêta, réalisant l'ampleur de ce qu'il avait dû faire pour atteindre ses objectifs.

« Ne me regarde pas comme ça, dit-il, un éclat de défi dans ses yeux. Je ne suis pas un monstre. Enfin... presque. J'ai massacré la meute de mon frère. Mais cela n'a pas eu l'effet escompté. L'amour de ma vie a décidé autrement. Elle m'a rejeté, m'insultant d'assassin, et en utilisant ses pouvoirs d'Originelle, elle m'a relégué à l'écart, me dépouillant de toute force »

Sa voix tremblait légèrement, trahissant une douleur profonde.

« Vingt-cinq ans d'exil, une éternité à errer dans l'ombre de mes propres choix, avant de retrouver enfin ma force et mon loup. Ce fut un chemin semé d'embûches, où chaque jour était une lutte pour ne pas sombrer. Mais la surprise qui m'attendait à mon retour fut bien plus dévastatrice que tout ce que j'avais pu imaginer. Lorsque j'ai enfin retrouvé ma force, j'ai découvert qu'une vérité m'avait été cachée pendant toutes ces années. Elle était enceinte, cette femme que j'avais aimée, et elle ne m'avait jamais révélé l'existence de notre enfant. Mais ce n'était pas tout. En creusant un peu plus dans les méandres de cette nouvelle réalité, j'ai appris que ma fille avait épousé mon neveu, le fils du frère que j'avais tué. »

Mon cœur battait la chamade. Une vague de nausée m'envahit soudainement, me laissant désorientée et prête à m'effondrer. L'air semblait se raréfier autour de moi.

— Pourquoi, vous me racontez tout ça ? osai-je demander.

Il éclata de rire, un son qui résonna dans la pièce comme un écho sinistre. Ses yeux, d'un bleu perçant, se plantèrent dans les miens avec une intensité qui me fit frémir. C'était comme s'il pouvait lire chaque pensée, chaque peur enfouie au plus profond de moi.

— Layla, prononça-t-il lentement, en articulant chaque syllabe avec une précision délibérée. Cela me fit frémir, comme si son nom sur ses lèvres était une incantation. Tu es ma fille.

Je secouai la tête avec force, comme si cela pouvait effacer ses mots.

— Non, dis-je, ma voix se brisant. Vous mentez ! Je suis la fille de l'alpha Sven, de la meute nocturne. C'est impossible !

Les mots sortaient de ma bouche désespérée, mais au fond de moi, une petite voix commençait à murmurer des doutes. Les pièces du puzzle de ma vie semblaient se réorganiser, mais je refusais de les accepter. L'idée que cet homme, cet étranger, puisse être mon père était trop lourde à porter. Je me sentais comme une marionnette, manipulée par des fils invisibles, et je luttais pour reprendre le contrôle de ma propre histoire.

֎

Des heures s'étaient écoulées, et je n'avais pas prononcé le moindre mot. Le silence pesant était comme une couverture oppressante qui m'enveloppait. Mes pensées tourbillonnaient, se heurtant les unes aux autres dans un chaos désordonné. Je repensais à mon enfance, à ces souvenirs qui, autrefois, semblaient si lointains, mais qui maintenant revenaient à la surface avec une clarté déconcertante.

Je me remémorais le rejet de cet homme que j'avais toujours appelé « père », celui qui, en réalité, ne l'était pas. Chaque moment de brutalité, chaque regard empreint de dédain qu'il m'avait lancé, prenait un sens nouveau. Je n'étais pas sa fille, mais plutôt un fardeau qu'il avait dû porter. Ma mère, cette femme que je n'avais jamais connue, était morte en couches, me laissant seule dans un monde qui ne voulait pas de moi.

Il avait dû découvrir bien après ma naissance que je n'étais pas sa progéniture, que je n'étais qu'un souvenir douloureux de l'amour perdu de ma mère. Ce constat me frappait comme un coup de poing dans le ventre.

Je levai lentement le regard, et un frisson glacé parcourut mon échine. Cet homme, devant moi, était l'assassin des parents de Weiss. J'étais la fille du meurtrier de ses parents. Les larmes commencèrent à couler sur mon visage, chaudes et salées, traçant des sillons sur mes joues. Chaque goutte semblait porter le poids de ma douleur, de ma colère et de ma confusion.

Je me redressai alors qu'il s'approchait de moi, une assiette en main qu'il déposa devant moi, m'invitant à me nourrir. Ses yeux, perçants et observateurs, s'attardèrent sur mes mains et mes griffes. Instinctivement, je refermai mes doigts en un poing, cherchant à les dissimuler. Un rictus se dessina sur le coin de ses lèvres, révélant une satisfaction malveillante.

— Encore un coup de ta mère, visiblement, rit-il.

Je fronçai les sourcils.

— Tu n'es pas déficiente, si c'est ce que tu penses, poursuivit-il, son ton se faisant plus sérieux. Ta mère a dû faire sceller tes gènes pour que personne ne te retrouve. Tu les retrouveras bientôt, à ce que je vois.

— Comment le savez-vous ? demandai-je, ma voix tremblant légèrement, à la fois curieuse et méfiante.

Je ne pouvais m'empêcher de me demander ce qu'il savait réellement.

— Tu peux m'appeler papa, rit-il d'un ton sinistre, un sourire cruel se dessinant sur ses lèvres. Ta mère était une Amarokić, une femme d'une intelligence redoutable. Sceller tes gènes a dû lui demander une énergie colossale, et c'est peut-être cela qui a précipité sa mort. Elle voulait probablement que tu sois en sécurité, que tu sois entourée de ceux qui t'aiment véritablement. Elle espérait visiblement qu'au moment où tes gènes se manifesteraient, tu aurais à tes côtés quelqu'un en qui tu pourrais avoir confiance, quelqu'un qui te protégerait. Et visiblement, mon neveu Weiss remplit toutes ces cases.

Mon cœur battait la chamade alors que je réalisai l'ampleur de ses mots.

— Oh, tu n'avais pas pris conscience que tu aimais Weiss. 

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