2- Martial et son père

Martial

Les murmures enflent sur la lutte de cette nuit entre l'alpha et moi.

...Il parait que Martial a rendu tous les coups à son père !...

...Ils s'entendent comme chien et chat !...

...À qui le dis-tu ! ...On se demande lequel il va désigner comme le prochain alpha, parmi les deux fils....

...Oui mais un des deux n'est que son fils adoptif ....

Quelle bande de commères ! Nous sommes des loups, parfois on dirait des poules qui caquettent.

Mon père est dressé à l'autre bout de la grande place, raide comme un piquet avec son œil au beurre noir. J'affiche des traces de morsures et de coups qui s'estompent déjà, nous guérissons plus vite que les humains.

Mon demi-frère Paul, reste près de lui, blond aux yeux bleus à son image et montre ainsi qu'il se voit bien son digne successeur. Paul est en réalité mon cousin, il a été adopté par mes parents.

Ma mère, la cheffe du village a pleuré quand elle a su pour notre bagarre, avant de hurler que nous étions deux imbéciles. Elle se tient près de moi, tendre, enrobée, avec des cheveux châtains ébouriffés en un énorme chignon, des prunelles foncées, j'ai tout hérité d'elle. Il ne faut pas s'y fier, elle a aussi mauvais caractère que lui.

La Luna me bouscule, me faisant signe d'aller me réconcilier, je fais semblant de ne pas comprendre.

Je suis costaud, avec une petite bedaine qui m'a longtemps valu le surnom de « bouboule ». C'est injustifié et je n'ai pas tant de ventre, même si je n'ai pas les abdominaux plats. Sous la couche de graisse, il y a tout ce qu'il faut et l'alpha a pu s'en rendre compte hier soir, parce que mon loup lui a mis une bonne raclée quand même.

Nous nous sommes battus, pour une bêtise, j'ai levé les yeux au ciel pour un ordre stupide, il m'a sauté dessus aussitôt, et j'ai riposté, tandis que mon frère s'en est mêlé ce qui revient toujours à envenimer les choses.

Je ferme les yeux de dépit : tu parles d'un frère ! Ce jaloux est une plaie ! Je me tue à le rabâcher, en vain, je soupçonne mon paternel de le préférer.

Le pire, c'est que mon cousin a pu faire les études qu'il veut, mais moi, Mossieur désapprouve mon choix de devenir vétérinaire, il voulait que je suive une formation militaire.

Le timing pour notre dispute est mal choisi ou au contraire, idéal. Je ne le reverrai plus pendant un moment puisque les étudiants, nous quittons notre village secret, perché dans les montagnes pour nous rendre à Nice, la grande zone neutre pour toutes les populations magiques.

Notre départ est l'attraction de la journée. Les plus jeunes courent autour de nous, admirant, envieux, nos bolides.

L'air est frais en altitude, il bruine déjà et la neige ne va pas tarder. Le temps humide n'a pas découragé les villageois qui sont tous venus nous dire au revoir sur la prairie d'herbage qui nous tient lieu de grande place. Les ulfarks aiment la nature et les espaces sauvages.

Val Saint Marcel est un coin charmant et pittoresque, avec ses chalets disséminés dans la verdure parmi la forêt. Toutes les routes sont en terre battue, avec option ornières géantes et précipices, histoire de décourager le rare touriste qui oserait se perdre ici.

J'ouvre la porte de la voiture, j'ai cru que ce moment ne viendrait jamais.

Mon père a encore fait son tyran, tout l'été, avant d'avoir l'autorisation de partir, nous avons eu droit à un entrainement intensif sur les techniques de combat et le maniement des armes.

Cet homme est un maniaque du contrôle, sans doute à cause de l'attaque meurtrière, qu'a subie la famille de mon oncle.

Personne ne sait ce qu'il s'est passé, cette nuit où les parents de Paul ont été sauvagement assassinés. Il était le seul survivant, âgé de deux ans et parlait à peine, il ne se rappelait rien. Moi, j'étais un bébé de quelques mois.

Malgré notre apparence humaine, en réalité nous sommes sauvages, notre part animale et nos instincts primaires ne sont pas émoussés.

Jusqu'à il y a peu, nos bêtes tuaient, sans état d'âme, tous ceux qui n'étaient pas normaux ! Mon arrière-grand-père a bouffé tous ses frères et émasculé plusieurs amis à lui, pour être sûr d'être l'alpha et ça c'est vraiment nous !

