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« 3 avril 2015 16:57
Dans le couloir qui longeait le bâtiment et qui conduisait aux différentes chambres, une silhouette fine s'avançait à pas de loup, bousculant plusieurs personnes sur son passage. Celles-ci ne se firent pas prier pour gueuler leur mécontentement, mais la jeune fille n'y prêta pas attention. Elle continua son chemin jusqu'à ce qu'elle arriva devant une porte, qu'elle ouvrit. S'enfermant dans le placard à balai, elle trouva place sur un seau à l'envers et se mit à verser le torrent de larmes qu'elle retenait. Depuis trop longtemps. Elle se laissa aller, évacuant son désarroi, sa peine, sa détresse. Ainsi, des secondes, des minutes s'écoulèrent sans qu'elle ne réussît jamais à se calmer. C'était trop dur. Et puis, se rappelant les paroles du médecin, elle sortit de sa poche une lame qu'elle avait piquée lors de sa course-poursuite. La jeune fille prit une longue inspiration, puis une longue expiration, avant de se lancer. L'objet coupant se posa sur son poignet, avant de descendre et de monter. La douleur fut si intense que la petite voulut abandonner, ce qu'elle fit. Évidemment, si le bout de métal avait causé du dégât sur son corps si frêle et innocent, elle n'aurait pas pu s'arrêter, ça aurait été trop tard. Ne voulant pas tarder davantage, el[effacer] [effacer] [effacer] »
Je me lève d'un bond, manquant de peu de faire tomber ma chaise. J'essaie depuis des jours, voire des semaines d'écrire sur un sujet qui me tient à cœur. Peine perdue. Les quelques maigres lignes que j'ai tapées sur Word ne font pas du tout l'affaire. Je n'arrive pas à me concentrer, à entrer dans la peau du personnage, à plonger dans l'histoire tout simplement. C'est trop de travail. Moi qui pensais que l'écriture était la chose la plus facile au monde. J'ai l'impression de recevoir une gifle en pleine face. Il n'y a rien de plus difficile que de mettre des mots sur ce que l'on ressent, ce que l'on a vécu, sans en faire trop toute fois.
A force de commencer, d'inventer, d'effacer, de réécrire et de laisser tomber, je devine mon intérêt pour l'écriture changer.
Je me suis inscrite sur une plateforme d'écriture et de lecture, mais aussi d'échanges entre lecteurs et écrivains. Wikiweb a été mon refuge pendant un temps, jusqu'à ce que l'on m'injecte des élucubrations. Mes touristes sur le site se comptent sur le bout du doigt. Imaginez ma réaction devant le nombre de vues dépassant les milliers, les millions, les milliards de certains bouquins. La plupart tournent autour de l'amour, je dis ça, je dis rien. Moi, jalouse ? Comment ne pas l'être. Il n'y a pas de genre meilleur qu'un autre, dit-on. Par contre, vous n'allez pas associer un conte de fées à un roman fantastique. Eh bien, c'est sur le même principe. Les histoires d'amour made in Wiki, ne sont pas travaillées, il y a des incohérences, l'auteur(e) se perd, le lecteur aussi. J'ai beau chercher, il n'y a pas d'explications à cette injustice. Mes récits ne sont pas connus et ne le seront jamais. Pourtant, j'ai passé énormément de temps là-dessus. Je ne dors plus, ne mange plus, ne boit plus. Je ne vois que mes personnages fictifs tourner autour de moi, m'incitant à continuer leur progression. Rien a servi, mes histoires ont été lues, appréciées un milliers de fois moins que mes concurrents.
La popularité paraît parfois plus importante que mon envie d'écrire. On a tous besoin de reconnaissance après tout.
Mes paupières deviennent lourdes, mes yeux me font mal, et je ne cesse de bailler. Ma nuit blanche se fait ressentir, ma petite sieste n'a pas suffi.
La chambre dans laquelle je me trouve semble vide, dénuée d'humanité, comme sa propriétaire, c'est-à-dire moi. Pas de photo, de décoration, juste des murs gris et beiges. Je tire les rideaux et les rayons du soleil pénètrent à l'intérieur, m'éclairant la pièce d'une monotonie incomparable. Quelques meubles çà et là jonchent le sol en bois. Le principal est mon bureau situé au centre de la pièce, sur lequel trône fièrement mon ordinateur allumé, mes quelques brouillons griffonnés et froissés, mes stylos posés dans des positions dont moi seule ai le secret. Je l'aime par dessus tout. On peut le trouver des tas d'utilité, tu peux même dormir dessus en ayant les bras croisés sur lesquels on pose notre tête. C'est inconfortable, mais acceptable.
