Chapitre 3
Dejun enfila un long gilet par-dessus son pyjama, sauta dans une paire de chaussures qu'il attacha rapidement avant de descendre les escaliers. Le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine, il se demandait s'il faisait bien d'agir. Il doutait, pour autant il ne s'arrêta pas de courir afin de rejoindre l'extérieur. Il mit un petit temps pour comprendre comment atteindre l'arrière de l'auberge et se coinça le doigt dans un petit portillon, mais enfin il arriva là où il le souhaitait. La situation se dégradait doucement, mais par chance il n'arrivait pas trop tard non plus.
Le comptable retrouva la bande de jeunes dont les cris et bavardages risquaient de réveiller tout le voisinage et il soupira en comprenant que l'air frais ne les avait pas fait décuver. Au contraire, ils semblaient être allés se ravitailler quelque part puisque des cadavres de bières jonchaient le sol à leurs pieds et qu'il ne s'agissait pas de produits proposés par l'auberge. Ils tentaient de faire des avances étranges à un jeune homme et l'avaient encerclé, l'empêchant de s'en aller. Le garçon en question, un grand châtain bouclé et au visage juvénile, avait les bras croisés sur la poitrine et grondait dès qu'un geste était fait dans sa direction. Assez souvent donc. Dejun se rapprocha doucement jusqu'à être en mesure d'entendre ce qui se disait.
— Allez, viens avec nous, rit l'un des ivrognes.
— J'ai déjà dit non, foutez-moi la paix les alcoolos.
— Un oméga qui ne se prend pas pour de la merde, t'as pas été éduqué dans ta petite forêt ? ricana un autre.
Dejun écarquilla les yeux, il n'aurait jamais cru qu'un oméga puisse faire preuve d'autant d'aplomb et pourtant, l'autre ne semblait pas perturbé par les événements. Il restait calme, même si Dejun voyait sa mâchoire se serrer de temps à autre. Il n'y avait pas que ça d'étrange chez lui d'ailleurs, sa veste en cuir lui donnait un air rebelle peu courant pour sa condition et il était bien plus grand que la majorité des gens de leur classe. Dejun pariait qu'il faisait un mètre quatre-vingt ou un peu plus, soit presque dix centimètres de plus que lui.
— Ouais ouais, je suis un ignorant. Ne perdez donc pas votre temps et allez voir ailleurs si j'y suis, soupira l'inconnu en roulant des yeux.
— T'inquiète beauté, on va te montrer ce que c'est des gars de la ville, tu dois pas avoir l'habitude de croiser des vrais mecs par ici, ça va te plaire.
Dejun se recroquevilla lorsque deux des loups alcoolisés attrapèrent les bras de l'oméga qui avait éclaté d'un rire cynique. Ce dernier tenta de se défaire de leur poigne sans grand succès, et lorsque l'un des vacanciers vint lui saisir le menton, Dejun sauta hors de sa cachette. Il était terrifié, à deux doigts du malaise tant son cœur tambourinait dans sa poitrine, mais il restait incapable d'assister à une agression sans intervenir. Il mit tout son poids pour bousculer l'un de ceux qui tenaient l'oméga avant d'attraper la main de celui-ci et de se mettre à courir. Il ne savait pas où il allait, il voulait juste les éloigner tous les deux avant que la situation ne dérape encore plus et qu'il ne puisse plus rien faire pour s'en sortir.
— Ah merde, ils nous suivent ces abrutis ! pesta le châtain sans cesser de courir.
La déclaration fit couiner Dejun dont les cuisses commençaient à chauffer désagréablement et le souffle à se raccourcir. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas fait de sport et son corps le lui faisait comprendre, il manquait terriblement d'endurance et de cardio. Les doigts de son comparse se resserrèrent sur les siens et ils échangèrent leur place, Dejun se faisant entrainer par l'oméga en direction de la forêt et essayant tant bien que mal de ne pas paniquer. Derrière eux, il entendait les cris de leurs poursuivants et il maudit les idiots incapables de gérer leur consommation d'alcool. Au moins, en ville, il y avait des patrouilles de police à tous les coins de rue pour les gérer, mais ce n'était pas le cas ici. Il était livré à lui-même.
— Je m'appelle Jungwoo au fait, et toi ? demanda le jeune homme à peine essoufflé.
Dejun lui jeta un regard atterré, incapable de parler en même temps qu'il allongeait les foulées. Il peinait déjà à ne pas cracher ses poumons sur le sol, ce n'était ni le lieu ni l'heure pour faire des présentations. Son comparse fuyard jeta un œil derrière eux et grimaça.
— Ils ne vont pas lâcher l'affaire, changeons !