Heureusement, mon grand-père Novam a révolutionné notre meute en privilégiant des valeurs humaines et morales.

Je fais un énorme câlin à ma mère, et un signe de tête à l'alpha qui s'appuie sur Paul.

Je prends le volant d'une monstrueuse Audi, admirant ses équipements et la sellerie de cuir. Le moteur ronfle, prometteur, et j'ai hâte de tester la bête dans la descente pour rejoindre la vallée. Dimitri s'installe à côté de moi, les deux autres voitures se mettent en convoi. Un coup d'œil dans mon rétroviseur me confirme que Mika et Luc aux volants, sont prêts. Nous avons hâte de découvrir l'animation de la ville, la liberté. Bon accessoirement, il nous faudra aussi étudier.

Nous klaxonnons et nous lançons après des derniers saluts de la main.

Dimitri, le grand brun baraqué, se tourne vers moi alors que nous sommes secoués dans les nids de poule.

─ Ça va ? Tu arrives à conduire, quand même ? Il n'y a que toi, pour te coltiner l'alpha en bagarre.

─ Tranquille ! Écoute-moi cette merveille ! Je fais ronfler le moteur en appuyant sur l'accélérateur.

Notre groupe ne sera pas au complet. Jo, le jumeau de Luc, nous a lâchés. Il préfère rester dans les montagnes, pour travailler dans une de nos entreprises de construction qui installent les remontées mécaniques.

Sur la route, nous fonçons, faisant la course entre nos véhicules, oubliant toutes les recommandations qui nous ont été faites, à croire que nous sommes pressés d'étudier. Les filles de la meute sont parties avant nous, elles voulaient faire du shopping, avant que les cours ne commencent. Elles rejoignent un bâtiment destiné aux louves, car filles et garçons sont séparés à nos âges. Nous, nous irons dans le dortoir des étudiants.

Mon frère sera en stage à Annecy pour trois mois, donc j'aurai un répit, avant de devoir supporter ce cafard. Malheureusement, il reprendra les cours à la fac, après les vacances de Noël et là, adieu ma tranquillité !

Loin de la meute, j'espère oublier l'épée suspendue au-dessus de ma tête, et tout ce qu'on attend de moi, toutes ses sollicitations auxquelles je ne suis pas sûr de pouvoir répondre.

L'organisation des ulfarks, calquée sur celle des loups, fonctionne avec un seul chef : l'alpha.

En théorie, le titre se transmet de père en fils, donc Paul et moi sommes les deux candidats potentiels. L'un de nous doit se désigner ou renoncer à ce rôle. Les choses ne seront pas encore définitives, car il faudra aussi se faire adopter par la meute. Si je ne prends pas le titre d'alpha, ce sera lui ! Je ne sais pas si je veux guider les miens, mais je suis sûr de ne pas vouloir lui obéir ! Parfois, mon avenir me parait plus noir qu'un puits sans fond. Au moins, en attendant ce jour du choix, je bénéficie des pouvoirs hérités de mon rang. C'est pratique, je suis plus fort que les autres, je guéris plus rapidement et je peux donner un ordre en imposant ma volonté, que les autres loups sont obligés de suivre.

Je conduis de plus en plus vite et Dimitri me fait signe de lever le pied.

J'ai l'impression de foncer vers la liberté, loin de ma famille et de la meute. Adieu mes soucis comme mon père, jamais content. Karen, mon ex-petite-amie, vient de me larguer, parce que je n'étais pas assez rusé, pas assez impliqué. Elle le répétait tellement, c'est malin, mes copains m'ont surnommé « pas-assez ».

Elle sort désormais avec mon cousin, qui a dû la convaincre qu'il deviendrait l'alpha et comme elle est déterminée à être la future Luna après ma mère, elle a simplement changé de mec. Il veut tout ce que j'ai, ce con insupportable !

La surprise pour moi, c'est le soulagement que j'ai ressenti quand elle m'a largué.

Nous nous sommes battus avec Paul, c'était une question d'honneur et je l'ai remercié de m'avoir libéré. Je me suis régalé quand j'ai vu la fureur dans ses yeux de rat, pendant qu'il me rouait de coups.

Peut-être qu'elle a préféré le blond au regard bleu, celui qui ressemble vraiment à un Markalan.

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