Chapitre 1
Dejun n'en pouvait plus, il était arrivé au bout de ce qu'il pouvait encaisser et, après des mois à tout enfermer en lui, il explosait. Son corps secoué de soubresauts recroquevillé sur la cuvette des toilettes réservées aux employés, il faisait de son mieux pour étouffer ses pleurs. Il avait honte de fondre ainsi en larmes, il était au travail et âgé de bientôt trente ans, il devrait être en mesure de maintenir un visage professionnel pendant quelques heures. Il l'avait fait jusque-là, mais il ne le pouvait plus et il se détestait pour ça.
Dejun mordit dans la manche de sa veste de costume pour assourdir un nouveau sanglot et il se figea en entendant quelqu'un pénétrer dans sa cachette. Tétanisé, il se tassa encore davantage en espérant que l'employé ne le remarque pas, mais, comme si le destin s'acharnait sur lui, deux pieds s'arrêtèrent juste devant sa cabine.
— Dejun ?
Une voix douce et hésitante l'appela, comme s'il était un animal craintif. Chose qui n'était pas si loin de la réalité lorsqu'il y réfléchissait bien. L'oméga essuya maladroitement les larmes qui roulaient encore sur ses joues et il se remit difficilement debout. Sa main marqua un temps d'arrêt une fois sur la poignée et il hésita un instant à enlever le verrou. Il n'avait aucune envie de s'exposer à nouveau au regard des autres.
— Je sais que tu es là, sors donc de ta cachette, souffla la voix de son ami.
Honteusement, Dejun se présenta devant son collègue, son regard ne quittant pas un instant la pointe de ses chaussures. Elles étaient parfaitement cirée et pas une seule égratignure ne venait en abimer le cuir. Le jeune homme ne se sentait pas capable d'affronter le regard de quiconque, même s'il savait qu'il ne trouverait pas l'ombre d'un soupçon de jugement dans celui de Taeyong, alors il préférait se concentrer sur le sol. Un bras passa autour de ses épaules en même temps que l'odeur sucrée de la fraise des bois montait à son nez. Taeyong sentait fort le fruit rouge, ça lui chatouilla les narines tout en l'apaisant légèrement.
— Allez, allons boire une bière chez moi et on parlera après. J'ai pris ton manteau et ton sac au passage, pas besoin de retourner dans l'open-space.
— Quelqu'un m'a vu ? Je ne sais pas si je serais capable de revenir ici s'i c'est le cas, j'ai tellement honte d'avoir craqué comme un bébé, murmura le jeune homme.
— Tu parles, tout le monde ne regarde que son nombril dans cette boite. Tu pourrais convulser sous leurs yeux qu'ils n'y feraient même pas attention, alors le fait de quitter ton poste de travail en marchant un peu plus vite que d'habitude, personne n'a rien remarqué. Si je ne te connaissais pas si bien, même moi je n'aurais pas pensé que c'était étrange. Détends-toi, tout va bien se passer, le rassura Taeyong.
Dejun remit ses lunettes sur le bout de son nez et sourit à son ami qui en fit de même. Il était reconnaissant de l'avoir dans sa vie et de ne pas avoir besoin de retourner à son espace de travail. Certes, à cette heure-ci tout le monde devait être parti, mais il n'avait pas envie de faire une mauvaise rencontre ou que quelqu'un fasse une remarque sur ses yeux bouffis. Il enfila son manteau en vitesse, glissa la hanse de sa mallette sur son épaule et les deux hommes sortirent du bâtiment. Le plus jeune garda les yeux rivés sur le sol tout en priant silencieusement pour que le chemin se déroule sans encombre. S'il croisait le chemin de son supérieur maintenant, il risquait de fondre à nouveau en larmes et sa réputation serait finie.
Heureusement Taeyong avait sa propre voiture garée non loin et il les conduisit jusque chez lui. Il réussit à convaincre Dejun de monter pendant que lui-même aller acheter les boissons alcoolisées à la petite supérette au bout de la rue ainsi que quelques petites choses à grignoter : le plus jeune ne buvait jamais le ventre vide. Dejun attendit sagement son ami dans le salon, la pression retombant doucement. Il venait ici depuis assez longtemps pour ne plus se sentir comme un intrus et la familiarité des lieux l'aida à se détendre. Dejun laissa ses chaussures dans l'entrée, ainsi que son sac et son manteau, avant de se rendre dans la petite salle d'eau pour se passer un coup d'eau sur le visage.
