Le Dévoreur Part II
Il nichait au milieu des nuées déchainées de la tempête. Je n'ai pas besoin de vous le décrire, je crois. L'animal volait au-dessus de nous à quelques dizaines de pieds du sommet de nos deux mats. Cette vision me glaça le sang. Et lorsqu'il tourna vers nous ses yeux de cauchemar, je pris une décision fatale. Je donnai l'ordre de plonger.
Par beau temps cela n'aurait eu aucune conséquence notable, mais à cet instant, le navire subissait des tensions au-delà du raisonnable. Le grand mât cassât presque aussitôt, les haubans furent projetés sur le pont avant de disparaitre par-dessus bord, emportant des hommes des valeurs avec eux.
Aucune de mes décisions à cette instant n'aurait pu sauver l'Impétueux. Je donnai l'ordre de descendre au plus vite, espérant rejoindre le calme relatif de l'océan. Le sort voulu que nous sortions des nuages juste au-dessus de l'ile Cécile. Le navire s'écrasa alors sur la plage dans un fracas épouvantable.
Je perdis la majeure partie de mon équipage dans la catastrophe et quelques jours plus tard, mon commandement. Malvin Bremord ne se gênât pas pour me charger plus que de raison et je n'étais pas en mesure de me défendre tant le souvenir de ses instants m'était douloureux. Perdre cet équipage reste une blessure ouverte, encore aujourd'hui.
Je fus consigné à terre pendant six mois puis réaffecté aux commandes d'un navire. Un simple escorteur Impérial. Ma charge consistait à accompagner les navires impériaux dans leurs sorties. En ces temps de paix, les membres de la cour aimaient déjeuneur dans l'azur. Leur vaisseau de luxe partait pour des croisières dont l'amusement était la règle. Mon rôle était de veiller sur les bâtiments, d'intervenir en cas d'avarie improbable ou d'attaque plus improbable encore. Autant dire que mon quotidien était d'un ennui abyssal.
C'est lors d'une de ces missions que je retrouvai Malvin Bremord. Il était devenu capitaine du Princesse Krystal. Ce trois-mâts était entièrement dévolu à la fille chérie de l'Empereur. Elle y organisait régulièrement des fêtes de plusieurs jours. Bremord était fier de ce commandement qui lui permettait de se pavaner devant les membres les plus en vue de la cour impériale. Une charge point trop risquée et pleine de gloire. Voilà de quoi se contentait ce jeune arriviste ! Rendez-vous compte.
Au deuxième jour de sa croisière, le Princesse Krystal fit une manœuvre étrange. Une tempête approchait, plus grosse que celle qui avait coûté tant de vies aux azurins de l'Impétueux. Or, au lieu de s'en éloigner comme il était de règle, Bremord, aux ordres de la princesse, décida de survoler le phénomène. Décision peu risquée en fait mais plutôt inhabituelle.
Je donnai l'ordre de nous placer à 13 heures du navire impérial, soit en haut, un peu sur la droite de façon à garder un œil sur le pont.
Le trois-mâts volait à un peu plus de cent cinquante pieds du sommet de la tempête. Les invités de la princesse regardaient défiler sous eux les nuages chargés d'orage aux éclairs luisants comme un feu d'artifice naturel. J'imaginais le pont rempli de « Oh !», de « Ah !» de « C'est merveilleux ! » ou encore de « Mais quelle bonne idée vous avez eue là votre majesté ! ». Je me sentais à nouveau gagné par l'ennui lorsque je perçus soudain une masse dans la tempête.
Tout à coup des nuages noirs grimpèrent vers le vaisseau impérial, comme un énorme tentacule de fumée surgissant de la tempête. Ils s'écartèrent un instant laissant émerger la tête d'un Typhon furieux. La gueule grande ouverte du monstre vint arracher la poupe du navire dans un bruit terrible.
En une seconde tout l'arrière du navire disparut, englouti par l'énorme animal. Alors des cris résonnèrent par dizaine, des corps tombèrent du navire amputé. J'ordonnai à mes hommes de manœuvrer pour se rapprocher, le Typhon bondit à nouveau des nuées et déchiquetât d'un coup de dents la proue. Je vis tomber plus d'une centaine de personnes hurlantes de terreur avant de disparaitre dans l'orage. Des hommes et des femmes s'accrochaient aux lambeaux de pont avant de lâcher prise et de s'évanouir à leur tour dans la tempête. Des cris, des hurlements, des pleurs remplissaient le ciel. Le centre du navire volait toujours mais je ne savais pas si le faiseur de champs tiendrait longtemps et surtout, je m'attendais à voir ressurgir le monstre pour terminer la curée.
Dès que nous fûmes à portée, je fis sauter quelques-uns de mes hommes sur l'épave encore flottante du Princesse Kristal avec des bouts qu'ils attachèrent en hâte autour du mât et des structures encore debout. Je vis monter à nouveau le tentacule de nuages et ordonnait la montée. Il ne restait plus grand-chose du navire de la princesse et il fut aisé pour notre petit vaisseau de le haler. Mais la colonne de nuages entourant le Typhon continuait à jaillir à pleine vitesse en direction de la dernière part de son repas. Nous montions aussi mais à moindre vitesse et je ne savais pas du tout à quelle hauteur pouvait bondir le monstre. L'écart se réduisait et j'ordonnai à mon pilote de grimper plus vite, malgré les risques.
Les nuages s'écartèrent libérant la créature. Elle se rua sur le Princesse Krystal, battant de ses ailes trop fines pour être utiles, ouvrant sa gueule démesurée tapissée de dents acérées. Je vis ses yeux, l'un œil blanc et l'autre d'où sortait un énorme pieu de bois. Sa mâchoire se refermât soudain dans un claquement sinistre, bousculant du bout des dents les morceaux de navire disloqué. Furieuse de ne pas avoir pu terminer son carnage, la créature poussa un cri à vous glacer le sang avant de replonger dans le chaudron fumant de la tempête.
J'ai sauvé une princesse ce jour-là. Rare survivante d'une attaque inédite. La cour perdit nombre de ses membres lors de ses évènements. Des hommes et des femmes pleins d'avenir et de talent parait-il. Aucun corps ne fut retrouvé et Melvin Bremord eu droit à son nom sur le mémorial des disparus de la Flotte Impériale.
Je devins le héros que je ne voulais pas être. C'est étrange comme vont les choses. Ses évènements datent déjà de quelques années, et vous devez connaitre la suite je suppose.
Vous avez été mêlé à tout cela deux fois je crois. C'est pour ça que je suis ici.
-Vous reprendrez bien un peu de thé, capitaine Sephino. »
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