Le vrombissement des moteurs, le vacarme des discussions, des rires, de la musique voisine me tapent sur les nerfs. J'ai besoin de calme. Mais je quémande l'impossible, sachant qu'à Paris, la circulation est dense, surtout vers la fin de l'après-midi où les gens rentrent de leur boulot. Du coup, ça me rend encore plus nerveuse et stressée. Il faut que je finisse le chapitre.
Ding Dong. On sonne à la porte.
Sans étonnement, Margaret apparaît dans le judas de celle-ci. Je lui ouvre et elle ne se gêne pas pour entrer sans que je ne le dise, avec un carton dans lequel se trouve divers tissus qu'elle dépose négligemment sur le sol. Il faut dire qu'avec le temps, Margaret squatte quasi tous les jours chez moi, surtout pendant la période de vacances scolaires.
- Bah dis donc, je ne m'attendais pas à te voir dans cet état. Ellie, on va à une fête, pas au lit, alors débarrasse-moi de ce satané sweat à capuche. Mauve en plus. Berk. Et va essayer ma collection de robes ultra chères !
Je suis restée une bonne dizaine de secondes, debout à la fixer, jusqu'à ce qu'elle termine de parler et décide à me pousser vers lesdites robes. C'est la première fois que j'en vois autant, mis à part les rares fois où je me suis retrouvée aux centres commerciaux.
Je n'ai pas voulu de ce contre-temps, mais Margaret a tellement insisté que j'ai accepté une invitation à une party. Un événement grandiose organisé par un gars (pas populaire, au revoir le cliché), mignon, à lunettes, sans intérêt. Il ne fait pas partie d'une équipe de football, de basket, ni de rugby. Tout maigrichon, intello, pas le genre des filles. Quel paradoxe ! Faut dire qu'il a beaucoup d'influence dans le monde des étudiants. Les beaux gosses peuvent aller se faire voir s'ils n'ont pas un minimum de QI. C'est fou tout de même ! En un an, les filles qui bossent un temps soit peu, ne faisant attention à eux que dans l'intention d'obtenir une bonne note, changent radicalement de comportement à la fac. C'est comme si, après la majorité ou l'obtention du Bac, elles ont subitement changé leur vision des choses. J'oubliais ! La médecine, ça ne rigole pas. C'est pourquoi, ceux ou celles qui se savent inférieurs vont vers les grands cerveaux. Puis y a moi, une vraie tête de mule, qui croit pouvoir passer ma première année, toute seule, sans l'aide de personne. Pour ma défense, j'ai une fierté à préserver.
A chaque fin de trimestre, de chaque année scolaire, j'étais toujours dans le top 3 des élèves brio, avec 17 de moyenne générale et des félicitations de tous mes professeurs, sauf celui d'EPS, pas que je sois nulle à chier en sport (pourquoi les gens forts à l'école ne peuvent-ils pas contrôler leur corps à souhait ?), juste que je n'étais pas disciplinée - encore une excuse qu'on nous sert, alors que nous savons tous que ledit prof me déteste à cause du scandale que j'ai provoqué en défendant une fille qu'il a harcelée sexuellement.
Par ailleurs, je ne demandais de l'aide à personne, creusais les cours qu'on recopiait en classe, projetés sur le mur, faisais les exercices de maths au fond de la classe, ceux que le professeur n'a même pas encore noté sur le tableau, mais dit à l'oral pour les élèves élites. Comment voulez-vous que je me rabaisse, aille vers les autres, tandis que la moi d'avant était d'une autonomie sans faille ?
Ma styliste personnelle à défaut de concevoir, m'a poussée à essayer ses achats et n'a pas semblé s'apercevoir de mon manque d'enthousiasme, se contentant d'acquiescer ou de secouer radicalement la tête. Soit la tenue était trop large - au niveau de ma poitrine, à mon plus grand dam -, soit ça ne m'allait pas. J'en ai eu marre d'enlever, de mettre et de reposer ces choses, que j'ai failli les balancer par la fenêtre entrouverte de ma chambre.