L'oméga grimaça en voyant l'état dans lequel il se trouvait. Ses cheveux bruns, naturellement ondulés, partaient dans tous les sens, ses lunettes ne suffisaient pas à cacher les rougeurs et gonflements de ses yeux et il avait le teint d'un cadavre. Même ses épais sourcils étaient en bataille et lui donnaient un air de chouette effarée. Rien de bien séduisant. Il ne ressemblait même pas à un être humain, finalement ses collègues avaient bien raison.
— Dejun, j'ai les bières ! retentit la voix de Taeyong.
Cela eut le mérite de le sortir de ses lamentations et il se tapota les joues pour y donner un semblant de couleur. Il ne parvint qu'à y incruster la marque de ses doigts et il grimaça en acceptant qu'aucun de ses efforts ne permettrait de faire croire qu'il allait bien. Après tout, Taeyong était son seul ami et l'avait déjà vu dans cet état de trop nombreuses fois, il n'était plus à une près.
Le plus vieux des omégas décapsulait deux bières fraiches quand il arriva dans le salon et ils se laissèrent tomber dans le petit sofa. Dejun ne l'avouerait jamais, mais il appréciait l'étroitesse du canapé, elle lui permettait de ressentir la chaleur humaine de son ami et de se sentir moins seul. Il n'en dit pourtant rien, c'était bien trop oméga et niais comme pensée. Il n'était pas comme ça, il passait tellement de temps à convaincre les gens qu'il était un bêta que même avec ceux connaissant son terrible secret il ne se permettait pas de baisser totalement la garde. Il attrapa un snack sur la table basse et l'enfourna dans sa bouche en silence. Taeyong grignota à son tour tout en le surveillant du coin de l'œil et le laissa profiter du silence pendant encore quelques minutes.
Dejun se força à en boire une gorgée même si le houblon lui donnait la nausée et Taeyong se mit en tailleur, prêt à l'écouter. C'était leur signal, implicitement instauré après de nombreuses soirées du genre. Le plus jeune n'avait pas besoin de signaler lorsqu'il était prêt à parler, son langage corporel suffisait à donner le feu vert à Taeyong. Le jeune oméga fit jouer ses doigts sur le verre de la bouteille, les yeux rivés sur le bol de friandises salées posées en évidence.
— Dis-moi, comment tu te sens ? s'inquiéta son aîné.
— Fatigué, souffla Dejun, et stupide. Je n'aurais pas dû craquer comme ça, c'est pas responsable de ma part. J'ai essayé de prendre sur moi, comme je le fais depuis le début, mais je ne sais pas pourquoi ça n'a pas suffi cette fois-ci. Je n'ai même pas fini mon travail avant de partir...
Taeyong haussa les épaules. Dejun était un employé exemplaire depuis son arrivée dans l'entreprise, s'il partait une fois dans sa carrière sans avoir fini ses tâches du jour personne n'allait le lui reprocher. Taeyong lui-même partait régulièrement en laissant quelques tâches non finies et il les rattrapait le lendemain, Dejun en ferait de même.
— Tes tableaux de compta peuvent très bien survivre quelques minutes sans toi et au pire ils seront toujours là demain. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— Chittaphon, marmonna difficilement Dejun.
Il savait qu'il n'avait pas besoin d'en dire plus pour que son ami comprenne le fond du problème. Chittaphon, qui se faisait appeler depuis quelques semaines « manager Lee », était un oméga que rien n'effrayait et qui n'avait honte de rien. Flemmard, il prenait les autres de haut en pensant que son physique avantageux allait tout faire et, bien que cela répugne Dejun de l'admettre, le nouveau manager avait raison. Tout le monde savait que l'oméga avait couché pour sa promotion, il ne s'en cachait même pas, mais pas un seul n'avait le courage de s'en plaindre. Lui-même n'osait s'en plaindre que dans ses pensées.
— Il t'a encore fait une proposition bizarre ? s'agaça Taeyong.
