Chapitre 11


Malgré l'envie de repasser dans la salle de bain qui le tenaillait, Dejun s'abstint. Il se connaissait et surtout il se savait émotionnellement instable, il n'y avait aucune chance pour qu'il ait la moindre pensée positive en croisant son reflet. Au contraire, il risquait de détruire tout ce que Johnny avait réussi à faire un peu plus tôt alors, même si la tentation était forte, il résista. Une petite victoire ridicule dont il ne parvint pas à se réjouir.

Il débarrassa le bol qu'il avait utilisé et glissait la bouteille de lait dans l'immense réfrigérateur quand deux bras vinrent l'entourer. Une frimousse triste se cala contre son épaule. Le parfum particulier de Jungwoo lui monta au nez et il se détendit. Il avait beaucoup de mal à se fier à son odorat, même si son loup avait visiblement décidé de se réveiller de sa longue sieste, mais les phéromones particulières d'oméga étaient facilement reconnaissables. Il ne pouvait pas en faire de même avec les autres.

— Dis, Dejun...

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Est-ce que quand tu reviendras on pourra passer un moment ensemble ?

Le comptable se retourna et Jungwoo se détacha de lui, la mine toute penaude. Depuis deux ou trois jours, Dejun trouvait que le plus jeune avait perdu un peu de sa joie de vivre, mais il s'était abstenu de lui en parler, il ne voulait pas que son nouvel ami le trouve trop intrusif. Après tout, les affaires de la meute ne le concernaient en rien, il n'était qu'un parasite temporaire. Malgré tout, il ne pouvait de s'empêcher de s'inquiéter pour l'autre oméga auquel il s'était très rapidement attaché. Jungwoo était un peu enfantin, très taquin, joyeux, généreux et très câlin aussi. Il était impossible de ne pas l'aimer.

— Bien sûr, tu veux que je reste avec toi ?

Le châtain grimaça et plissa le nez.

— Non merci, le chef va me botter les fesses tellement fort que je ne pourrai pas m'asseoir pendant les trois prochains mois si je te fais annuler ta sortie. Mon fessier est bien trop délicat pour que je lui fasse subir une telle horreur.

Dejun rit, heureux de voir que malgré ce qui semblait le tracasser Jungwoo n'avait pas perdu son humour et toute sa joie de vivre. Il lui caressa gentiment le haut du crâne, un petit sourire aux lèvres. Il avait cette étrange impression d'avoir trouvé un petit frère, ce qui était ridicule, cela ne faisait même pas une semaine complète qu'il était arrivé dans la meute.

— Pour le bien de ton derrière, je vais donc accomplir mon devoir, plaisanta doucement le brunet.

— Comme si ça te dérangeait de passer du temps avec lui.

Jungwoo agrémenta sa phrase d'un léger clin d'œil plein de malice qui fit rougir Dejun jusqu'à la racine de ses cheveux. Il avait compris avec un peu de retard que sa part animale réagissait à la présence de l'Alpha et que lui-même n'était pas insensible à son charme, mais il ne pensait pas être aussi évident. C'était terriblement gênant.

Le brunet s'échappa de la cuisine avant que son cadet n'ait une nouvelle occasion de le taquiner et il rejoignit l'extérieur. Il eut la surprise de tomber, presque physiquement, sur la petite Winter qui essayait d'échapper à l'Alpha. Elle ignorait consciencieusement ses ordres la sommant de retourner à l'école avec les autres enfants. La petite fille se glissa derrière les jambes de Dejun qu'elle entoura de ses bras et refusa de lâcher. Johnny s'accroupit pour essayer de la convaincre sans succès.

— Dejun, est-ce que tu pourrais lui demander de retourner en cours ? Cette jeune demoiselle a décidé de s'enfuir pour je ne sais quelle raison de sa classe. Elle n'avait jamais fait ça avant et elle refuse de m'aider à comprendre son geste.

Winter releva fièrement le menton, bien à l'abri derrière l'oméga. Ce dernier se tourna doucement et se baissa pour être au même niveau que la petite fille. Elle ne lâcha ses jambes que pour mieux venir entourer son cou. Dejun la souleva dans ses bras et elle se blottit contre lui, sagement. Il lui frotta doucement le dos tout en murmurant à son oreille.

— Coucou, petite Winter, quelque chose ne va pas ?

Elle secoua négativement la tête et plongea ses grandes billes innocentes dans les siennes, puis elle lui sourit de toutes ses dents.

— Tu sais que tu dois aller à l'école si tout va bien ?