Il lâcha la main de Dejun qui trébucha et se stoppa net sous la surprise. À la place de son compagnon de fuite se trouvait un beau loup brun tonique qui battait joyeusement de la queue. Il mordilla le bas de pyjama du comptable et jappa pour le presser alors que leurs poursuivants se rapprochaient. En panique, l'oméga força la transformation en utilisant toutes ses forces. Il ne savait pas si c'était à cause de l'adrénaline, mais pour la première fois de sa vie il mit moins d'une minute à changer de forme. Ils se remirent alors à courir, beaucoup plus rapidement à présent qu'ils possédaient quatre pattes.
Les cris derrière eux s'éloignèrent au fur et à mesure qu'ils avalaient les kilomètres de la forêt et que Dejun perdait son souffle. Celui qui ressemblait à un berger allemand dodu ralentit doucement, incapable de tenir le rythme de l'habitant des bois qui continuait à filer telle une flèche sans manifester le moindre signe de fatigue. La peur d'être rattrapé obligeait le jeune homme à ne pas s'arrêter totalement, mais il était de moins en moins attentif à ce qui l'entourait et en voulant regarder où se trouvait Jungwoo ce qu'il craignait se produisit. L'une de ses pattes arrière accrocha une racine qui dépassait de la terre et il chuta en couinant de douleur.
Il roula dans les feuilles et la boue en jappant de peur, pour finir par s'arrêter en bas d'un petit talus où il éternua, sonné. Couché sur le sol froid, il plaqua ses oreilles sur son crâne en entendant que quelqu'un approchait à vive allure. Heureusement, il ne s'agissait que de Jungwoo qui émit un couinement d'excuse et lui lécha le bout de la truffe pour se faire pardonner de l'avoir laissé derrière.
L'animal laissa place à l'homme, ou plutôt au jeune homme bouclé qu'il n'avait pas réellement pris le temps de détailler avant qu'ils ne s'enfuient tous les deux. Jungwoo lui tendit la main tout en lui adressant un sourire encourageant.
— Reprends ton autre forme, il ne va pas tarder à pleuvoir et il y a une petite grotte pas très loin. On devrait pouvoir s'y abriter, ils ne viendront pas nous y chercher.
Dejun souffla de fatigue et posa la truffe sur le sol. Il n'avait pas la force pour un autre changement, il avait dépensé toute son énergie dans la course, course qui constituait sa première séance de sport depuis qu'il avait terminé le lycée. Et cela faisait un moment que le comptable en avait fini avec cette période de sa vie.
— Allez, le pressa le jeune oméga. Je ne peux pas te trainer là-bas, t'es trop gros.
Le comptable fit mine de lui mordre le mollet, vexé au plus haut point. Il savait bien qu'il n'était pas le plus athlétique et que son loup avait un peu d'embonpoint, mais ce n'était pas la peine de le lui faire remarquer. Agacé, il força la transformation en puisant dans ses dernières réserves et il se retrouva les fesses dans la gadoue, son pyjama en lambeaux lui servant tout juste à quelque chose. Jungwoo lui tendit la main pour l'aider à se relever et passa un bras autour de sa taille.
Le ciel se mit à pleuvoir alors qu'ils marchaient déjà depuis quelques minutes en quête d'un abri, les trempant rapidement jusqu'aux os, et Dejun finit par laisser échapper un juron. Il en avait plus qu'assez de cette journée et il avait passé moins de vingt-quatre heures à Chungju. Il voulait rentrer à Séoul, dans son appartement douillet et se glisser sous ses couettes pour le reste de la semaine. C'était une idée vraiment mauvaise de venir ici, il regrettait.
— Tu n'avais pas dit qu'il y avait une petite grotte pas très loin ?
Le bouclé prit un air coupable et lui sourit de toutes ses dents. Il rappelait à Dejun un enfant pris en faute qui espérait que sa bouille d'ange suffirait à lui éviter une remontrance et le jeune homme était plutôt convaincu que cette technique fonctionnait assez bien au quotidien.
— J'ai menti, j'ai aucune idée d'où on est.
Dejun le regarda, la bouche entrouverte et le regard ébahi. C'était encore pire que ce qu'il pensait.
— Mais tu vis ici non ?
— Et toi alors ? Tu connais tous les recoins de ta ville ? s'offusqua Jungwoo. J'ai jamais été très bon en orientation, j'y peux rien... C'est bien pour ça que normalement je ne vais pas jusqu'en ville tout seul...