Mon cauchemar s'est arrêté quand je suis revenue dans le salon, avec une robe verte émeraude. En m'apercevant, Margaret a écarquillé des yeux et a grand ouvert la bouche, signes de son étonnement. J'ai cru avoir fait quelque chose de mal, abimé sa robe hors de prix, alors j'ai froncé les sourcils. Elle s'est précipitée pour se justifier en arrivant à ma taille.
- Ellie, tu es ma-gni-fi-que ! Vraiment. Cette robe te va comme un gant. Je te l'aurais offerte si ça n'était pas un cadeau de mes parents. Tu sais quoi ? Mets celle-ci pour la soirée et tu prendras une autre que je t'offrirais.
J'aurais compris si elles n'étaient pas toutes achetées par ses parents. J'ai trouvé juste de me taire et n'ai rien ajouté, se limitant à mon inspection dans le miroir grand format. C'est vrai que je suis particulièrement belle habillée comme ça. Avec mes cheveux noirs de jais, lisses qui tombent sur mes épaules dénudées à moitié, mon buste mis en valeur par la finesse de la matière, mes jambes dont la robe couvre jusqu'à mes mi-cuisses qui paraissent longues et élancées. Sans parler de la concordance de la couleur avec mes yeux. Je viens de retrouver ma féminité perdue, il y a des années au profit de mes études. Inutile de dire que ça m'a fait du bien.
- Bon, faut qu'on s'attaque aux maquillages, tu en as grandement besoin. Viens, m'ordonne-t-elle en me tirant vers le canapé.
Je sais à présent ce que doivent ressentir les princesses du Moyen-Âge. Elles devaient être gâtées à mort avec leurs servantes qui faisaient tout à leur place. En ce qui me concerne, je suis assise confortablement pendant que Margaret se malmène en allant dans tous les sens pour prendre tel ou tel objet. Rien qu'en voyant le nombre de pinceaux qu'elle a amenés, j'en ai mal au crâne. J'espère uniquement qu'elle n'abuse pas sur la quantité de couches de teint.
C'est drôle tout de même. Je me suis préparée à écrire une scène de suicide et ne m'attendais sûrement pas à voir débarquer une maquilleuse professionnelle. Comme quoi, la vie est pleine de surprise.
- Voilà ! s'exclame-t-elle, tu peux admirer mon travail, qui soit dit en passant, est remarquable. Crois-moi.
Sur ce, elle s'écarte. Une seconde, j'ai cru rêver. Alors je m'approche de la glace pour y voir plus clair et découvre une inconnue. Ce n'est pas moi. Je ne suis pas comme ça. La personne que je vois est identique à celles qui me mettent mal-à-l'aise, qui me font perdre tous mes moyens, celles qui m'intimident par dessus bord.
Mon visage habituellement rond s'est métamorphosé en un sublime visage tout fin, tout mignon, tout adorable, et dérangeant aussi. Mes yeux sont soulignés par de subtils traits d'eye-liner et de mascara sur mes cils. Mon regard en devient intense, profond. Quant à mes lèvres, elles ont été rougies, très, très rougies. Je ressemble à ces filles superficielles, qui comptent sur leur physique pour séduire des mecs. On les appelle comment déjà ? Ah oui, des pétasses. Je suis une pétasse.
- Ne me remercie pas surtout, ironise Margaret. J'ai perdu trois heures de ma journée juste pour te rendre présentable. En plus, j'ai même pas encore...
-Merci, la coupé-je avec un sourire sincère, merci vraiment.
Non, je ne suis pas une hypocrite. Je suis consciente d'avoir critiqué ma transformation, soyons clair, forcée. Mais je suis une fille, et les filles se doivent d'être incompréhensibles et paradoxales. Je ne suis pas habituée à me voir ainsi, mais ça me plait.
- Bon on va ou pas, à cette soirée ?
- Et comment !
Assise sur le siège passager, je commence à paniquer. Je n'ai jamais été à une soirée, ne suis jamais, ô grand jamais, rentrée plus tard que minuit. Et encore, c'était pour une sortie scolaire. Pour une majeure, c'est vachement rassurant. De plus, je n'ai connu que les booms du collège, de la fête de fin d'année du lycée, en terminale, payante qui plus est. Et si je faisais une gaffe ? Du genre manger avant tout le monde ? Il est vingt heures. Je ne pense pas être la première à arriver, soit pas la première à manger, ni boire, ni aller aux chiottes. Je n'ai rien à craindre. Et puis, c'est quoi cette manie à se soucier de ces choses sans importance !