Elle secoua une nouvelle fois la tête, mais en plus elle fronça les sourcils tout en resserrant son étreinte autour du cou de l'oméga. Un léger grognement lui échappa quand Johnny s'approcha et l'Alpha la regarda, les yeux ronds.

— Elle n'a pas fait exprès, s'empressa de la défendre Dejun.

— Oh que si et je crois savoir ce que cette petite louve est en train de faire. Miss Winter, est-ce que tu n'essayerais pas de garder Dejun pour toi toute seule ?

La fillette fit la moue, mais ne nia pas. Hébété, le brunet ne sut que dire. Cette situation lui paraissait tellement surréaliste qu'il ne savait pas du tout ce qu'il devait faire. Heureusement pour lui, Johnny ne lui demanda pas d'intervenir et géra seul la situation.

— Tu crois qu'il va vouloir rester avec une petite fille qui n'écoute pas du tout ?

Dejun sentit les épaules de Winter se baisser et elle leva un regard angoissé vers lui. Il la déposa sur le sol et lui remit une boucle blanche derrière l'oreille.

— Tu sais, j'ai quelque chose à faire tout de suite donc je ne peux pas rester avec toi, mais, si tu es sage et que tu écoutes bien à l'école alors je te promets qu'on prendra le goûter ensemble, d'accord ?

Les prunelles de la petite fille se mirent à briller et elle tendit son petit doigt à Dejun qui scella leur promesse en souriant. Johnny et lui purent alors la ramener en classe sans crise de larmes ou de colère, au plus grand soulagement de la bêta qui s'occupait des enfants de cet âge-là.

L'Alpha posa sa large main dans le bas du dos de Dejun qui se laissa guider à travers le petit village, pensif. Il avait cette impression folle de ressentir tout avec deux fois plus de sensibilité qu'à son habitude, ce qui était déboussolant. Johnny les fit entrer dans la forêt et Dejun put alors s'émerveiller de cette ambiance qu'il ne connaissait absolument pas. La hauteur des arbres, l'atmosphère, les couleurs, les odeurs, tout était différent de la ville. Comme s'il découvrait un nouveau monde.

— Tu te sens capable de changer ?

Surpris par la question, il mit d'autant plus de temps à répondre qu'il ressentit un grand froid quand la main de l'Alpha quitta ses reins. Il hocha doucement la tête, curieux.

— Parfait, allons-y alors.

Johnny lui sourit gentiment puis son image se flouta. Dejun cligna des yeux et quand il les rouvrit l'homme avait laissé place au loup. Un immense canidé, plus que Lucas encore, sans un gramme de graisse et à la superbe fourrure grise. Le regard doré l'encourageait silencieusement à entamer sa propre métamorphose et le brunet déglutit, plus aussi certain d'en être capable. Johnny était un loup noble, magnifique, alors que lui ressemblait au berger allemand d'une grand-mère, celui qui avait le droit à un petit gâteau à chaque repas et qui n'avait pas couru depuis des années. Il était affreux et ça n'en était que plus choquant à côté de l'Alpha.

Johnny vint lui taper la cuisse du bout de la truffe et Dejun baissa les yeux. Il avait peur tout à coup. Ses insécurités s'engouffraient dans chacune des brèches qu'il pouvait avoir, le tétanisaient, et il se retrouvait incapable de bouger, de réfléchir. Il ne voulait pas que Johnny le voie dans cet état, il ne pouvait plus l'envisager.

Son changement d'attitude fut immédiatement remarqué par le loup qui changea dans le sens inverse. Johnny s'ébroua rapidement et attrapa avec délicatesse les mains de Dejun dans les siennes. S'il se doutait de ce qui lui empoisonnait l'esprit, il n'en parla pas. L'oméga se laissa attirer contre le torse puissant et sa joue appuya mollement contre la poitrine ferme. Même à travers le tissu de la chemise, il en sentait la chaleur, apaisante, réconfortante. Johnny resta contre lui sans rien dire, son menton posé sur les boucles brunes.

De longues minutes passèrent et Dejun se calma. Il avait évité une nouvelle crise de justesse, mais son état d'esprit restait incertain. Johnny lui embrassa le dos de la main avec douceur et la garda prisonnière de ses longs doigts.

— Est-ce que tu te sens de marcher un peu ou tu préfères rentrer ?