Le noiraud était le seul de l'entreprise à connaitre la réelle nature de Dejun et il gardait précieusement ce secret pour lui. Le jeune homme faisait de son mieux pour faire croire qu'il était un bêta en allant jusqu'à prendre des inhibiteurs de chaleurs et à porter un parfum suffisamment fort pour cacher son odeur naturelle, Taeyong n'avait aucune envie de réduire ses efforts à néant. Pourtant, malgré cette mascarade, Chittaphon semblait se douter de quelque chose. Il ne cessait de sous-entendre à Dejun qu'il devrait rendre une petite visite à l'un des cadres et que c'était certainement sa seule chance non seulement de se trouver quelqu'un, mais aussi d'avoir une promotion. Une sale habitude qu'il avait, mais que normalement il ne faisait subir qu'aux omégas avérés.
— Je ne comprends pas pourquoi il s'acharne sur moi, personne sait que je suis un oméga et c'est le genre de chose qu'il ne dit qu'à cette classe-là d'habitude ! Je pensais être tranquille Tae, je sais plus quoi faire pour qu'il me laisse tranquille, et je ne peux même pas lui dire d'arrêter. C'est mon supérieur, il va faire de ma vie un enfer...
La voix de Dejun craqua à la fin et son visage se tordit en une expression douloureuse.
— Il est certainement jaloux, tu es trop mignon. Même si tu mets ce parfum de bêta et que tu t'efforces d'en adopter l'attitude au travail, il faut reconnaitre que cet imbécile a un certain don pour cerner les gens et il se doute peut-être de quelque chose. Tu peux l'ignorer, tu l'as toujours fait et je sais que tu peux encore le faire.
— Je suis pas mignon, je suis moche, bougonna Dejun, et il est collant comme une moule à un rocher, c'est difficile de l'ignorer quand il s'accroche à toi.
Il savait qu'il n'avait pas un visuel très plaisant, car on le lui avait tellement répété qu'il avait l'impression que l'adjectif était son second prénom, Taeyong ne disait ça que parce qu'il était son ami. En dehors de lui, personne n'appréciait les traits durs de son visage, sa mâchoire brute et ses sourcils épais. S'il avait été bien plus grand, musclé et alpha, il aurait peut-être eu du succès, mais il n'en était pas un. Et il ne le souhaitait pas non plus.
— T'es loin d'être moche, il n'y a que toi qui ne le vois pas, objecta le noiraud en faisant claquer sa langue contre son palais. Enfin, on va pas relancer le débat parce que je vais m'énerver et que ce n'est pas le sujet.
Dejun baissa la tête, honteux. Taeyong avait ce côté un peu mère poule que lui-même s'efforçait de réprimer et même s'il n'aimait pas se faire disputer, il aimait cette impression de compter pour son ami.
— Je ne veux pas être comme lui, murmura le brunet. Je veux évoluer parce que j'en ai les capacités, parce que je le mérite, pas parce que j'aurais laissé quelqu'un me toucher.
Un frisson de dégoût le traversa et il se recroquevilla. Il l'avait assez entendu, qu'en tant qu'oméga à peine acceptable visuellement sa seule chance était de tomber sur une personne suffisamment généreuse pour vouloir de lui, qu'il devrait être reconnaissant envers cette personne. Mais même si chacun de ces mots le blessait affreusement, il ne pouvait pas complètement dire adieu à sa fierté. Il avait étudié très dur, il était assidu, ponctuel et il faisait bien son travail, mais s'il avouait être un oméga alors tout le monde croirait que quelqu'un le pistonnait. Alors Dejun mentait, pour être reconnu, pour éviter les promotions canapé et le harcèlement dont étaient victimes les gens comme lui.
— Je ne sais pas comment tu fais pour supporter tout ça...
Taeyong était un oméga aussi, le seul à être connu de leur service hormis leur manager alors toutes les remarques déplacées se dirigeaient vers lui. Le noiraud gardait le sourire, répondait avec douceur et fermeté sans se laisser abattre, une chose dont Dejun se savait incapable. Il n'avait pas cette force de caractère que renfermait son ami, lui était aussi fragile qu'un verre de cristal, il pouvait se briser si le vent soufflait trop fort dans sa direction, alors il ne provoquait pas les tempêtes. Il rasait les murs, s'aplatissait sur le sol en priant pour que les bourrasques passent rapidement au-dessus de sa tête.