L'expression du comptable se décomposa au fur et à mesure des mots de son compagnon d'infortune et il regretta d'être venu jusque-là. Qu'est-ce qu'il lui avait pris d'écouter Taeyong ? Il aurait tout aussi bien pu prendre des vacances et rester chez lui, à attendre que ses chaleurs passent et à récupérer le sommeil lui manquant. Mais non, il avait décidé sur un coup de tête de venir s'enterrer dans les terres sauvages, sans téléphone et il s'était mêlé d'histoires qui ne le regardaient pas. S'il devait être honnête avec lui-même, il savait qu'il ne regrettait pas d'être intervenu et d'avoir aidé Jungwoo, mais à cet instant précis, alors qu'il était trempé, frigorifié et que sa cheville lui faisait un mal de chien, il avait tout sauf envie d'être honnête avec lui-même. Il avait envie d'être en colère contre le monde, de remettre la faute sur les autres et de se plaindre de son sort. Rien de moins.
Le seul point positif qui avait découlé de la soudaine averse était l'abandon de leurs poursuivants. Depuis qu'il pleuvait, ils ne les entendaient plus et Jungwoo lui avait assuré qu'ils avaient dû faire marche arrière avant d'être complètement perdus ou alors, option qui l'avait plus fait rire, ils étaient tombés sur des membres de sa meute et avaient dû passer un sale quart d'heure.
— Ta meute est agressive ? demanda Dejun, inquiet.
— Pas si tu ne cherches pas les ennuis, mais ils sont ivres et ils me poursuivaient. Eunbyul, ou son compagnon, a déjà dû contacter mon Alpha pour le prévenir. Je vais me faire tuer d'ailleurs, grimaça le bouclé.
— Tu me fais peur là...
Jungwoo écarquilla les yeux en comprenant qu'il n'arrangeait pas la situation et il essaya tout de suite de tempérer, ou tout du moins d'expliquer, ses propos.
— Ils ne sont pas méchants je te jure !
— Mais tu viens de dire que-
— J'avais pas le droit de sortir, soupira Jungwoo. Je suis un oméga et comme j'ai grandi ici mon odeur est, apparemment, plus pure, ce qui rend les abrutis de ce genre un peu trop ambitieux, enfin t'as vu... pour ça que j'ai pas le droit de sortir le soir si je ne suis pas accompagné, mais j'ai... fait le mur. Johnny va me réduire en petits morceaux pour les avoir encore inquiétés...
Dejun comprit que ce n'était pas la première fois que le plus jeune dérogeait aux règles de sa meute et qu'il savait parfaitement à quoi s'en tenir en les enfreignant.
— Et pour les autres ?
— Ah eux ? C'est dans les règles de la ville, les étrangers n'ont pas le droit d'entrer sur les terres sauvages à moins d'y être invités. Si l'une des patrouilles est tombée sur eux alors ils ont dû se faire botter le train avant d'être jetés à la lisière de la forêt.
Jungwoo l'aida à monter un talus et poussa une exclamation de joie en repérant une cavité assez grande pour les accueillir tous les deux. Ils glissèrent à plusieurs reprises avant de pouvoir s'abriter de la pluie diluvienne qui s'abattait. Tremblotant de froid, Dejun se laissa glisser contre l'une des parois rocheuses et ramena ses genoux contre sa poitrine. Son pyjama était déchiré à plusieurs endroits et son long gilet était imbibé d'eau, le glaçant plus qu'il ne le réchauffait. Il l'enleva, l'essora autant que possible et l'accrocha à une aspérité dans l'espoir qu'il dégorge un peu.
— Tiens, prends ma veste.
— T'en as besoin.
— Je vais me changer, refusa Jungwoo. Ma meute ne va pas pouvoir nous trouver tout de suite à cause de l'eau qui va masquer nos odeurs et on ne peut aller nulle part. Je peux encore me transformer sans problème, mais toi ?
Dejun baissa la tête, lui n'en était pas capable. Il commençait déjà à ressentir les crampes douloureuses qui résultaient de ses transformations brusques et successives. Il s'empara alors de la veste en cuir de Jungwoo qui lui apporta une certaine chaleur bienvenue. Elle sentait fort la menthe.
— Essayons de nous reposer un peu, dans quelques heures il fera jour et, avec un peu de chance, il aura arrêté de pleuvoir.
Pas rassuré, le comptable regarda le plus jeune s'asseoir près de lui, prêt à se changer à nouveau en loup avant de s'interrompre pour renifle l'air. Jungwoo pencha la tête, intrigué.
— On t'a déjà dit que tu sentais bizarre ? Tu sens le bêta et l'oméga en même temps, j'y comprends rien. J'ai jamais senti un truc pareil.
Le cœur de Dejun se gela et il fut incapable de faire le moindre geste alors que la grosse tête brune se posait sur ses genoux. Voilà une chose à laquelle il n'avait pas du tout réfléchi, la pluie avait dissipé son parfum artificiel et une meute de loups inconnus allait possiblement le trouver. Parfois il détestait réellement ses choix de vie.
Nda :
Repost du troisième chapitre ! J'espère que vous avez passé une bonne lecture et que cette histoire vous plaît :)
Dalion~ Kiss :3
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