Rentrer, s'enfermer, se cacher sous une couette et ne jamais en ressortir. C'était ce qu'il voulait faire, mais cette main qui tenait la sienne avec tant de douceur était comme un phare dans la nuit. Il avait peur de la perdre s'il partait, sa lueur d'espoir. Il ne pensait pas en avoir besoin jusqu'à ce qu'elle se trouve devant lui. Il ne voulait pas encore décevoir Johnny, l'Alpha était un homme occupé, mais il avait pris du temps pour lui, ça ne devait pas être en vain. Il ne pouvait pas encore accumuler les échecs.

— Je peux marcher.

— D'accord, on ira à ton rythme. Dis-moi si ça ne va pas, je t'écouterai.

Dejun n'était pas certain qu'il ne parlait que de leur balade, mais il préféra ne pas s'avancer et se tut. Il aurait été vraiment prétentieux de sa part de croire à un sous-entendu quelconque, il devait revenir à la réalité. Mais cette dernière lui paraissait si floue alors que ses doigts se perdaient dans la grande main de Johnny et qu'il se laissait guider à travers la forêt. Il n'observait rien de ce qui l'entourait, les yeux fixés sur les épaules larges de l'alpha. C'était ridicule, mais il ne parvenait pas à regarder ailleurs.

S'il sentit le poids insistant d'un regard sur lui, le blond n'en fit pas mention et se contenta d'avancer tranquillement. Pendant un long moment, seuls le chant des oiseaux et le bruissement des feuilles accompagnèrent leur marche, puis Dejun craqua.

— Où est-ce qu'on va ?

— Tu vas voir, on est bientôt arrivés. Fais-moi confiance, je suis sûr que tu aimeras l'endroit si tu lui laisses une chance.

Dejun se souvenait que Johnny lui avait dit quelque chose de similaire concernant la meute et il devait reconnaitre qu'il avait eu raison. S'il avait eu la sensation de ne pas être le bienvenu le premier jour, cette impression s'était vite dissipée. Hormis Lucas qui se montrait hostile envers lui, tous les autres avaient été accueillants et il n'avait pas fallu plus de quelques heures avant que les plus jeunes ne l'adoptent.

Il s'avéra qu'une fois de plus le blond avait raison.

Les lèvres entrouvertes, l'oméga écarquilla les yeux, émerveillé. Ils étaient arrivés sur le bord d'une rivière dont l'eau limpide s'écoulait rapidement, des galets imposants formaient un chemin qui permettait de traverser le cours d'eau en toute sécurité, et les berges herbeuses invitaient à la détente. La bouche de Dejun se mua en un sourire et il s'avança naturellement pour toucher une fleur. C'était doux sous ses doigts, délicat.

— C'est ici qu'on amène les jeunes loups, expliqua Johnny. L'eau n'est pas très profonde et la visibilité permet de les surveiller quand ils s'amusent. Il y a aussi des animaux tout autour pour stimuler leur odorat et leur instinct de chasse.

— Tu penses que je suis un enfant ?

Dejun se sentit blessé et il se renferma. L'Alpha se rapprocha de lui pour lui effleurer la joue du bout des doigts. L'oméga laissa le contact se prolonger tout en se posant des questions, les loups de la forêt étaient très tactiles, mais Johnny... il ne pouvait s'empêcher de le toucher dès qu'ils étaient côte à côte. S'il appréciait le geste, Dejun redoutait le moment où tout prendrait fin autant qu'il était terrifié d'apprécier. Il ne devait pas, il devait se protéger, et cette maudite part animale qui s'agitait dans sa conscience n'aidait pas du tout en l'incitant à se laisser aller. Elle n'avait aucun instinct de survie.

— Je ne t'ai jamais vu comme un enfant, pas à un instant, murmura le blond. C'est simplement un endroit où il est agréable de se détendre. Tu aurais été d'une meute sauvage, je t'aurais emmené chasser, mais je pense que c'est un peu trop barbare pour toi, pas vrai ?

L'oméga hocha la tête et Johnny l'embrassa sur la tempe.

— Un jour j'aimerais quand même te montrer la beauté de notre nature, mais plus tard. Pour l'instant, profitons simplement de cette vue.

L'Alpha s'éloigna de quelques pas et s'allongea dans l'herbe. Dejun hésita un instant avant de l'imiter tout en laissant une certaine distance entre eux. Cette envie de se mettre tout contre Johnny qui lui serrait le ventre l'apeurait, il ne comprenait décidément rien à ce qui lui arrivait. Le chef de meute le laissa faire sans un mot et Dejun se laissa bercer par le doux bruit de la rivière.





Nda :

J'espère que vous avez passé une agréable lecture et que vous avez apprécié ce chapitre ! 
Dalion~ Kiss :3

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