Margaret conduit plutôt lentement, même si je sens son excitation s'accroître à mesure qu'on s'approche de notre destination. C'est rare de trouver des maisons avec jardin dans la capitale, et vu le nombre de kilomètres parcourus, j'en déduis qu'on est en banlieue.
- On y est ! Allez descends.
J'exécute, claque la portière et m'arrête sur la pelouse, à cinq mètres de la demeure. En fait, je suis plutôt face à un villa, très spacieux, à deux étages distincts, moderne et distingué. On peut déjà deviner la grandeur du lieu par les baies vitrées ouvertes, sa luminosité et son prix. Les propriétaires doivent être vachement riches pour se permettre un tel luxe.
- T'attends quoi ? crie mon amie déjà au seuil de la porte d'entrée.
Je m'empresse de la rejoindre. Vous voyez, dans les films, on nous montre des filles ivres mortes qui se retrouvent à poils, des gars qui ne tiennent pas debout, se collant à celles-ci dès que l'occasion se présente. Eh bien, c'est totalement le contraire ici. Les invités sont convenablement assis sur leur tabouret, pour ceux qui sont accoudés au comptoir du bar. D'autres occupent les canapés en cuir noir et tiennent pour certains, des coupes de champagne. On se croirait à une soirée privée entre adultes. Peut-être que l'heure n'est pas encore propice pour l'ivresse. Ainsi, pour s'occuper, et ne pas se goinfrer de chips, il n'y a pas d'autre solution que de se joindre à la bande qui discute. Ce que Margaret fait, mais moi, c'est une autre histoire.
Moment gênant. Si je voyais une fille plantée au bout milieu d'un passage, je lui serais venue en aide. Mystérieusement, personne ne l'a fait en me voyant. Pas le choix, je me dirige vers le bar.
- Qu'est-ce que je te sers ? demande le barman, pas plus vieux que moi.
- De l'eau.
- Tu vas à une soirée pour boire de l'eau ? Essaie au moins mon cocktail spécial pour jeune femme, jolie et sexy.
Je hoche la tête en signe d'approbation. Vient-il de me draguer ? Ou essaie-t-il de me vendre son boisson ?
- Est-ce que, ça serait, payant par hasard, questionné-je, méfiante.
- Non, mais si tu insistes...
Je détourne le regard. La situation devient décidément trop gênante. C'est là que j'aperçois des personnes entrer, des retardataires. Elles sont toutes bien vêtues, chemises pour les gars, robes scintillantes pour les filles. On dirait des mannequins tout droit sortis des magazines de mode, que je n'ai jamais touchées. Il y en a un qui m'accroche particulièrement à l'œil. Un gars, pas le plus beau, ni le plus grand, ni le plus musclé. Juste, un gars. Il est habillé d'une chemise noire déboutonnée, de deux boutons seulement en partant du haut, d'un jean de la même couleur et des chaussures blanches signées Stan Smith. Tout chez lui dégage une aura de puissance, de froideur et d'égocentrisme.
- Tiens, tu vas voir, tu vas adorer ! m'annonce le serveur en me tendant un verre.
Ce dernier est rempli d'un liquide rosâtre, pas désagréable à regarder, mais est-ce buvable ? Je m'empare du contenant, trop précipitamment, et le fais chuter au sol. Mince. Le cocktail se déverse, se répand sur le carrelage. Génial.
Je me lève en quatrième vitesse pour le ramasser, quand une paire de jambes apparaît devant moi. Relevant la tête, je croise le regard de mon inconnu de tout à l'heure, le détaillant avec plus de précisions cette fois-ci. C'est un blond aux yeux bleus - bonjour le cliché ! - et pourtant, j'aurais juré qu'il était brun, de loin. Le rouge me monte aux joues, pas dû à ma timidité, mais à ma honte.
Il me toise un instant, avant de s'adresser au barman, comme si je n'existais pas.
C'est dans ces moments-là que j'aimerais me terrer trois pieds sous terre.
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