— J'évite de me préoccuper de ce que les gens pensent de moi. Je sais ce que je vaux, les personnes qui comptent pour moi aussi, le reste m'importe peu. Si je devais m'attarder sur chaque remarque crade que j'entends alors je m'empêcherais de vivre et je ne veux pas, répondit Taeyong en haussant les épaules. En plus, je n'ai pas le droit de lui casser les dents si je veux garder mon job alors l'ignorance est le seul choix restant.
— Je ne sais pas faire...
— C'est rarement quelque chose de naturel. J'ai grandi dans une famille aimante et qui m'a toujours soutenu même après ma révélation de classe, mes copains ont aussi été adorables et ne m'ont jamais dénigré, ça aide pour la confiance en soi. Les sports de combat ont été formateurs aussi, mais je te vois mal monter sur un ring, sans offense.
Dejun ne pouvait pas en dire autant et son ami, s'il ne connaissait que les grandes lignes du parcours de sa vie, le savait très bien. Il ne cherchait d'ailleurs pas à le blesser en rappelant cette évidence, mais plutôt à faire prendre conscience au brunet qu'il n'était en rien responsable et qu'un jour lui aussi saurait s'affirmer sans peur. En revanche, hors de question de mettre des gants de boxe et de taper sur quelqu'un, il refusait de se battre contrairement à Taeyong qui ne demandait que ça.
— Tu es en vacances la semaine prochaine, pas vrai ?
Le brunet hocha la tête, il en était arrivé à un point où il avait un absolu besoin de repos. De plus, ses chaleurs arrivaient dans assez peu de temps et, pour une fois, il allait devoir les laisser s'exprimer sans les brider avec des inhibiteurs, il avait donc posé trois semaines de vacances d'un coup afin d'avoir une vraie rupture avec son travail et pour pouvoir se ressourcer. S'il continuait à les museler il risquait de s'exposer à de sérieux problèmes de santé sur le long terme.
— Tu as prévu quelque chose en particulier ?
— Oh, pas vraiment non. Juste rester chez moi et dormir, marmonna le jeune homme.
— OK, ne le prends pas mal, mais c'est pas vraiment un planning de rêve pour tes premières vacances de l'année. Tu as besoin de changer d'air, de voir d'autres gens que les abrutis qui travaillent avec nous. Je ne sais pas si tu t'en souviens, mais il y a quelques temps je t'avais parlé de mon cousin qui a fait sa retraite spirituelle dans les terres sauvages. Il a passé un super moment, il s'est reconnecté à sa part animale et il est revenu apaisé et reposé. Tu devrais essayer, ça ne pourrait te faire que du bien.
— Je ne sais pas trop Tae, je ne suis pas très courageux.
Taeyong lui offrit un sourire encourageant et prit sa main dans la sienne.
— Ce n'est qu'un conseil Dejun, tu en fais bien ce que tu veux, mais, tu sais, les terres sauvages ne sont pas aussi dangereuses qu'on nous le fait croire. Il y a un village pour les touristes, tu n'auras rien à y craindre. Lorsqu'il y est allé mon cousin n'a même pas croisé le bout de la truffe d'un loup, simplement des gens comme lui qui avaient besoin de se retrouver. Je pense que c'est aussi ce dont tu as besoin.
Dejun prit un instant pour réfléchir, sensible aux paroles de son ami. Il n'avait pas grand-chose à perdre en y passant quelques jours comme le faisait remarquer Taeyong et, si ça ne lui convenait pas, il pourrait très bien rentrer dans son petit appartement douillet pour y vivre comme un ermite le temps que ses vacances se terminent.
Nda :
Voilà, c'était le premier chapitre réécrit ! En plus du changement de nom, j'ai corrigé quelques coquilles et ajouté du détail (près de 500 mots à ma grande surprise). J'espère que vous aimerez redécouvrir cette histoire et que vous avez passé une agréable lecture !
Ps : Si tout va bien je vous poste un chapitre de My Immortal dans l'après-midi :D
Dalion~ Kiss :3
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